Bien qu’il importe de donner aux droits et libertés fondamentales une interprétation large et libérale, les droits et libertés ne sont pas pour autant absolus. C’est-à-dire que les droits individuels trouvent leurs limites aux confins des droits reconnus à ses pairs, les autres citoyens. Depuis le début de la pandémie, de nouvelles lois ont été mises en place pour protéger la population, mais certaines personnes semblent contester la validité et l’application de certaines règles de santé publique.
Restreindre la liberté individuelle sans ordonnance de justice
La restriction imposée à un droit relève généralement de la loi ou d’une instance judiciaire. Au fil du temps, le gouvernement a imposé des mesures coercitives pour des raisons de santé publique, c’est le cas du port d’une ceinture de sécurité en automobile, de la déclaration obligatoire du VIH à la Santé publique par le médecin, de la fouille dans les aéroports après les attentats de 2001, de même que la dénonciation du risque de violence d’une personne par un professionnel, de la maltraitance à l’égard des personnes vulnérables et bien d’autres. Ces restrictions aux droits et libertés sont toutes fondées sur des impératifs de bien-être collectif, qui sont encadrées et inscrits dans le cadre d’une loi ou d’un règlement.
Ainsi, dans certains cas, la loi permet aux tribunaux d’émettre des ordonnances qui portent atteinte aux droits fondamentaux. C’est le cas des autorisations judiciaires de soins, des ordonnances d’évaluation psychiatrique, de la détention civile, de la détention criminelle et du traitement obligatoire de la tuberculose. Hormis, ces situations particulières, il faut évaluer l’intensité de la mesure imposée en rapport avec son objectif afin de pouvoir la mettre en place.
En cas de litige ou de contestation des lois et règlements, c’est aux tribunaux que revient la tâche d’arbitrer les revendications divergentes qui peuvent être fondées sur des droits d’égale importance. Un principe fondamental doit guider les tribunaux :
« Même si aucun droit ne saurait être considéré comme absolu, une conséquence naturelle de la reconnaissance d’un droit doit être l’acceptation sociale de l’obligation générale de le respecter et de prendre des mesures raisonnables afin de le protéger. Dans toute société, les droits d’une personne entreront inévitablement en conflit avec les droits d’autrui. Il est alors évident que tous les droits doivent être limités afin de préserver la structure sociale dans laquelle chaque droit peut être protégé sans porter atteinte indûment aux autres. » (Cour suprême du Canada, 1985)
Une mesure proportionnelle au danger
Comme l’a indiqué la Commission des droits et des libertés de la personne le printemps dernier, en cas de circonstances exceptionnelles, le gouvernement peut prendre des mesures raisonnables et proportionnées au risque encouru afin d’assurer la sécurité de la population. Ces mesures doivent toutefois poursuivre un objectif réel et urgent.
La ligue des droits et libertés a aussi précisé que les mesures exceptionnelles de santé publique devraient être compatibles avec l’exercice des droits de la personne et ne jamais porter atteinte de façon disproportionnée ou discriminatoire aux droits. C’est le cas en privilégiant le droit à la santé de certains segments de la population au détriment de celui des autres.
Règle générale, la mesure imposée doit s’appuyer sur une préoccupation scientifiquement prouvée et porter atteinte de façon minimale à la liberté de choix. Ainsi, le seul droit sur lequel pourraient véritablement s’appuyer les opposants au port du masque obligatoire s’inscrit dans le contexte d’un objectif réel et urgent de prévenir la propagation d’un virus. Ainsi, ce moyen particulier vise à protéger la santé et à la sécurité d’autrui et concerne des lieux publics précis. Il constitue donc une atteinte minimale au droit à la liberté de chacun, puisque chaque personne est libre de fréquenter ou non ces lieux.
Quels sont les impacts des mesures imposées?
Comme l’énonçait le Haut-Commissariat des Nations-Unies, les mesures de distanciation et d’isolement ont eu des impacts disproportionnés sur les populations marginalisées et vulnérables. Les personnes en situation de handicap ont subi des conséquences parfois fatales des mesures sanitaires qui ont été imposées au printemps 2020. Impossible oublier les personnes incapables, inaptes, vulnérables, isolées, dépendantes, hébergées, qui ont subi de graves atteintes aux droits fondamentaux, de l’ordre de la maltraitance et de la négligence. La mesure visant le port du masque obligatoire dans les commerces et les transports en commun crée un tollé qui fait certes réfléchir, mais elle n’influencera pas le gouvernement à la retirer.
Il est toujours important d’éviter les atteintes aux droits individuels, de les dénoncer et surtout d’être vigilants et de les défendre. Ainsi, il arrive souvent que les personnes visées par des demandes d’autorisation de soins ou d’hébergement s’y opposent et que nous les représentions. Elles ont droit à leur défense malgré leur capacité diminuée et les pouvoirs conférés à la Cour supérieure de trancher ces litiges. Mais, la Cour d’appel a rappelé en 2015 que les atteintes à l’intégrité doivent être prises avec le plus grand sérieux dans le contexte des autorisations judiciaires de soins.
En d’autres mots, le contexte de la crise sanitaire actuelle ne doit pas favoriser les atteintes aux droits fondamentaux, sous prétexte de la santé. Il se peut toutefois que des mesures approuvées scientifiquement ouvrent la porte à une contrainte temporaire et ciblée, comme le port du couvre-visage. Une société démocratique et ses citoyens peuvent être exposés à une restriction valide de leur liberté de choix, dans une optique d’équilibre entre droits individuels et bien-être collectif.