Dans un article publié dans le Globe and Mail le 10 juillet dernier, l’ex-juge en chef du Canada, Beverly McLaughlin, soulignait la nécessité de revoir notre système de justice face aux problèmes soulevés lors la pandémie [1]. S’appuyant sur la Charte canadienne des droits, elle soulignait qu’un bon système de justice doit être juste, proportionné et accessible. Elle pointait le faible score du Canada au chapitre de l’accessibilité à la justice.
Depuis le début de la pandémie, l’accès à la justice a été réduit de manière drastique, puisque les palais de justice à travers le pays ont été fermés et que les causes fixées pour une audition ont été reportées. Seules les matières urgentes ont pu être entendues, dont les causes ayant trait à la capacité et à l’intégrité de la personne.
Nos lois prévoient que les causes portant sur la capacité ou l’intégrité des personnes ont priorité sur les autres causes et doivent être traitées de manière prioritaire. Selon le code de procédure, un délai entre le moment où la demande est portée à l’attention de la personne et sa présentation devant un tribunal est requis, mais souvent abrégé pour motif d’urgence. C’est le cas des demandes pour garder une personne dans une unité de psychiatrie parce qu’elle serait dangereuse pour elle ou son entourage, de celles qui visent à traiter ou héberger une personne, ou de celles visant à désigner un représentant légal à une personne parce qu’elle ne serait plus en mesure de prendre des décisions.
Des jugements pendant la crise
Nous vivons depuis 5 mois une situation exceptionnelle, qui a donné lieu à un premier jugement qui a retenu l’attention des juristes et experts. En avril 2020, la Cour du Québec a autorisé la dispense de signification de la procédure judiciaire à une personne pour une évaluation psychiatrique, en raison de l’impossibilité de la notifier par huissiers ou par voies électroniques dans le contexte actuel.
Ainsi, compte tenu du confinement, du risque de contamination, des difficultés d’entrer et de sortir de la chambre sans mettre en œuvre des protocoles laborieux et des risques de fugue, la Cour a considéré que la notification à la personne concernée était clairement nuisible. « On peut comprendre que tout en voulant protéger les droits fondamentaux d’une personne vulnérable, la signification en mains propres par huissier en milieu hospitalier puisse poser problème dans un contexte de crise sanitaire majeure, où la multiplication des contacts entre les personnes augmente le risque de contagion. » [2]
La Cour a également renoncé à interroger la personne concernée par visioconférence, jugeant que l’interrogatoire serait nuisible à son entourage et qu’il serait impossible d’y procéder de façon raisonnable. Or, la remise de la procédure en personne et la tenue de l’interrogatoire par la Cour sont deux conditions essentielles à ce type de demande. La personne doit pouvoir recevoir la demande et donner son point de vue au tribunal.
Puis dans une autre cause, en juillet 2020, la Cour supérieure a ouvert un régime de protection à l’égard d’une personne en instance de divorce, sur demande judiciaire de son mari, sans la tenue d’une assemblée de parents, d’alliés ou d’amis, sans entendre la personne elle-même et sans rapport d’évaluation psychosociale à l’appui de la demande [3]. Or, lorsqu’il est question d’instaurer la représentation légale d’une personne, la loi énonce des conditions : le tribunal doit entendre la personne concernée et il doit être saisi de deux rapports d’évaluation.
Il arrive d’ailleurs très souvent que les tribunaux remettent les causes pour s’assurer que toutes les conditions sont remplies avant d’instaurer une représentation légale. La préservation de ces conditions s’impose, car en instaurant une tutelle ou en homologuant un mandat de protection, le tribunal restreint le droit d’une personne de faire des transactions, un testament et celui de voter.
Le droit d’être entendu dans des conditions acceptables
Il va sans dire que le système de justice doit s’adapter à une nouvelle situation qui évolue quotidiennement. Avec l’arrivée de la technologie dans les tribunaux administratifs et judiciaires, bien avant la pandémie, la pratique s’est étendue et les audiences n’évoluent plus tout à fait dans un lieu neutre et empreint du respect des droits des personnes concernées, comme une cour de justice [4] devrait le représenter.
Les audiences à distance comportent des avantages comme l’économie du temps de déplacement des personnes concernées devant le tribunal, la détection à l’entrée du palais de justice (notamment à Montréal), le transport adapté dans certains cas, l’attente dans les corridors, l’organisation dans le milieu de soins et les coûts.
Lorsqu’on travaille à défendre les droits des personnes pour des questions de santé, la vigilance s’impose en tout temps. C’est encore plus vrai lorsqu’on soulève des questions de santé mentale et de perte de capacités. Les jugements comme on l’a vu récemment, qui font exception aux garanties légales, doivent demeurer des exceptions. Comme acteurs du système de justice, nous devons demeurer vigilants, puisqu’il s’agit de maintenir l’égalité de tous dans la représentation devant les tribunaux, en plus d’assurer l’accès à la justice.
Après 5 mois, il pourrait s’agir d’un bon moment pour examiner comment la vidéoconférence et la représentation à distance des personnes devant les tribunaux continueront de s’exercer et affecteront l’accès à la justice. Une chose est certaine, les tribunaux devront apprendre à fonctionner avec la technologie qui a été mise en place durant la pandémie et qui est là pour de bon.
[2] CISSS de la Montérégie-Centre (Hôpital Charles-Lemoyne) c. J.S. et autres, 2020 QCCQ 1326, par. 71.
[3] L.A. c. G.P. et autres, 500-14-056772-197.
[4] Doris Provencher, « Justice virtuelle en santé mentale : progression ou dégradation des droits ? ».