J’ai le goût de vous faire part de l’histoire de Marcel. Il a fait l’objet d’une demande déposée en août 2020 à la Cour par un hôpital afin de le garder 30 jours sans droit de sortie. Il s’est donc retrouvé à requérir mes services pour sortir de l’hôpital et retourner chez lui.
Plusieurs éléments sont à l’origine de cette histoire
Marcel aime sa liberté et son logement, où il habite depuis 51 ans. Il conduit un camion et fait ses commissions. Mais il y a quelques semaines son frigo a brisé et il n’a pas pu le remplacer. Depuis ce jour, il n’est plus en mesure de s’alimenter normalement.
De plus, l’entente qu’il avait avec son locataire a échoué. Il lui versait 240$/semaine pour qu’il lui livre des repas, mais le locataire a cessé de lui apporter des repas préparés par manque de temps. Marcel n’a pas mangé pendant quelques jours. Il est tombé et a été transporté à l’hôpital après qu’il ait lui-même appelé les services ambulanciers.
Son état de santé s’est amélioré à l’hôpital et il voulait rentrer chez lui. L’hôpital demandait pourtant à le garder en détention (forced confinement, en anglais) afin de procéder à des évaluations pour déterminer si ses capacités cognitives sont affectées. Marcel s’est fâché à l’hôpital, car on refusait de lui donner la médication dont il a besoin, et qu’il prend rigoureusement matin et soir, en raison d’un rein défectueux. On lui reproche maintenant cet écart de comportement et ce saut d’humeur.
Et puis, Marcel entend mal d’une oreille et il est sourd de l’autre. Comme il est parti vite de la maison, il a oublié son appareil, ce qui rend les communications plus difficiles avec le personnel de l’hôpital.
Audition à la Cour pour retrouver sa liberté
C’est dans ce contexte que la demande a été présentée à la Cour. Le juge a écouté attentivement Marcel qui expliquait ce qui s’est passé à la maison, tout en décrivant son quotidien. Il a indiqué vivre seul. Qu’il n’a qu’une nièce loin de Montréal, qu’il a un réseau social et qu’à l’épicerie, à la pharmacie, au CLSC et même chez le barbier on le connaît. Il a un camion, il réussit à faire ses courses et n’a jamais eu d’accident automobile. Il fait son lavage, sa vaisselle. Il marche sans canne. Il est autonome.
Pour livrer son témoignage, Marcel, 87 ans, a dû être assermenté. On lui a demandé s’il était « capable de dire son adresse ». Puis, en contre-interrogatoire, on lui a demandé combien de « dodos » il a faits à l’hôpital lors de sa dernière hospitalisation. Devant le tribunal, on l’a abordé comme une personne dont la mémoire faisait défaut et qui ne comprenait pas ce qui se passait. On s’est même permis de l’infantiliser parce qu’il est vieux.
Le tribunal a rejeté la demande de l’hôpital en se basant sur le motif que le critère applicable pour obtenir une détention civile est celui de savoir si Marcel présente un danger grave et immédiat pour lui-même. Le tribunal a rappelé le principe énoncé par la Cour d’appel dans ce type de cause : « La mise sous garde forcée, fut-elle simplement en établissement hospitalier, n’est en effet pas à prendre à la légère. La liberté de la personne est une des valeurs fondamentales, et même suprêmes, de notre ordre social et juridique, comme le rappellent d’ailleurs et la Charte des droits et libertés de la personne et le Code civil du Québec. Si le législateur permet parfois qu’il soit fait exception à ce principe de liberté, ce n’est jamais que pour des raisons sérieuses et graves, raisons qui doivent être connues et qui doivent par conséquent être exprimées d’une façon explicite, afin qu’elles puissent être contrôlées. » [1]
Bien plus que sa libération, l’histoire de Marcel m’a interpellée quand j’ai entendu les questions qu’on lui posait et combien elles étaient empreintes d’âgisme. Est-ce la méconnaissance de la vieillesse, le préjugé que les aînés ont perdu la mémoire qui autorise les individus à recourir à un langage infantilisant? Certainement pas.
Marcel ne va pas dénoncer cette situation. Il voulait simplement récupérer sa liberté et c’est ce qu’il a obtenu. Il a remercié le tribunal et est parti de la salle où il se trouvait à l’hôpital pour réaliser l’audience par une vidéoconférence avec la salle de Cour. Il a quitté sur ses 2 jambes, solide et refusant le fauteuil roulant que lui proposait un préposé de l’hôpital. Il avait enfin retrouvé sa dignité. Et il avait maintenant envie de rentrer chez lui, d’acheter un nouveau frigo et de vivre heureux.
Avec son accord, je vous ai raconté son histoire. Non pas pour mettre au pilori des personnes bien intentionnées, qui ne voient pas les préjugés qu’elles entretiennent à l’égard des aînés, mais pour éveiller les consciences. Nous sommes tous à risque de faire preuve d’âgisme, en particulier quand nous sommes en position d’autorité. Il me semble qu’il serait souhaitable que nous procédions tous à une réflexion, pour éviter d’avoir des propos envers les aînés qui empiéteraient sur leur dignité.
[1] A. c. Centre hospitalier de St. Mary, Cour d’appel, 12 mars 2007, EYB 2007-116185, Marie-France Bich, JCA.