Ce texte est la 2e partie d’un billet publié le 28 janvier : lire la 1re partie.


Depuis la déclaration d’état d’urgence sanitaire en mars 2020, des locataires de résidences pour aînés (RPA) ont subi des coupures souvent majeures aux services prévus dans leur bail. Les exploitants se défendent en disant qu’ils respectent les directives gouvernementales et qu’ils sont à l’abri de poursuites comme le sont le Gouvernement et le ministre dans le contexte d’urgence sanitaire.

Ce que dit la Loi sur la santé publique

La Loi sur la santé publique lie le gouvernement, les ministères et les organismes mandataires du gouvernement (art. 6).

Cette Loi accorde au gouvernement le pouvoir de déclarer l’état d’urgence sanitaire, et d’ordonner et d’imposer des mesures en lien avec cette déclaration. L’article 123 de la Loi se lit comme suit. Il est inchangé depuis son entrée en vigueur :

123. Au cours de l’état d’urgence sanitaire, malgré toute disposition contraire, le gouvernement ou le ministre, s’il a été habilité, peut, sans délai et sans formalité, pour protéger la santé de la population :

1°   ordonner la vaccination obligatoire de toute la population ou d’une certaine partie de celle-ci contre la variole ou contre une autre maladie contagieuse menaçant gravement la santé de la population et, s’il y a lieu, dresser une liste de personnes ou de groupes devant être prioritairement vaccinés;

2°   ordonner la fermeture des établissements d’enseignement ou de tout autre lieu de rassemblement;

3°   ordonner à toute personne, ministère ou organisme de lui communiquer ou de lui donner accès immédiatement à tout document ou à tout renseignement en sa possession, même s’il s’agit d’un renseignement personnel, d’un document ou d’un renseignement confidentiel;

4°   interdire l’accès à tout ou partie du territoire concerné ou n’en permettre l’accès qu’à certaines personnes et qu’à certaines conditions, ou ordonner, lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen de protection, pour le temps nécessaire, l’évacuation des personnes de tout ou partie du territoire ou leur confinement et veiller, si les personnes touchées n’ont pas d’autres ressources, à leur hébergement, leur ravitaillement et leur habillement ainsi qu’à leur sécurité;

5°   ordonner la construction de tout ouvrage ou la mise en place d’installations à des fins sanitaires ou de dispensation de services de santé et de services sociaux;

6°   requérir l’aide de tout ministère ou organisme en mesure d’assister les effectifs déployés;

7°   faire les dépenses et conclure les contrats qu’il juge nécessaires;

8°   ordonner toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population.

Le gouvernement, le ministre ou toute autre personne ne peut être poursuivi en justice pour un acte accompli de bonne foi dans l’exercice ou l’exécution de ces pouvoirs.

Le premier alinéa indique les pouvoirs octroyés au Gouvernement ou au ministre, qui prend des mesures après avoir déclaré l’état d’urgence sanitaire au Québec. L’objectif de l’exercice de ces pouvoirs est celui de protéger la santé de la population vu la situation. Il s’agit de pouvoirs exceptionnels de nature législative [1].

Le deuxième alinéa prévoit une immunité de poursuite qui a pour objectif de permettre d’atteindre le but fixé par la loi. On retrouve une telle disposition légale dans plusieurs lois au Québec. Elle protège les décideurs contre les poursuites en justice pour les décisions qu’ils rendent de bonne foi. L’objectif recherché par cette immunité est de permettre le bon déroulement de l’état d’urgence sanitaire.

Une interprétation logique, simple et compréhensible, qui s’harmonise avec le texte et l’intention de la Loi, permet de conclure que seul le gouvernement, le ministre, ou toute autre personne qui exerce ou exécute les pouvoirs de nature législative décrits au premier alinéa dans une situation d’urgence sanitaire ne peut être poursuivi en justice.

Ceci exclut les exploitants des RPA qui respectent et mettent en application les directives ministérielles et autres mesures de prévention, en suspendant ou en interrompant les services au sein des résidences.

Respecter, mettre en application des décrets, des ordonnances ou des directives ne consiste pas à exécuter ou à exercer des pouvoirs. Les exploitants ne peuvent d’aucune façon prétendre à l’immunité conférée par l’article 123 de la Loi sur la santé publique. Ils n’entrent tout simplement pas dans la catégorie de « toute autre personne ».

Dans la 3e et dernière partie de cette série, nous examinerons les récentes décisions des tribunaux qui contredisent les arguments des exploitants et ouvrent la porte à des demandes conjointes de redressement auprès des instances administratives.


[1] Marie-Claude PRÉMONT, Marie-Ève COUTURE-MÉNARD et Geneviève BRISSON, « L’état d’urgence sanitaire au Québec : un régime de guerre ou de santé publique », (2021) 55 RJTUM 233, p. 247