Quatrième billet d’une série de six billets sur le PL 11

Notre dernier billet se terminait avec la mention que les demandes anticipées d’aide médicale à mourir font également partie du projet de loi 11. Attardons-nous maintenant à ce volet du projet de loi.

Modifications pertinentes à la LCSFV

Demande anticipée d’AMM: un élargissement encadré

C’est ici que s’inscrit la plus importante modification à la LCSFV. Le PL 11 prévoit l’élargissement de la LCSFV afin de permettre la formulation de demandes anticipées d’AMM.

[…] permet aux personnes atteintes d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins de formuler une demande anticipée d’aide médicale à mourir afin qu’elles puissent bénéficier de cette aide une fois devenues inaptes. Il prescrit les règles de fond et de forme applicables à une telle demande anticipée et établit les responsabilités des intervenants qui participent à sa formulation et sa mise en œuvre. De plus, il détermine les conditions qui doivent être respectées pour que l’aide médicale à mourir puisse être administrée à une personne devenue inapte à consentir aux soins, notamment en ce qui concerne la constatation des souffrances qu’elle éprouve. Il donne aussi à la Commission sur les soins de fin de vie la fonction de surveiller l’application des exigences particulières à une demande anticipée d’aide médicale à mourir [1].

Le PL 11 crée deux types de demandes d’AMM (art. 14 et 18): la demande contemporaine et la demande anticipée. Actuellement, la LCSFV encadre la demande d’AMM par des conditions énoncées à l’article 26 de la Loi. L’élargissement proposé par le PL 11 consiste en l’ajout d’une nouvelle catégorie de demande d’AMM suivant laquelle le consentement de la personne apte à consentir à l’AMM, au moment de formuler sa demande, ne serait pas requis lors de son administration, à certaines conditions.

Le Code criminel prévoit actuellement deux exceptions à l’AMM sans le consentement exprimé de façon contemporaine par la personne:

  1. Lorsque la mort est raisonnablement prévisible, la renonciation au consentement final est permise [2];
  2. Lorsque la personne a commencé l’auto-administration et perd conscience [3].

L’auto-administration de l’AMM n’est pas prévue à la LCSFV. Elle est possible dans les provinces canadiennes.

Dans son rapport de décembre 2021, la Commission spéciale sur l’évolution de la LCSFV formulait une recommandation favorable à l’effet de permettre une demande anticipée d’AMM à la suite de l’obtention d’un diagnostic de maladie grave et incurable menant à l’inaptitude. Elle recommandait également d’ajouter au registre des DMA les demandes anticipées d’AMM et de permettre l’inscription au dos de la carte d’assurance maladie la mention d’une demande anticipée d’AMM [4].

Les demandes anticipées ne sont pas permises actuellement dans la Loi fédérale. L’insertion de la demande anticipée dans la LCSFV entrerait donc en conflit avec une loi fédérale valide, laquelle conserve sa prépondérance sur la loi québécoise. Celle-ci repose sur un champ de compétence fédéral exclusif (droit criminel), et ce, même si l’objet de la LCSFV porte sur des soins de santé. La validité des dispositions relatives aux demandes anticipées pourrait donc être attaquée et être invalidée par les tribunaux.

De plus, si les dispositions du PL 11 entraient en vigueur, les professionnels qui mettraient en œuvre une demande anticipée d’AMM selon la LCSFV s’exposeraient à une poursuite criminelle [5].

C’est dans ce contexte que le Barreau du Québec a suggéré que les dispositions portant sur les demandes anticipées n’entrent pas en vigueur avant la modification du Code criminel [6]. Autrement, cela ne favoriserait pas l’accès pour les demandes anticipées en raison des craintes justifiées de poursuites criminelles pour les professionnels compétents autorisés à poser cet acte médical [7].

À ce sujet, par son rapport déposé en mars 2023, le Comité mixte spécial sur l’AMM s’est montré favorable à une discussion du gouvernement fédéral avec les provinces sur l’admissibilité aux demandes anticipées d’AMM. Il a formulé les deux recommandations suivantes:

Recommandation 21
Que le gouvernement du Canada modifie le Code criminel pour permettre les demandes anticipées à la suite d’un diagnostic de problème de santé, de maladie ou de trouble grave et incurable menant à l’incapacité.

Recommandation 22
Que le gouvernement du Canada travaille avec les provinces et les territoires, les autorités réglementaires et les barreaux provinciaux et territoriaux ainsi que les intervenants concernés pour l’adoption des mesures de sauvegarde requises pour les demandes anticipées d’AMM [8].

Ceci étant, il faut reconnaître que la demande par anticipation de l’AMM soulève des défis éthiques et juridiques importants. L’élargissement de la LCSFV devra répondre par des conditions de fonds et de forme claires permettant aux personnes qui formulent les demandes anticipées d’être entièrement éclairées au moment de leur demande. Le PL 11 énonce certaines conditions, mais la matérialisation de celles-ci reste à faire: le formulaire de demande anticipée devra énoncer quelles seront les souffrances persistantes, intolérables et insupportables dans un avenir incertain et imprécis, pour lui permettre de mourir en toute dignité.

Comme le soulignait le Barreau du Québec dans son mémoire, «pour déterminer les conditions de la demande anticipée, il faut, selon nous, garder à l’esprit l’objectif du législateur voulant reconnaître ce choix fondamental de toute personne, énoncé clairement dans l’arrêt Truchon [9]»:

[582] Le Tribunal ne peut se rendre à ce raisonnement et conclut que l’effet préjudiciable de la disposition sur la vie, la liberté et la sécurité des demandeurs se révèle très grave et par conséquent totalement disproportionné en regard de son objectif. Elle prive les demandeurs du choix fondamental de décider du soin approprié, de leur autodétermination et du droit de décider du moment de leur mort. Elle les force de surcroit, à poursuivre leur existence dans des souffrances aussi intolérables qu’inutiles, compte tenu du caractère incurable du mal dont ils sont atteints [10].

(Nos soulignés)

Règles de fond et de forme de la demande anticipée d’AMM (art. 18)

Conditions d’obtention (art. 29.1 LCSFV)

Ces conditions sont de deux ordres, soit les conditions spécifiques aux demandes anticipées d’AMM et les conditions d’obtention de l’AMM. Ces dernières sont énoncées à l’article 26 de la LCSFV ci-haut. Les premières se lisent comme suit:

29.1. Pour obtenir l’aide médicale à mourir suivant une demande anticipée, une personne doit, en plus de formuler une demande conforme aux dispositions des articles 29.2, 29.3 et 29.7 à 29.10, satisfaire aux conditions suivantes:

    1. au moment où elle formule la demande:
      a) elle est majeure et apte à consentir aux soins;
      b) elle est une personne assurée au sens de la Loi sur l’assurance maladie (chapitre A-29);
      c) elle est atteinte d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins;
    2. au moment de l’administration de l’aide médicale à mourir:
      a) elle est inapte à consentir aux soins en raison de sa maladie;
      b) elle satisfait toujours aux conditions prévues aux sous-paragraphes b et c du paragraphe 1°;
      c) sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
      d) elle paraît objectivement éprouver:

      1. des souffrances qu’elle avait décrites dans sa demande, et ce, en raison de sa maladie;
      2. des souffrances physiques ou psychiques persistantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables.

Pour l’application du sous-paragraphe c du paragraphe 1° du premier alinéa, un trouble mental autre qu’un trouble neurocognitif n’est pas considéré comme une maladie.

Suivant le PL 11, la demande anticipée devra répondre à une évaluation des souffrances à deux niveaux: (1) elles sont conformes à celles décrites dans la demande anticipée, et (2) elles sont objectivées par un professionnel de la santé compétent. On comprend donc que le formulaire de demande anticipée ne sera pas suffisant et qu’une étape d’évaluation additionnelle sera requise. Une telle condition paraît répondre à un processus formel d’évaluation mettant en place des mesures de sauvegarde. Toutefois, sachant, d’une part, que l’évaluation de la souffrance est souvent difficile et, d’autre part, considérée comme étant subjective, cette condition suscite des questions.

La Cour suprême a d’ailleurs reconnu cette réalité dans l’arrêt Carter en ces termes:

[68] […] La juge de première instance a elle aussi affirmé qu’il s’agit, pour certaines personnes, d’une décision qui [TRADUCTION] «revêt une grande importance pour leur sentiment de dignité et d’autonomie, qui est compatible avec les valeurs qu’elles ont eues toute leur vie et qui reflète leur vécu» (par. 1326). Cette décision prend sa source dans la maîtrise qu’elles exercent sur leur intégrité corporelle; la décision représente leur réaction profondément personnelle à une douleur et à des souffrances aiguës. En niant la possibilité pour ces personnes de faire ce choix, la prohibition empiète sur leur liberté et la sécurité de leur personne. Comme nous l’avons vu, l’art. 7 reconnaît la valeur de la vie, mais respecte aussi la place qu’occupent l’autonomie et la dignité à la fin de cette vie. Nous concluons donc que, dans la mesure où ils prohibent l’aide médicale à mourir que demandent des adultes capables affectés de problèmes de santé graves et irrémédiables qui leur causent des souffrances persistantes et intolérables, l’al. 241b) et l’art. 14 du Code criminel portent atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de la personne [11].

De plus, en situation d’inaptitude à consentir aux soins en raison de la maladie, on peut se demander comment sera évaluée l’expression de la souffrance de la personne inapte et, le cas échéant, quel poids lui sera accordé.

On peut de plus se questionner sur l’objectivation des souffrances, au moment de l’administration, à supposer qu’elles auront déjà été identifiées et décrites comme étant des souffrances physiques ou psychiques persistantes et insupportables, et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables dans le formulaire de demande anticipée. Du reste, il nous semblerait plus juste d’utiliser le concept de souffrances observées, plutôt qu’objectivées, comme il y est référé à l’article 29.17 de la LCSFV du PL 11.

Le PL 11 est muet par ailleurs sur la nature de la maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins. Bien qu’on puisse estimer qu’il pourra s’agir d’une maladie caractérisée par des troubles neurocognitifs ou d’une maladie neurodégénérative, il serait approprié qu’un guide des lignes directrices soit élaboré comme ce fût le cas pour les demandes d’AMM suite à l’adoption de la LCSFV, révisé en novembre 2019 et toujours en vigueur.

Le prochain billet nous permettra de nous concentrer sur l’analyse du mécanisme de formulation de la demande anticipée que prévoir le projet de loi 11.


[1] QUÉBEC. Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives, projet de loi no 11 (présentation — 16 février 2023), 1re sess., 43e légis. notes explicatives.

[2] Code criminel, LRC 1985, ch. C-46, art. 241.2 (3.2) b)

[3] Ibid. Art. 241.2 (3.2)

[4] ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC. Rapport de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, décembre 2021.

[5] Code criminel, LRC 1985, ch. C-46, art. 241.3

[6] BARREAU DU QUÉBEC. Projet de loi no 11 — Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives, Mémoire, mars 2023, p. 11.

[7] Voir à cet effet le mémoire du COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC, Projet de loi no 38: Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives, Mémoire, mai 2022.

[8] PARLEMENT DU CANADA. L’aide médicale à mourir au Canada: les choix pour les Canadiens, Rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, février 2023, p. 83.

[9] BARREAU DU QUÉBEC. Projet de loi no 11 — Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives, Mémoire, mars 2023, p. 15.

[10] Truchon c. Procureur général du Canada, 2019 QCCS 3792.

[11] Carter c. Canada (Procureur général) 2015 CSC 5.