Dans cette affaire, le Curateur public prétendait être le mieux placé pour être nommé tuteur de Pierre. Il reprochait à Lison, la sœur de Pierre, de ne pas posséder les qualités requises. Le tribunal en a jugé autrement.

Contexte

Pierre souffre d’un trouble anxio-dépressif sévère, avec des traits de personnalité obsessifs-compulsifs (TOC), ce qui le rend très vulnérable. Son anxiété prononcée, son ambivalence et sa procrastination influencent tous ses choix, même les plus anodins. Il vit depuis quelques années dans une résidence intermédiaire; auparavant, il habitait la maison familiale avec sa sœur. Lison, proche aidante, demeure son principal soutien – un fait que les professionnels ont reconnu à l’audience.

Audition devant la Cour supérieure

Le Curateur public a demandé à être nommé tuteur à la personne et aux biens de Pierre. Sa sœur Lison s’y est opposée, soutenant qu’elle-même devrait l’être si une tutelle était ouverte.

La preuve a mis en lumière la vulnérabilité de Pierre: il se montre suspicieux envers les autres et verbalise peu ses difficultés. Sa sœur le connaît et le comprend. Tous deux sont âgés d’environ 80 ans. Ils vivent ensemble depuis des années. Lison est la seule personne significative de sa vie; il est célibataire, sans enfants et leurs parents sont décédés.

Le tribunal n’hésite pas à conclure que l’ouverture d’une tutelle aux biens et à la personne de Pierre est nécessaire. Il entend Lison décrire l’aide qu’elle apporte: prise de rendez-vous, démarches pour voir un audioprothésiste, signature d’une procuration bancaire, gestion des dépenses. Elle sait que Pierre a besoin d’un soutien constant, même pour les tâches les plus simples de la vie quotidienne.

Le tribunal constate également le lien de confiance et de proximité que Pierre a développé avec sa sœur, ce qui l’amène à conclure que la nomination de Lison comme tutrice est la solution la plus conforme à sa volonté.

Le témoignage de Pierre, difficilement entendu et en l’absence des avocates a néanmoins permis au tribunal de conclure que le comportement de Lison témoigne du sérieux de sa démarche et de l’énergie qu’elle est prête à investir dans ce rôle.

Bien que le Curateur public ait soulevé les problèmes de santé sérieux de Lison – un cancer toujours sous traitement, ainsi qu’une mobilité réduite, le tribunal retient que:

«la preuve ne permet pas de soutenir que son état de santé actuel l’empêcherait d’accomplir ses fonctions de tuteur. La manière dont elle est passée au travers de sa maladie, défiant les pronostics peu encourageants de ses médecins, témoigne d’ailleurs éloquemment de sa force de caractère et de sa détermination.»

«La question n’est toutefois pas de savoir si [elle] est la personne la plus qualifiée ou la plus expérimentée en la matière. Il s’agit plutôt de savoir si elle apparaît raisonnablement en mesure d’assister [Pierre] dans l’administration de ses biens et de le représenter dans l’exercice de ses droits.»

Le tribunal conclut que la nomination d’un tiers pour gérer les affaires de Pierre ne serait pas de nature à le rassurer et risquerait, au contraire, d’accentuer son anxiété. Il juge donc préférable de confier cette fonction à Lison, qui joue un rôle essentiel de réconfort et de stabilité dans la vie de son frère.

Principes applicables

Dans toute décision relative à l’ouverture d’une tutelle, c’est l’intérêt de la personne majeure qui doit guider l’analyse (art. 257 C.c.Q.) ainsi que le respect de sa volonté et de son autonomie. Le régime de tutelle est conçu comme une mesure de protection souple, qui doit s’adapter aux circonstances et aux besoins particuliers de la personne majeure.

Le curateur public ne devrait intervenir que lorsque l’entourage immédiat ne peut mettre en place et gérer une mesure de protection permettant de préserver les intérêts de la personne concernée. Le régime mis en place par le législateur québécois vise à «priorise[r] la nomination d’un membre de la famille ou d’un autre proche du majeur inapte pour s’occuper de sa personne et de ses biens». Suivant l’article 15 de sa loi constitutive, le Curateur public «doit, lorsqu’il exerce une tutelle, rechercher un tuteur pour le remplacer».

La loi ne dresse pas de liste formelle de critères pour être nommé tuteur. Cette décision apporte un éclairage utile sur la question suivante: une personne proche apparaît-elle raisonnablement en mesure d’assister la personne concernée dans l’administration de ses biens et de la représenter dans l’exercice de ses droits? Qu’il nous soit loisible d’énoncer certaines caractéristiques susceptibles de qualifier une personne pour exercer la tutelle:

  • Avoir démontré, par son comportement passé et son attitude devant le tribunal, le sérieux de sa démarche et la volonté de s’investir;
  • Présenter un état de santé compatible avec l’exercice des fonctions de tuteur, sans être elle-même inapte à exercer ses droits;
  • Démontrer une force de caractère et une détermination face à ses propres difficultés;
  • Être raisonnablement en mesure d’assister la personne représentée, sans devoir posséder une expertise particulière en gestion financière;
  • Avoir déjà apporté une aide concrète dans l’administration des finances de la personne concernée;
  • Faire preuve de débrouillardise et d’organisation;
  • Jouer un rôle important de réconfort auprès de la personne inapte;
  • Avoir développé et maintenu un lien de confiance et de proximité avec cette dernière;
  • Tenir compte de la volonté exprimée par la personne concernée.

Bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive. La situation de Pierre et Lison a permis de mettre en lumière les caractéristiques que le tribunal peut rechercher chez une personne appelée à exercer une tutelle. Que cet éclairage vous aide à mieux comprendre les critères susceptibles de guider une telle décision.