L’histoire qui suit est un résumé de ce qu’ont vécu 11 locataires âgés de 64 à 84 ans qui ont obtenu en partie gain de cause à la suite de démarches entreprises devant le Tribunal du logement (TAL).

À l’été 2015, les futurs locataires de la RPA ne se connaissent pas. Chacun envisage individuellement la possibilité de déménager dans une nouvelle résidence privée pour aînés (RPA) au cœur du quartier de Rosemont. À l’occasion des portes ouvertes, on leur expose que les locataires de la RPA bénéficieront d’un immeuble à logements neuf et que les seuls frais afférents seront ceux de câblodistribution et de repas, à raison d’un repas par jour 5 jours/semaine. Ils sont également informés que les locataires à revenu modeste souhaitant bénéficier d’une subvention pour leur loyer par le biais du programme de supplément au loyer (PSL) devront payer les frais liés au repas quotidien. Les futurs locataires signent un bail de logement, sûrs d’avoir trouvé un logement convenable.

Dès octobre 2015, ils constatent que la nourriture est de mauvaise qualité, que le comptoir à salade, qui avait pourtant été promis, est retiré et que les repas ne sont pas servis les jours fériés et de congé des employés de la cuisine. Rapidement, ils sollicitent une rencontre avec la locatrice. Dans les mois suivant cette rencontre, un comité menu est mis sur pied, un sondage est réalisé par la direction, des manifestations sont organisées par les locataires, une association de défense des droits des retraités met en demeure la locatrice de fournir des repas de qualité toute l’année, et le cuisinier est remplacé à l’été 2017.

Mais, au-delà des insatisfactions liées à la piètre qualité des repas, ce qui indispose sérieusement les locataires c’est la modification apportée au bail qu’ils ont signé.

Démarche nécessaire

En septembre 2017, ils déposent une demande au TAL. Ils réclament le remboursement d’une partie des loyers payés sans avoir obtenu les repas prévus au bail, des repas de meilleure qualité, le remboursement des frais pour la nourriture qu’ils ont achetée afin de combler leurs besoins alimentaires, ainsi que des dommages-intérêts pour les torts qu’ils estiment avoir subis. En avril 2024, le TAL leur donne raison en partie et accorde à chacun le remboursement des repas payés, mais dont ils n’ont pas bénéficié, et des dommages moraux, en plus des frais reliés à l’ouverture de leur dossier au TAL.

Faits à l’origine

L’immeuble de la RPA compte 179 logements subventionnés ou abordables. Il vise trois clientèles différentes, notamment celle qui bénéficie du PSL. Celle-ci doit obligatoirement souscrire à l’offre de services alimentaires dispensés par la locatrice et offerts à un coût mensuel fixe.

Dès janvier 2016, les locataires interpellent la locatrice et forment un comité menu. En avril 2016, ils s’adressent au président du conseil d’administration en exposant que les repas ne sont fournis que 48 semaines par année et que la qualité est totalement insatisfaisante. Quelques jours avant Pâques 2016, les locataires reçoivent un communiqué indiquant que les repas ne seront fournis que 48 semaines par année malgré qu’ils doivent payer pour 52 semaines, ce que leur bail ne précisait pas.

Au cours de 2016 et 2017, les locataires se réunissent avec la locatrice à plusieurs reprises pour discuter de la situation. Ils expriment leur mécontentement par diverses démarches: manifestations, réunions, pétition, puis, par une mise en demeure à la locatrice. Rien n’y fait. La locatrice refuse de reconnaître qu’elle a modifié une condition du bail… même à l’audition.

Audition devant le TAL

Pour introduire leur demande de réclamation, chaque locataire doit se rendre en personne à la Régie du logement (désormais le TAL). Il doit signer un formulaire et payer les frais d’ouverture de dossier. Par la suite, et pour chaque journée d’audition, les locataires reçoivent une convocation écrite par courrier recommandé du TAL. Ils se présentent ensemble. Ils demandent au tribunal de réunir leurs demandes, une requête assez courante. La locatrice, représentée par avocat, s’y oppose. Les locataires décident d’être représentés par avocate.

Ils obtiennent par la suite la permission de modifier leur réclamation initiale. Ils consacrent des heures à retrouver leur bail, à se remémorer les faits, à les organiser par écrit et mentalement pour éventuellement livrer un témoignage convaincant et cohérent. Ils se préparent du mieux qu’ils le peuvent, malgré les difficultés de santé qui surviennent chez certains, les décès dans la famille, l’âge parfois avancé.

L’audition de la cause s’échelonne sur sept jours, entre 2020 et 2023. Les reports sont fréquents au TAL. Il faut tenir compte des horaires: juge, TAL, avocats et parties. Les locataires doivent être présents pour chaque journée d’audition.

Lorsqu’ils livrent leur témoignage, les locataires «relatent avoir ressenti un fort sentiment de surprise et d’indignation en apprenant à l’hiver 2016 qu’ils ne bénéficieront d’un service alimentaire que 48 semaines par année, sans réduction du coût des services alimentaires prévu au bail. Cette information leur a été transmise par la voie d’un communiqué affiché dans l’immeuble.» [i].

Ils témoignent de leurs échanges avec la locatrice, de leur participation aux manifestations pour dénoncer la piètre qualité des repas et du peu d’écoute de la locatrice, des montants qu’ils réclament, des désagréments que cela leur a causés. Ils exposent leurs récriminations, avec émotion parfois.

Des difficultés surviennent lors des contre-interrogatoires: problème à entendre la question, à la comprendre, ou à y répondre adéquatement. Ils consacrent des journées entières de leur temps pour être présents dans une salle d’audience, lieu qui ne leur est pas familier. Certains doivent s’absenter en raison de leur état de santé. D’autres doivent être représentés parce qu’ils sont incapables d’assister à une journée ou l’autre. Finalement, les énergies déployées portent fruit: le tribunal leur donne raison en partie.

Principes applicables

La loi s’applique à toute personne, qu’elle soit âgée de 65, 75 ou 85 ans. L’exercice des droits est ouvert à toute personne, qu’elle soit malade, hospitalisée, assistée par une personne proche. Cet exercice comporte parfois des difficultés et les locataires de cette RPA de Rosemont y ont fait face et ils ont revendiqué leurs droits jusqu’à la fin, sachant qu’ils n’obtiendraient vraisemblablement pas tous les dommages-intérêts qu’ils réclamaient.

Modification d’un bail de logement

En matière de bail de logement, le législateur a établi des principes importants qui sont énoncés au Code civil. La modification d’une condition à un bail résidentiel doit être transmise aux locataires dans des délais précis, et ceux-ci disposent également d’un délai précis pour y répondre. En l’espèce, lorsqu’elle envoie son avis de modification du bail, la lettre de la locatrice de la RPA énonce:

«Options de réponse:

Les possibilités de réponse à l’avis sont:

    • J’accepte le renouvellement du bail avec les modifications;
    • Je ne renouvellerai pas mon bail et je quitterai le logement à la fin du bail (30 juin 2016)
    • Selon la clause F du bail qui restreint le droit à la fixation de loyer parce que l’immeuble est construit depuis 5 ans ou moins, le refus d’une modification oblige le locataire à déménager à la fin du bail. (30 juin 2016)» [ii]
  • [38] Aucun des locataires n’a refusé les conditions de l’avis, mais plusieurs témoignent s’être sentis obligés d’accepter les conditions de la locatrice, n’étant pas en position de les refuser et de partir.
  • [39] Les locataires se sentent lésés et impuissants face à cette situation, laquelle perdure depuis 2016.»

Les locataires étaient coincés: ils devaient soit quitter leur logement, soit accepter la modification et payer des repas toute l’année, mais ne les recevoir que pour 48 semaines.

La loi prévoit que la clause F d’un bail de logement ne s’applique que dans le cas d’un immeuble construit depuis 5 ans ou moins. Tel était le cas de la RPA. Or, la clause F ne peut pas être invoquée s’il s’agit d’un bail à loyer modique. En l’espèce, il s’agissait de logements à loyer modique, supportés par des programmes et bénéficiant de subventions.

Le TAL conclut donc que la locatrice ne pouvait pas opposer la clause F aux locataires:

  • [163] «Il était donc erroné de laisser entendre aux locataires qu’ils ne pouvaient contester la modification de leur bail et qu’ils devaient, en cas de refus, quitter le logement.
  • [164] L’avis de modification des conditions du bail n’était pas conforme aux prescriptions légales. Les locataires ont été privés de leur droit de contester la modification demandée par la locatrice et de s’adresser au Tribunal.»

Au surplus, la locatrice ne convainc pas la juge dans ses explications sur son avis de modification pour réduire la période pendant laquelle les services alimentaires leur étaient fournis:

  • [170] La thèse selon laquelle la locatrice souhaitait simplement préciser le contenu du bail est faible, peu probante, et semble plutôt constituer un argument confectionné a posteriori, pour répondre de la position des locataires.»

De fait, le bail ne précisait pas que les repas seraient servis à raison de 52 semaines par année. Si l’intention était de dispenser des repas pendant 48 semaines plutôt que 52, le bail des locataires ne le reflétait pas; de quoi susciter l’indignation des locataires en sus de leur colère. À tout événement, comme l’écrit la juge:

  • [175] «s’il existe un doute sur l’interprétation d’une clause du contrat de bail, la loi prévoit qu’elle s’interprète en faveur du locataire [art. 1432 CcQ].
  • [176] Le Tribunal conclut donc que les locataires n’ont pas consenti à payer des services alimentaires 20 jours par année sans que ledit service ne leur soit offert.»

La demande des locataires est bien fondée et la juge leur accorde le remboursement du coût mensuel de 20 repas par année à compter de la signature de leur bail en 2015.

Dommages moraux pour compenser le préjudice subi par les fautes de la locatrice

Si les locataires n’ont pas réussi à convaincre le TAL que la qualité des repas était nettement insatisfaisante (tous les goûts sont dans la nature) malgré leurs témoignages et une pétition de près de 180 signataires, ils ont néanmoins réussi à démontrer qu’ils ont subi un préjudice découlant du comportement de la locatrice. Le TAL leur accorde une compensation pour les raisons qui suivent:

  • [250] Toutefois, les mandataires de la locatrice ont commis une faute dans l’exercice de leurs obligations contractuelles en exigeant sans droit que la locatrice soit payée pour des services alimentaires non offerts.
  • [251] Pour ce faire, ils ont trouvé appui sur la clause vague et imprécise des baux des locataires, dont une interprétation raisonnable ne pouvait pourtant les conduire à obliger ces derniers à payer pour des services non rendus.
  • [252] Les protestations des locataires en 2016 ont manifestement dirigé l’attention des mandataires de la locatrice sur le contenu de leurs baux.
  • [253] Plutôt que d’admettre l’existence d’une erreur, considérant l’imprécision et la confusion générée par la clause liée aux services alimentaires, ils choisissent de la camoufler en usant d’un avis de modification des conditions du bail que les mandataires de la locatrice persistent d’ailleurs à présenter comme un simple effort pour préciser le contenu du bail des locataires. Ce qui n’est de toute évidence pas le cas.
  • [254] Ils se sont, de plus, erronément référés à la clause F lors du renouvellement du bail […] en []2016, privant ainsi les locataires de leur droit de contester la modification de leur bail.
  • [255] Jusqu’à la période de reconduction 2021-2022 [1], les locataires ont bien malgré eux dû accepter les conditions de la locatrice, pour ne pas perdre leur logement. Ils ont été contraints de payer un service d’alimentation pour 52 semaines, tout en ne le recevant que pour 48 semaines.
  • [256] Le Tribunal décèle dans cette trame narrative un manque de transparence, un effort des mandataires de la locatrice de dissimuler une erreur pour éviter d’en assumer les conséquences.
  • [257] Cette situation a causé stress, frustration, sentiment d’injustice pour les locataires. Le Tribunal estime que la somme de 500$ dédommage adéquatement chacun des locataires au présent chapitre.»

Réflexions

La situation des aînés en RPA continue de nous interpeller. Cette situation vécue par des locataires tenaces et déterminés en constitue un bon exemple. Elle démontre que les aînés ont raison de faire valoir leurs droits. Les baux des immeubles à logements des RPA, à loyer modique ou non, peuvent contenir des informations imprécises et incomplètes. Cet exemple confirme que le TAL sanctionne le camouflage, les clauses vagues et imprécises et les avis erronés.

Les locataires aînés devraient pouvoir compter sur la bonne foi des locateurs de RPA. Ils devraient pouvoir obtenir des explications claires, avoir accès à des personnes qui puissent les éclairer de manière désintéressée sur le contenu du bail, sur leurs droits et leurs devoirs. Une enquête menée par des chercheuses il y a plus de 10 ans avait révélé des irrégularités dans les baux des RPA [iii]. Force est de constater que la situation est loin d’être réglée et que la vigilance, l’information et la connaissance sont les meilleurs moyens pour éviter des difficultés et des recours devant les tribunaux.

Face à des entreprises multinationales qui s’investissent dans les RPA, les locataires aînés sont souvent intimidés et hésitent à parler ou à faire valoir leurs droits. Les exploitants des RPA sont plus forts financièrement certes, mais le droit doit prévaloir. La situation décrite ci-dessus révèle que les locataires à faible revenu peuvent être victimes de fautes, et peuvent se faire entendre et avoir gain de cause. Il s’agit d’un bon exemple où les aînés ont eu raison de ne pas attendre en silence, ce qui leur est parfois reproché.


[1] Correspondant à la fin de la période visée par la réclamation pour la majorité des locataires.

[i] Duval c. Habitations Loggia Pelican, 2024 QCTAL 13268, par. 32.

[ii] Op. cit., par. 38.

[iii] Marie Annik Grégoire, «Les baux en résidences pour personnes âgées: quelle effectivité pour la protection des droits?» (2016) 46 RGD 277.