Mais qui est chargé de la sécurité des personnes hébergées ?

Les décès surviennent par dizaines chez les personnes âgées hébergées et pourtant on appelle des renforts pour aider ceux dont le bien-être a été confié à des milieux de vie substituts afin qu’on réponde à leurs besoins. Le réveil est plutôt brutal pour celles et ceux qui ignoraient à quel point certains centres étaient incapables de répondre adéquatement à ces besoins. Il y a eu des mises sous tutelle, des enquêtes administratives et criminelles, des enquêtes épidémiologiques en cours, et celles du coroner suivront afin de révéler les causes et les circonstances de ces décès.

 

La sécurité des personnes hébergées en milieux de vie substitut

La loi impose aux centres d’hébergement publics (CHSLD) de fournir un milieu de vie substitut sécuritaire, temporaire ou permanent, aux personnes qui ne peuvent plus vivre dans leur milieu de vie naturel [1]. Aux résidences privées, on impose une certification et un permis d’exercice délivré par le ministre desquels découle aussi un devoir de sécurité [2].

Quant aux professionnels de la santé, ils ont le devoir de fournir des soins avec compétence et prudence. Tous ont un devoir de non-abandon. Ce devoir est d’autant plus important puisqu’ils ont à charge des personnes vulnérables, dont l’autonomie, la dignité et l’intégrité sont menacées en raison de leur état de santé. Et lorsqu’elles vivent dans des situations qui les placent plus à risque, comme une pandémie, elles doivent être protégées.

Assurer la sécurité des personnes âgées hébergées est avant tout l’affaire des directions des centres d’hébergement, mais aussi celle des centres intégrés de santé, des professionnels, des comités de gestion des risques et de lutte contre les infections, du commissaire local aux plaintes et à la qualité des services et même du Gouvernement. Les comités d’usagers, les représentants légaux des résidents, les familles et le Protecteur du citoyen agissent tous comme des chiens de garde de ce devoir de sécurité.

 

Sécurité, protection et dignité des personnes hébergées

La Charte québécoise énonce : « Toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit […] à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu. » [3]. Ce droit constitue « un moyen de leur garantir qu’elles seront traitées dans le respect de leur dignité. » L’objectif « est d’assurer aux personnes âgées vulnérables qu’elles seront protégées de toute situation d’abus, qui se traduirait notamment par une déconsidération, une humiliation ou un manque de respect à leur égard, afin de leur permettre de vivre dans la dignité. » [4].

La notion de « dignité » renvoie à l’idée de la reconnaissance qu’un être humain possède un minimum de bien-être pour vivre. Ainsi, les tribunaux doivent condamner les actes portant atteinte à la dignité de personnes hébergées et totalement dépendantes [5].

En prenant en charge les soins et les services des personnes hébergées, le Gouvernement et les centres de soins de longue durée endossent le devoir d’assurer leur sécurité. Ils doivent remplir avec diligence ce devoir envers une clientèle fragile, qui a un droit égal de bénéficier d’une délivrance sécuritaire de soins malgré leur handicap ou leur âge avancé [6].

 

Renforcer les moyens d’assurer la sécurité des personnes hébergées

Les récentes actualités nous ont démontré que la sécurité des personnes hébergées passe par la présence d’employés bien payés [7], c’est-à-dire de personnel en nombre suffisant et dédié à travailler auprès d’une clientèle malade, fragile et dépendante, et ayant reçu une formation sur les devoirs envers les bénéficiaires. Le tout doit être accompagné d’une direction déterminée à assurer le respect de la sécurité et de la protection des résidents. Le débat sur la valorisation des soins en CHSLD existait bien avant la pandémie [8] et la tragédie actuelle nous indique qu’un redressement sera nécessaire pour obtenir une société réellement juste [9].

Depuis longtemps au Japon, les « jeunes vieux » s’occupent des « vieux vieux ». [10] Certains pays ont récemment pris la décision de confier à des robots des tâches pour assurer la sécurité des patients en milieu de soins [11]. La pandémie doit nous forcer dès maintenant à trouver des solutions novatrices à la sécurité des aînés. Peu importe l’issue de la crise, il sera important d’apprendre de cette catastrophe et de passer à l’action de manière collective.


[1] Loi sur les services de santé et services sociaux, LRQ, c. S-4.2, art. 3, 5, 8, 83, 100.

[2] Loi sur les services de santé et services sociaux, LRQ, c. S-4.2, art. 346.0.1 et s.

[3] Charte des droits et libertés de la personne, LRQ, c. C -12, art. 48.

[4] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Duhaime) c Satgé, 2016 QCTDP 12 CanLII, par 235, JE 2016-1371.

[5] Curateur public du Québec c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211 ; Commission des droits de la personne c. Brzozowski, [1994] R.J.Q. 1447 (TDPQ).

[6] Conseil pour la protection des malades et Daniel Pilote c. CISSS de la Montérégie est et autres et P.G. Québec, 23 septembre 2019 (action collective autorisée) ; Eldridge c. Colombie britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624.

[7] Maire-Michèle Sioui, « Des préposés de résidences pour aînés font la grève dans l’espoir d’obtenir 15$ l’heure », Le Devoir, 31 mai 2016, A 6.

[8] Ghislaine Desrosiers, « La valorisation des soins en CHSLD : un incontournable » Perspective infirmière, mars-avril 2004, 8-9.

[9] Handicap Vie Dignité, « Recommandations visant à améliorer la qualité des services à domicile et des services offerts dans les CHSLD, les résidences intermédiaires et les résidences privées, destinées aux personnes âgées vulnérables et autres personnes ayant des incapacités significatives persistantes », issues de la Conférence HVD 2018 « Ensemble vers la bientraitance », 10 février 2020.

[10] L. Trahan, M. Bolduc, S. D’Annunzio, « L’orientation dans les établissements d’hébergement » et L. Garault et M. Bolduc « Le désengagement des proches : mythe et réalité » (1990) Santé Société vol.12, 31-35.

[11] https://www.linkedin.com/feed/news/robots-join-the-coronavirus-fight-4815956/