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Les corridors du Palais de Justice sont vides. Nous nous dirigeons au 15e étage et entrons dans une salle où se trouve un écran qui permettra de communiquer avec l’hôpital. Deux témoins seront entendus à distance et dans la salle, un témoin sera aussi entendu pour soutenir la demande de l’hôpital.

L’hôpital souhaite obtenir une autorisation pour traiter Julien avec des médicaments antipsychotiques pour une durée de 3 ans. Julien s’oppose à cette demande et ses chances de succès sont minces, mais il opte néanmoins pour accéder à une audition devant le juge, qui tranchera.

Une heure s’écoule avant que la cause ne soit entendue, un délai attribuable aux connexions électroniques instables, à la méconnaissance de la technologie par les utilisateurs et à l’absence de vérifications et d’essais préalables. À l’autre bout de la ville, les témoins perdent de précieuses minutes à tenter de se connecter. Plusieurs mois après avoir instauré ce système, les auditions à distance présentent encore des ratés, mais Julien patiente comme tous les autres.

Vivre une audition devant la Cour

L’hôpital débute sa preuve. À travers la caméra, la visibilité des témoins est inadéquate et le son demeure problématique, malgré les nombreux ajustements. Pour les professionnels de la santé, Julien est schizophrène et doit recevoir une médication ordonnée par le tribunal, pour une période de 3 ans, sinon il va cesser de la prendre. Ils font valoir que c’est dans son intérêt.

Au soutien de sa défense, Julien sera le seul à témoigner. Il explique dans ses mots pourquoi il ne veut pas l’ordonnance de la Cour et pourquoi il a finalement accepté de prendre la médication depuis près de 2 mois. Il explique aussi pourquoi il a arrêté de la prendre 8 mois auparavant. Il conclut que la médication calme son anxiété et, que pour cette raison, il entend continuer de la recevoir. Elle ne lui cause pas d’effets secondaires vu la faible dose. Il admet même qu’elle lui apporte certains bienfaits.

Julien reçoit l’écoute du tribunal. Il répond calmement dans ses mots aux questions portant sur les raisons de son hospitalisation et sur son appel au 911 alors il craignait son voisin. Les policiers ont trouvé que Julien se faisait des idées sur le danger que posait le voisin alors que c’était plutôt Julien qui était dangereux. Il a donc été transporté à l’hôpital où on l’a gardé contre son gré. Il y a suivi des séances de psychothérapies et a accepté la médication. Puis, il a quitté l’hôpital, car il ne présentait plus de danger.

Accepter l’aide et s’organiser

Depuis, il s’entraîne tôt le matin dans un parc à Montréal et sa mère lui a trouvé un logement. Il reconnaît l’aide qui lui a été offerte. Il témoigne calmement et explique sa vision des choses au juge, sans hargne ni reproche envers ceux qui présentent la demande à la Cour.

Julien est âgé de 30 ans. Il reconnaît qu’il manque d’organisation, qu’il peut être impulsif, qu’il est sensible aux propos des gens qui l’entourent et qu’il n’aime pas quand on rit de lui. Il sait que ses réactions impulsives se manifestent en fonction de l’environnement dans lequel il se trouve. Il souffre d’un trouble de déficit de l’attention (TDA) et ça n’aide pas la situation.

Il a peur de la médication, car il a lu que les antipsychotiques affectent le volume du cerveau des individus qui en consomment — ce que le psychiatre a confirmé à l’audition. Il a lu que l’hôpital demande à être autorisé pour lui administrer pendant 3 ans tout type d’antipsychotiques, et tout adjuvant pour pallier les effets secondaires, au gré des décisions médicales. Il a peur d’être un cobaye et craint une erreur de dosages. Bref, il refuse que la Cour émette une ordonnance pour 3 ans. Il veut préserver sa capacité de choisir et prend l’engagement de continuer à recevoir la médication parce que c’est son choix.

À la fin de l’audience, le juge a pris la cause en délibéré. Il devra trancher la question de savoir si Julien refuse catégoriquement la médication ou pas. Il a 6 mois pour rendre sa décision.

Jugement à venir

Avant d’émettre une ordonnance de soins, les tribunaux doivent être convaincus du refus catégorique par la personne. Ils doivent déceler si la prise de médication est une position stratégique ou une tactique devant la Cour pour dissimuler un refus catégorique de soins. Dans tous les cas, comme l’énonçait la Cour d’appel : « Une personne a le droit fondamental de contester une demande d’émission d’une ordonnance de traitement. Elle a droit de témoigner, de faire appel à des experts et de se faire représenter par des procureurs. […] Le refus catégorique doit s’évaluer principalement à partir des faits qui découlent des interactions avec l’équipe traitante. Un juge peut évidemment apprécier ces faits à la lumière des témoignages, incluant le témoignage de la personne visée. » [1]

L’histoire de Julien interpelle. Une première ordonnance de soins mène souvent à une deuxième, puis une troisième. Julien est sorti de l’audience la tête haute, car il a été écouté par la Cour. Ses chances étaient minces, mais il a gagné une manche : l’ordonnance judiciaire n’a pas été émise.

Sa situation révèle un principe que j’applique dans tous les mandats qui me sont confiés. Écouter la personne et lui permettre d’exposer son point de vue devant la Cour, après avoir été informé des critères qui seront pris en considération par le tribunal, des chances de gagner et des risques de perdre.

Mais l’histoire de Julien révèle aussi la tendance à catégoriser une personne lorsqu’elle reçoit un diagnostic de maladie. On va rapidement déduire l’apparition d’un comportement possible à partir de nos connaissances générales. Pourtant, il est sage d’éviter la généralisation et de retenir que la personne n’est pas le diagnostic. Le comportement humain peut varier malgré le même diagnostic et le diagnostic d’une maladie peut changer avec le temps. Il serait important de privilégier le respect la personne avant tout.


[1] M.H. c. CIUSSS CN, 2018 QCCA 1948, par. 69-70.