C’était il y a quatre ans. Simone était hospitalisée au CHUM depuis 200 jours. Le centre hospitalier universitaire voulait obtenir une autorisation de la cour pour son hébergement, ce à quoi s’opposait fermement Simone.
Faits à l’origine
Simone vit seule dans son appartement. Elle reconnaît qu’elle ne peut plus tout faire et s’organise pour avoir des services à domicile. Un homme de ménage et de confiance vient toutes les deux semaines. Simone fournit une automobile et une carte de débit à sa cousine qui fait ses courses. Son banquier reçoit ses instructions par téléphone.
Elle s’entretient aussi tous les jours avec Jean-Charles, un ami qu’elle connaît depuis 70 ans.
Simone doit recevoir tous les jours une soignante du CLSC pour le changement d’un sac de stomie, installé depuis 10 ans. Quand elle a un besoin urgent de santé, elle compose le 811 pour des services qui ne viennent pas toujours bien qu’ils soient essentiels. Mais, ce qui préoccupe le plus dans la situation de Simone, ce sont ses chutes répétitives à la maison. Des accidents la forcent à appeler le 911, à la suite desquels elle est transportée à l’hôpital.
Après trois hospitalisations pour cause de chutes au cours de la même année, le centre hospitalier entreprend des évaluations qui concluent à des atteintes cognitives et un début de démence, puis demande à la cour à ce que Simone soit transférée dans un centre d’hébergement, lieu de résidence qu’il juge plus sécuritaire. C’est dans ce contexte que Simone reçoit la demande judiciaire et décide de prendre une avocate pour se défendre et faire valoir ses droits.
Audition devant la Cour supérieure
L’audience commence un après-midi. Le centre hospitalier dépose cinq rapports d’évaluation qui concluent que Simone a perdu ses capacités cognitives au point de ne pas comprendre que l’avenue de l’hébergement constituerait pour elle le meilleur et le seul choix sécuritaire. Il fait entendre trois témoins. Des contradictions émergent des rapports médicaux et des témoignages des professionnels, notamment auprès du neurologue qui conclut à un léger déclin cognitif, à une inaptitude partielle à administrer ses biens et à une autocritique faible plutôt qu’une absence d’autocritique. Puis la travailleuse sociale du centre doit admettre qu’elle ne connaît pas le domicile de Simone et très peu l’entourage qui l’assiste au quotidien.
Après les contre-interrogatoires des professionnels, l’audience reprend deux jours plus tard. Simone doit revenir à la Cour. Son ami Jean-Charles aussi. Transport, organisation, température froide : nous sommes en décembre et les témoignages se faisaient alors à la cour plutôt qu’à distance.
Le centre hospitalier continue d’étaler sa preuve et ce n’est qu’en fin d’après-midi que Simone entame son témoignage.
Frêle et fragilisée par une longue hospitalisation, privée de sa liberté et de son environnement normal, confrontée à l’opposition en bloc des professionnels évaluateurs — neurologue, neuropsychologue, ergothérapeute, physiothérapeute, travailleuse sociale — Simone explique comment on a procédé à l’évaluation de ses capacités cognitives pendant son hospitalisation, comment elle s’organise à domicile, ce qu’elle comprend de la demande devant le tribunal et pourquoi elle refuse l’hébergement.
Pour être crédible, son témoignage doit être livré sans l’influence de quiconque, sans questions suggestives, sans trop de répétitions et sans contradictions. Il faut lever la voix quand on lui parle, car son appareil auditif fonctionne mal. Elle se tient debout devant la cour, élégante dans des vêtements qui dégagent son bon goût.
Simone a une assez bonne mémoire. Elle relate les circonstances de son dernier accident à domicile, ses efforts pour appeler le 911, alors qu’elle se retrouve au sol, seule dans son appartement, et la raison pour laquelle elle accepte d’aller à l’hôpital.
Elle précise l’organisation de son lieu de vie : sept pièces meublées, avec du tapis, trois cannes et une marchette pour usage au besoin, des téléphones dans chaque pièce pour appeler en cas d’urgence, une cuisine sécuritaire incluant un tabouret pour atteindre les tablettes plus hautes, un collier Alerte pour aviser un système extérieur qu’elle a besoin d’aide, qu’elle ne porte pas question d’inconfort. Les photographies de son domicile inspirent le confort, l’organisation et la sécurité.
Simone ne reconnaît pas les diagnostics qui ont été posés. Elle refuse d’admettre qu’elle s’est blessée en raison d’une chute. Son déni ne vise qu’à se défendre dans le contexte de la demande d’hébergement. Elle se sent harcelée par la travailleuse sociale du centre hospitalier en qui elle n’a plus confiance et elle refuse d’entendre le mot hébergement.
« Son témoignage est précis, franc, nuancé et sans détour. Pour elle, être hébergée ailleurs signifierait la déportation et la renonciation de son chez-soi et de tous les souvenirs qui l’habitent; elle désire s’éteindre à cet endroit. »
Elle explique pourquoi elle veut retourner chez elle : elle ne veut pas finir sa vie dans un mouroir. Le juge écoute attentivement, scrute ses expressions, lui pose quelques questions, use de patience. Il conclut qu’elle comprend sa situation.
Du témoignage de Jean-Charles se dégage son respect envers Simone, une confiance mutuelle de longue date malgré des points de vue différents et les obstinations de Simone. Il l’accompagne dans sa démarche devant le tribunal. Pour lui, Simone comprend très bien la demande du centre hospitalier. Il explique en quoi elle pourrait retourner vivre de manière sécuritaire chez elle.
Après les contre-interrogatoires de Simone et de Jean-Charles par le centre hospitalier, ce dernier propose une négociation hors cour. Simone refuse, car cette négociation inclut la possibilité d’un hébergement en cas d’échec suite à son retour à domicile. Le tribunal suspend alors l’audience et rédige son jugement qu’il livrera verbalement. Le jugement est rendu le vendredi 16 décembre 2016 à 20 h 30. C’est aussi le jour d’anniversaire de Simone qui a 96 ans.
Jugement
Les témoignages de Simone et de son ami Jean-Charles réduiront à néant les prétentions du centre hospitalier universitaire voulant qu’elle ne comprenne pas la demande devant le tribunal et qu’elle soit inapte à prendre ses propres décisions et à administrer ses biens.
Le tribunal conclut que Simone comprend l’objectif de l’orienter vers l’hébergement pour des motifs de sécurité. Il note qu’elle paie ses comptes, est entourée de personnes, cuisine occasionnellement, utilise sa canne et aussi ses meubles comme appui. Il ne peut voir une inaptitude justifiant un hébergement. Il privilégie la réalité du vécu de Simone qui montre une organisation certaine à des simulations hors contexte du milieu de vie naturel — allusion faite selon laquelle Simone n’avait pas réussi à cuire un œuf au plat lors d’une évaluation à l’hôpital —, d’où on tire des conclusions sévères et préjudiciables à l’endroit de Simone afin d’assurer, avant tout, sa sécurité. Le juge écrit :
[36] Il est vrai que la plupart de ses facultés sont diminuées, mais ceci n’en fait pas une personne inapte. Le processus de vieillissement de la personne avec tout ce qu’il comporte en termes d’amoindrissement de capacité ne rend pas en soi une personne inapte. »
[38] Il se peut fort bien que son maintien à domicile puisse abréger sa vie. C’est le choix qu’elle exprime de vivre dans un environnement qu’elle connaît que de tenter d’en apprivoiser un autre pouvant optimiser sa longévité de vie mais l’arrachant à son environnement qui lui est cher.
[39] La question n’est pas de déterminer ce qui est le mieux pour la défenderesse selon le regard de professionnels mais plutôt de respecter la conduite de sa vie selon son propre regard. »
Enseignements tirés de l’histoire de Simone
L’histoire de Simone permet de souligner les difficultés fréquemment rencontrées lors de ces demandes à la cour et de dégager des constats :
- la défense de ses libertés fondamentales constitue un défi;
- l’isolement d’une personne âgée n’équivaut pas inévitablement à une situation à risque;
- la position des soignants, malgré leurs meilleures intentions et leur poids, n’est pas toujours partagée par le tribunal;
- la personne visée par une demande d’hébergement a de meilleures chances de succès si elle est accompagnée et assistée dans son quotidien et devant la cour;
- la détermination de l’inaptitude d’une personne ne relève pas exclusivement des soignants;
- les rapports des professionnels éclairent, mais il leur revient de convaincre le tribunal;
- le tribunal décide de l’inaptitude d’une personne avant de la contraindre à un centre d’hébergement;
- le tribunal a le devoir de donner l’occasion à la personne de s’exprimer et d’être entendue;
- la compréhension qu’a la personne de son bien-être et de son intérêt a beaucoup de poids dans la décision du tribunal;
- le tribunal rend une décision qui est dans l’intérêt supérieur de la personne.
Au-delà de ces constats, il faut se questionner sur les motivations à imposer l’hébergement à une personne âgée qui le refuse, sachant que celle-ci démontre une organisation et un accompagnement dans un contexte de perte d’autonomie.
D’une certaine façon, l’histoire de Simone révèle la ténacité du paternalisme médical persistant. Des histoires comme celle de Simone se répètent, même en décembre 2020, même en temps de pandémie. C’est comme si le réseau, surchargé, fragilisé, aux prises avec des cas de contamination dans ses centres hospitaliers, s’acharne à avoir raison alors que les situations de fait révèlent une organisation permettant d’assurer la sécurité du logement, la collaboration de la personne et la participation de son entourage lors d’un retour à domicile.
Se pourrait-il que les soignants peinent à reconnaître l’importance du rôle des proches aidants, de leurs connaissances et de leurs disponibilités pour pallier les pertes cognitives et les inaptitudes partielles dans le but avoué d’offrir un lieu de résidence raisonnable à une personne âgée et bien-aimée? Souhaitons que la réforme législative de l’automne conduise à de la formation et à un changement de mentalités.