On entend généralement de la « prescription » qu’elle est médicale, c’est-à-dire complétée par un médecin et remplie à la pharmacie. Pourtant, la prescription légale existe et constitue une notion importante. Elle fait référence à un délai d’échéance. Elle définit le délai à l’intérieur duquel une personne peut exercer un recours en justice après quoi, son droit d’action échoit. Le Code civil du Québec et certaines lois fixent les prescriptions légales.
Pour les victimes d’agression sexuelle, le délai pour intenter une réclamation civile à l’endroit de l’auteur a longtemps été de trois (3) ans, soit la règle générale applicable aux victimes d’un préjudice corporel (art. 2926 CcQ). Le Code civil a été modifié pour étendre le délai applicable pour toute réclamation liée à un préjudice en matière d’agressions sexuelles à 30 ans :
2926.1. L’action en réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle se prescrit par 10 ans à compter du jour où la victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte. Ce délai est toutefois de 30 ans si le préjudice résulte d’une agression à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance, ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint.
En cas de décès de la victime ou de l’auteur de l’acte, le délai applicable, s’il n’est pas déjà écoulé, est ramené à trois ans et il court à compter du décès.
En juin 2020, le législateur a modifié la loi pour éliminer tout délai d’échéance dans le cas de réclamations liées à un préjudice en matière d’agressions sexuelles. Ce type de recours est devenu imprescriptible. La victime d’un préjudice corporel résultant d’une agression à caractère sexuel ne se voit plus imposer de prescription légale ou délai d’échéance de sa réclamation [1]. Comme l’énonçait la ministre de la Justice à cette époque, Sonia Lebel, cette abolition du délai de prescription vise à
« faciliter les recours civils contre les agresseurs ou toute autre personne dont la responsabilité pourrait être invoquée dans les cas d’agression sexuelle, de violence conjugale et de violence contre les enfants. »
Cette abolition est rétroactive et
« de manière exceptionnelle, les actions passées qui ont été rejetées parce que le délai de prescription était déchu, pour le seul motif que le délai de prescription était déchu, pourront être intentées à nouveau par les victimes, et ce, pour une période de trois ans à partir de l’entrée en vigueur de la loi. » [2]
Le 10 décembre 2020, dans le cadre d’une autorisation à exercer une action collective, la Cour d’appel a rappelé l’imprescriptibilité d’une réclamation pour les victimes d’agression sexuelle et écarté le débat sur quelque rétroactivité vu la loi adoptée en juin [3].
Ainsi, toute victime d’agression sexuelle alléguée, survenue en milieu de travail, dans le contexte d’une relation thérapeutique avec un professionnel de la santé, par exemple, d’une relation matrimoniale, ou en dehors de tout type de relation, peut intenter un recours civil contre son agresseur présumé sans qu’on lui oppose un délai de prescription. Elle peut également intenter une poursuite contre la succession de son agresseur allégué dans un délai de trois ans de la mort de ce dernier.
En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la victime. Il lui faut prouver la survenance de l’agression et les conséquences qu’elle subit, soit le préjudice. La victime doit relever ce fardeau selon la balance des probabilités (50 % +1), et non hors de tout doute raisonnable comme c’est le cas en matière pénale. En d’autres mots, pour réussir à gagner sa cause, la victime doit convaincre le tribunal que sa version des faits est plus probable que celle de son agresseur.
[1] Loi modifiant le Code civil pour notamment rendre imprescriptibles les actions civiles en matière d’agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l’enfance et de violence conjugale, LQ 2020, c 13, article 2.
[2] Québec, Assemblée nationale, « Projet de loi no 55 » Journal des débats, 42e législature, 1re session, Vol. 45, Fascicule n° 116, 5 juin 2020, pages 8145-8151, entre 11 h 30 et 11 h 40.
[3] Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania c. A, 2020 QCCA 1701, REJB 2020-368297, par. 25-30. Loi modifiant le Code civil pour notamment rendre imprescriptibles les actions civiles en matière d’agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l’enfance et de violence conjugale, LQ 2020, c 13, article 4.