Le 26 janvier 2021, la Cour supérieure rendait une ordonnance de sauvegarde suspendant l’application du décret 2-2021 concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19. Cette ordonnance est bien fondée pour plusieurs raisons.
Ordonnance de sauvegarde
(ART. 49 C.P.C.)
Tout d’abord, les 3000 itinérants visés par la demande représentent une infime portion de la population québécoise.
Ils sont manifestement plus vulnérables aux infractions constituées par le décret imposant le couvre-feu puisqu’ils n’ont pas de domicile. Ainsi, sans domicile fixe, difficile de les condamner de ne pas respecter le couvre-feu.
Ils sont parmi les personnes les plus à risque entre autres puisqu’ils sont exposés aux intempéries de l’hiver, aux accidents de leur milieu de vie, aux interpellations policières, aux menaces de leur entourage, aux fermetures de métro et des refuges, aux accès limités pour prendre un peu de répit et l’énumération pourrait continuer.
Le fait qu’un homme itinérant ait été retrouvé sans vie dans une toilette chimique a assurément contribué dans l’esprit collectif à l’émission de l’ordonnance. Soulignons que dès son adoption, la portée du décret mettait à risque la vie, la sécurité et la santé des personnes en situation d’itinérance. Dans ce contexte, il est clair qu’il fallait corriger la situation.
Qu’un groupe d’avocats ait représenté la population itinérante en cour pour obtenir la suspension de l’application de la loi révèle un bel exemple de solidarité pour faire respecter les droits des plus démunis, sans contrepartie financière. La demande n’était pas contestée par le procureur général du Québec, soit. Mais, elle a certes permis de rappeler qu’une ordonnance de sauvegarde est émise lorsque les conditions satisfont aux exigences : statut légal pour présenter la demande, urgence à émettre une ordonnance, préjudice sérieux et irréparable pour les personnes concernées si l’ordonnance n’est pas émise, et balance des inconvénients à leur égard.
Il n’est donc pas étonnant de voir l’honorable juge Masse que l’on connaît pour sa rigueur, sa clarté et sa détermination pour rectifier des situations insensées rendre une ordonnance de sauvegarde aussi riche en réflexion, confirmant du coup que les tribunaux restent les gardiens de la liberté et de la dignité des personnes.
La pandémie que nous traversons est une tragédie humaine. Les personnes en situation d’itinérance vivent déjà une tragédie, rarement choisie. Leurs parcours de vie de la naissance à la situation de dépendance ou d’indépendance devraient susciter de l’empathie sinon de l’écoute, tout au moins. Ce jugement confirme qu’elles ont voix au chapitre. Nous ne pouvons que saluer les porteurs de la demande, qui ont fait bon usage de notre système de justice.