Au Québec, la demande pour des services à domicile commence au milieu des années 70. En réponse aux besoins des personnes en légère perte d’autonomie les centres de jour font leur apparition en 1974. Quatre ans plus tard, le gouvernement de René Lévesque crée un programme de maintien à domicile dont l’objectif est que le nouveau système sociosanitaire des CLSC prenne en charge « une responsabilité de premier plan, qui deviendrait l’une de leurs principales fonctions » [1]. Cette première initiative échoue en raison des compressions budgétaires et de la réduction des ressources dans les services de soutien à domicile. Une cause qui s’est répétée à maintes reprises depuis…

Mais qui dit échec dit nouvelle tentative de mettre en place une solution. En 1988, sur l’invitation de l’Association pour la santé publique du Québec, 400 intervenants font le point sous le thème « Le maintien à domicile : à la recherche d’un nouvel équilibre ». Les échanges portent sur l’accessibilité inégale, la faible intensité des services, la création de programmes de psychogériatrie à domicile, la reconnaissance de l’hôpital à domicile (HAD), l’opportunité de modulation des milieux de vie, l’implication des personnes âgées dans les orientations et les décisions (Âge d’Or, Forum des Citoyens Âgés), et le financement. Des thèmes qui deviendront encore une fois récurrents dans l’espace public.

En 1989, la ministre de la Santé, Thérèse Lavoie-Roux, constate que « la véritable ouverture sur le milieu et le mode d’intervention, annoncée dans plusieurs politiques ministérielles, tarde à se refléter dans l’organisation des services et l’allocation des ressources : le recours à l’hébergement et au placement en établissement demeure élevé ». Elle prépare et dépose la Politique de la Santé et du Bien-Être qui vise à favoriser le virage ambulatoire par laquelle le gouvernement propose certains changements pour créer une nouvelle dynamique, voire expérimenter des formules novatrices [2].

Critiques et enjeux contemporains

Pour plusieurs, cette politique s’inscrit dans une vision individualiste plutôt que d’être construite dans l’esprit d’une nouvelle responsabilité collective partagée [3]. Des études et des analyses convaincantes apportent un nouvel éclairage sur des enjeux bien contemporains. On y traite de la place des personnes âgées dans la société traditionnelle, du mythe du désengagement des familles envers les personnes âgées [4], du rôle central des femmes dans l’aide aux personnes âgées à domicile et de l’impact psychologique de la politique du maintien à domicile sur les aidants et les personnes âgées [5]. On soulève aussi le fait que les personnes âgées ne désirent pas nécessairement demeurer chez elles et que l’État cherche une solution vers un partenariat avec la famille [6], en plus d’identifier la possibilité d’appuyer des décisions sur des considérations éthiques ou d’équité au détriment de l’efficience [7]. Des enjeux qui, jusque-là, étaient demeurés dans l’ombre, mais qui se révèlent encore d’actualité.

La réorganisation des services de santé se bute aussi aux questionnements sur le nouveau partage des responsabilités entre les professionnels de soins, les patients et leur famille, et la délégation d’actes qui soulèvent de nouvelles questions éthiques, juridiques et de sécurité [8]. La réticence au changement de toutes les parties constitue ici aussi un obstacle, même quand il s’agit de préoccupations sérieuses.

On ne s’entend pas sur l’intensité des services et sur l’opportunité de la délégation des actes à domicile. Les sommes investies dans le domaine des soins à domicile, par rapport au budget global de la Santé au Québec, font qu’ils sont le parent pauvre.

Un nouvel objectif fondé sur la Loi?

En 1990, le nouveau ministre de la Santé, Yvan Côté prône à son tour une réforme complète, axée cette fois sur le citoyen. L’objectif est de « trouver des solutions aux lacunes du système actuel et d’atteindre une efficience dans l’utilisation des ressources et une efficacité dans la recherche de solutions des problèmes de santé et de bien-être ». La réforme vise à développer le maintien à domicile, mais le budget ne suivra pas la promesse. Elle recevra d’ailleurs un accueil plutôt froid du milieu médical [9]. La loi est donc remplacée en 1991 et énonce comme premier objet et premier article que :

« Le régime de services de santé et de services sociaux (…) a pour but le maintien et l’amélioration des capacités physique, psychique et sociale des personnes d’agir dans leur milieu et d’accomplir les rôles qu’elles entendent assumer d’une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie. »

Les lignes directrices de la Loi, entrée en vigueur en 1991, ne sont pas moins éloquentes :

  • la raison d’être des services de santé et services sociaux est la personne qui les reçoit
  • le respect de l’usager et la reconnaissance de ses droits et libertés doivent inspirer les gestes posés à son endroit
  • l’usager doit, dans toute intervention, être traité avec courtoisie, équité et compréhension, dans le respect de sa dignité, de son autonomie et de ses besoins
  • l’usager doit, autant que possible, participer aux soins et aux services le concernant
  • l’usager doit, par une information adéquate, être incité à utiliser les services de façon judicieuse

Pour donner suite à ses intentions, le Gouvernement a finalement adopté un Cadre de référence sur les services à domicile de première ligne en 1994. Mais les besoins et les clientèles ont continué à évoluer, de même que les fournisseurs de services : entreprises d’économie familiale (EESAD), entreprises et organismes publics. Ces changements ne seront pas une fin en soi, mais ils vont forcer encore une fois le gouvernement à réviser sa vision et son approche des services à domicile.

Plusieurs modifications vont avoir lieu par la suite et notre prochain article en présentera les grandes lignes.


[1] Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS, « L’armée manquante au Québec : les services à domicile » IRIS, octobre 2017, note socioéconomique.

[2] Ministère de la santé et des services sociaux, Document d’orientation (1989) Pour améliorer la santé et le bien-être au Québec, 1989, p.10.

[3] Josée Grenier, Mélanie Bourque, L’évolution des services sociaux du réseau de la santé et des services sociaux du Québec : la NGP ou le démantèlement progressif des services sociaux, Université du Québec en Outaouais, décembre 2014, p.69.

[4] Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires, « Une analyse critique de la Politique de la Santé et du Bien-être », (1993) Nouvelles pratiques sociales, vol. 6, no 2, Presses de l’UQAM, https://www.erudit.org/fr/.

[5] Rita Therrien, responsable de recherche à l’Université de Montréal, « La responsabilité des familles et des femmes dans le maintien à domicile des personnes âgées : une politique de désengagement ou de soutien de l’État », (1989) Santé mentale au Québec, vol. 14, no 1, 152-164; Paul Cauchon, « Et si l’amour ne suffisait pas… Jusqu’où doit aller la responsabilité de la famille dans la prise en charge des vieux et des malades? », Le Devoir, 20 décembre 1991, B1 (qui commente l’ouvrage de 3 universitaires en travail social de l’UQAM).

[6] Rita Therrien, « La responsabilité des familles et des femmes dans le maintien à domicile des personnes âgées : une politique de désengagement ou de soutien de l’État », (1989) Santé mentale au Québec, vol. 14, no 1, 152-164;

[7] Sylvie Rheault, économiste au MSSS, « Domicile ou hébergement? Quand les croyances prennent le dessus » (1994) Service social, vol. 43 no 1, 33-46.

[8] Éric Gagnon et autres, « Les soins à domicile dans le contexte du virage ambulatoire » L’infirmière du Québec, novembre/décembre 2002, 12-24.

[9] Josée Grenier, Mélanie Bourque, L’évolution des services sociaux du réseau de la santé et des services sociaux du Québec : la NGP ou le démantèlement progressif des services sociaux, Université du Québec en Outaouais, décembre 2014, p.56.