Face à la forte critique sociale, le Gouvernement de Jean Charest a lancé une vaste consultation publique sur les conditions de vie des aînés en 2007. Le rapport publié l’année suivante donnait lieu à deux constats : on doit mieux soutenir les aînés dans leur volonté de vivre chez eux, aussi longtemps que possible, et on doit réaffirmer la place des aînés dans la société et mettre l’accent sur la prévention. Parmi les recommandations du rapport, on retient celle du coprésident, le Dr Réjean Hébert, qui suggérait d’offrir une « prestation de soutien à l’autonomie », en nature lorsque l’aide provient du CLSC ou en argent pour que les personnes payent elles-mêmes les services ou dédommagent un proche aidant. On souhaitait ainsi que les services suivent la personne, plutôt que l’inverse.

À la suite de cette consultation, la ministre responsable des Aînés de l’époque, Marguerite Blais, s’était engagée « à donner suite rapidement au rapport » [1]. Cette politique a vu le jour cinq ans plus tard, en 2012. Mais entretemps, le ministre de la Santé a déposé un Plan stratégique sur cinq ans, dont l’objectif était notamment de « s’adapter à l’augmentation des besoins de l’ensemble des clientèles, y compris les familles et les proches aidants » [2]. Le Ministère souhaitait ainsi augmenter de 10% le nombre total d’heures de services de soutien à domicile offert. L’implantation de la politique s’est bien faite, mais les constats ont encore une fois été décevants.

Ainsi, le 30 mars 2012, la Protectrice du citoyen, Raymonde St-Germain, a rendu public un rapport d’enquête menée suite à une hausse importante de plaintes sur le soutien à domicile à long terme, notamment les services d’aide-domestique et d’assistance personnelle. Elle y indiquait être « vivement préoccupée » qu’il y ait tant d’écarts entre les principes et les orientations de la Politique de soutien à domicile de 2003, et la réalité vécue par les personnes qui présentent une incapacité significative et persistante. Ces écarts ont un impact sur les proches aidants et sur le réseau de la santé. La Protectrice a conclu que les aspects les plus problématiques sont : « l’insuffisance des heures de services alloués en fonction des besoins et les délais à recevoir les services… » [3].

Politique sur le vieillissement et l’assurance autonomie : une option à envisager?

Peu de temps après la publication de ce rapport, le Gouvernement Charest, avec sa ministre responsable des Aînés, a déposé une première politique gouvernementale sur le vieillissement où l’on pouvait lire sa volonté « de faire du soutien à domicile la pierre d’assise de sa politique » [4]. Le plan d’action 2012-2017 détaillait les investissements qui allaient ainsi être alloués pour assurer le maintien à domicile des aînés, préserver leur santé et leur autonomie, financer des projets de milieu de vie et favoriser le maintien à domicile par des mesures fiscales (crédit d’impôt, répit pour les aidants, etc.).

Or, en 2013, le Gouvernement Marois est élu et entend améliorer les soins à domicile, en y injectant 110 millions de dollars puisque « prodiguer des soins à domicile est plus humain et beaucoup moins coûteux qu’en établissement » [5]. Le ministère de la Santé, dirigé par le Dr Réjean Hébert, vise à augmenter de 10% le nombre de visites à domicile, mais ceci ne s’est pas fait pas sans heurts puisque les professionnels de la santé affirmaient qu’il faudrait passer moins de temps avec les patients [6] et donc que les services ne seraient pas aussi bons.

Puis, en décembre de la même année, fort de son travail comme co-président de l’enquête sur les conditions de vie des aînés, le ministre de la Santé a déposé le projet no 67, Loi sur l’assurance autonomie, qui visait à instituer un régime d’assurance autonomie. Ce régime avait pour but d’accorder aux résidents québécois admissibles une allocation de soutien à l’autonomie afin qu’ils puissent bénéficier de services favorisant leur autonomie et ce, peu importe leur milieu de vie. Le projet était basé sur une analyse internationale comparative et prônait « la nécessité de créer une caisse séparée pour financer les soins de longue durée » et « l’importance d’une évaluation standardisée du besoin lié à la dépendance et de critères objectifs d’attribution de l’allocation. » [7] Mais ce projet de loi a encore une fois été remisé en raison d’un nouveau changement de gouvernement.

Manque de services de soutien et de soins de longue durée pour les aînés

En 2015, le gouvernement Couillard a déposé son Plan stratégique 2015-2020. Il y prévoyait une hausse de 15% du nombre des personnes en perte d’autonomie qui recevraient des services de soutien à domicile sur cette période. Un nouveau gouvernement fait la même promesse et le résultat n’a pas changé.

En octobre 2017, la Protectrice du citoyen, Marie Rinfret, a remis son rapport annuel au Gouvernement. Elle y constatait que les services de soutien à domicile avaient diminué entre 2015 et 2016, et que seulement 8,6% des personnes de 65 ans et plus avaient pu en bénéficier. Elle avait demandé au ministre de la Santé, Gaétan Barrette, de développer un plan d’action qui comportait deux objectifs : augmenter de 10% le nombre moyen d’heures de soutien à domicile offertes par année et accroître de 15% le nombre de personnes admissibles à recevoir de tels services. La Protectrice avait aussi souligné que le nombre de plaintes reçues portant sur les services de santé avait augmenté de 26% de 2016 à 2017. Au cœur des récriminations se trouvaient la piètre qualité des services et les délais d’attente trop longs. Pour plusieurs, c’était un air de déjà vu…

La Protectrice du citoyen avait notamment recommandé au ministre Barrette d’intervenir pour augmenter le nombre de places disponibles dans les CHSLD, pour les personnes âgées en lourde perte d’autonomie. En réponse à ces préoccupations, aucune somme supplémentaire n’avait injectée par le gouvernement et des places ont été fermées en CHSLD (2800) alors que plusieurs personnes attendaient toujours une place (3500) [8].

« Le plus grand drame ce n’est pas l’accès difficile aux CHSLD, mais les services inadéquats avant d’arriver dans ces résidences de dernier recours : “les services ne sont pas adéquats en ressources intermédiaires et en soins à domicile. De mon point de vue, c’est dramatique!”, dira Dr Réjean Hébert. [9] »

La même année, on a assisté au dépôt de la Politique gouvernementale de prévention en santé (PGPS), à laquelle un Plan d’action interministériel 2017-2021, visant à améliorer la santé et la qualité de vie de la population, [10] a été joint l’année suivante. Cette Politique d’envergure, à laquelle a participé le directeur de la santé publique, Horacio Arruda, a été complétée par un plan d’action aux cibles fort ambitieuses, dont celle d’augmenter de 18% le nombre d’aînés recevant des services de soutien à domicile. Les auteurs y suggéraient qu’en « repérant les personnes en perte d’autonomie, il est possible de réduire les conséquences qui y sont associées. » Cette approche préventive a été préconisée pour ses retombées positives pour les personnes aînées, leur famille et le système de santé et de services sociaux [11].

À ces politiques gouvernementales s’est ensuite ajouté un dernier Plan stratégique pour 2019-2023, présenté par l’actuelle ministre de la Santé, Danielle McCann, le ministre délégué à la Santé et aux services sociaux, Lionel Carmant, et la ministre responsable des Aînés et des proches aidants, Marguerite Blais [12]. Le volume de soins et de services à offrir en soutien à domicile y est quantifié (page 2), mais les constats sont demeurés les mêmes : le nombre de personnes aînées requérant les services à domicile est en augmentation croissante et le maintien à domicile demeure souvent le premier choix (page 4). Le Plan répète un objectif formulé depuis des années: répondre à la demande de soins en augmentant le nombre total de personnes recevant des services de soutien à domicile et le nombre total d’heures de services (page 14).

En définitive, on observe que depuis 40 ans les politiques québécoises ont voulu créer des alternatives à l’institutionnalisation des personnes plus âgées. Cet objectif s’est traduit par une volonté de favoriser le plus possible le maintien dans leur milieu de vie naturel par le déploiement de services de soutien à domicile. Ces politiques n’ont toujours pas permis à ce jour de répondre aux besoins de la population. Face à la crise de la COVID-19 et ses conséquences alarmantes dans les CHSLD, allons-nous enfin être en mesure de trouver un équilibre systémique à une situation de vie humaine?


[1] Jean-Robert Sansfaçon, « Un rapport trop court », Le Devoir, 7 mars 2008, A8.

[2] Ministère de la santé et des services sociaux, Plan stratégique 2010-2015 du ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010 (55p.), p. 29.

[3] https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/pdf/rapports_speciaux/2012-03-30_Accessibilite_Soutien_domicile.pdf; T. Chouinard, « Soins à domicile : moins d’heures pour les aînés », La Presse, 3 avril 2012

[4] Ministère de la Santé et des Services sociaux, Vieillir et vivre ensemble — Chez soi dans sa communauté, au Québec, 2012 (204p.), p. 65.

[5] Jessica Nadeau, « Un milliard de plus dans le réseau » Le Devoir, 21 novembre 2012, A3.

[6] Jeanne Corriveau, « Soins à domicile : le ministre doit intervenir, dit le syndicat — CSSS du Sud-ouest-Verdun », Le Devoir, 26 octobre 2012, A4; Jeanne Corriveau, « Le minutage des soins à domicile peut être justifié, dit le ministre Hébert », Le Devoir, 2 novembre 2012, A5.

[7] R. Hébert, P. Gervais, S. Labrecque, R. Bellefleur «L’Assurance autonomie au Québec : une réforme inachevée », 2016 Health Reform Observer—Observatoire des Réformes de Santé 4 (1) : Article 2, p. No. 4.

[8] Stéphane Gagné, « Des services de soutien à domicile déficients – rapport de la protectrice du citoyen », Le Devoir, 15 octobre 2017, Section spéciale, C6

[9] Marco Fortier, « Le rêve inachevé des CHSLD : soins inadéquats, délais d’admission… un coup de barre s’impose dans l’hébergement des aînés démunis » Le Devoir, 15 juillet 2018, B3.

[10] Ministère de la Santé et des Services sociaux, Plan d’action interministériel 2017-2021 — Politique gouvernementale de prévention en santé : un projet d’envergure pour améliorer la santé et la qualité de vie de la population, 2018 (86p.).

[11] Id. p. 4 et 48

[12] Ministère de la Santé et des Services sociaux, Plan stratégique 2019-2023, 2019 (35p.).