Dans la foulée des événements du printemps 2020, Yves Benoit a été désigné pour enquêter sur l’éclosion de la COVID-19 au CHSLD Sainte-Dorothée, à Laval. Son rapport présenté à la ministre de la Santé, le 15 juillet 2020, a révélé que ce centre s’était positionné au 7e rang des CHSLD pour le nombre de cas positifs et au 1er rang du nombre absolu de décès au Québec. Sur un nombre total de 211 résidents, on a déterminé que 100 décès sont survenus de conséquences directes de la COVID et que 173 employés ont été déclarés positifs au virus.

Des constats applicables à d’autres centres

Dans son rapport, l’enquêteur Benoit a émis plusieurs constats.

  1. L’évolution de la situation a démontré que la stratégie nationale pour la préparation de la pandémie avait ciblé davantage la préparation des hôpitaux par rapport aux CHSLD, ce qui a eu comme conséquence de limiter la marge de manœuvre de ces centres.
  2. La méconnaissance du virus a eu des effets majeurs sur la disponibilité des ressources humaines dans le CHSLD.
  3. La pyramide hiérarchique a nui à la réponse à apporter face à une situation d’urgence incomparable.
  4. Le directeur du soutien à l’autonomie des personnes âgées (SAPA) n’a pas été à la hauteur pour gérer la crise.
  5. Les besoins et le manque d’équipements de protection individuelle (ÉPI) ont généré des inquiétudes et des effets néfastes sur la gestion des ressources humaines.
  6. Les systèmes d’information du CHSLD n’ont pas été à la hauteur de traiter les données de manière efficace.
  7. La gestion de crise au niveau de la gouvernance a connu des écueils importants.

L’enquêteur a retenu que le milieu de l’hébergement avait subi un choc: « Toute la notion de milieu de vie développée comme philosophie se heurte au besoin pressant d’appliquer une gestion de soins de type hospitalier. » Ce choc s’est traduit par de la confusion et un inconfort dans les pratiques en CHSLD.

Une chronologie des événements survenus en avril

Le rapport relate que le 16 avril, vu l’engorgement de la zone rouge au sein du Centre, il avait été convenu que des médecins de famille de l’hôpital se joignent à l’équipe des médecins en hébergement pour augmenter le nombre d’évaluations et optimiser les traitements offerts sur place, afin d’éviter des transferts à l’hôpital. Le 17 avril, 14 médecins de famille de l’hôpital sont arrivés.

Le 30 avril, plusieurs médecins réguliers de l’hébergement et de l’Unité transitoire de récupération fonctionnelle (UTRF) ont déposé une lettre de démission qui dénonçait: (1) l’augmentation importante du fardeau de tâches induite par la transition de la couverture médicale classique en une couverture de soins aigus de COVID-19, (2) l’impact du roulement et du manque de personnel, (3) l’impact de l’intensité de l’éclosion, (4) le choc de culture de la cohabitation avec les médecins de l’hôpital, (5) la pression indue des autorités médicales, (6) la réception d’une mise en demeure pour une résidente, et (7) le dépôt d’une demande de recours collectif.

La réaction du corps médical a été surprenante. Face à un virus inconnu, le milieu de vie du Centre d’hébergement a été pris de court. Le système a mal répondu aux demandes urgentes. Le pire était à prévoir. Abandonnée à son sort, la clientèle a été prise en otage, ce qui a suscité de sérieuses questions légales et déontologiques.

Mais il y a plus. Le dépôt d’une plainte ou d’une procédure judiciaire à l’égard d’un établissement et/ou de ses professionnels comme motif pour supporter la démission en a choqué plusieurs. Elle a laissé peu de place aux droits des résidents à recevoir des soins et des services médicaux de qualité, et dans ce cas vitaux.

Nous sommes en droit de nous demander quelle compréhension le corps médical a des plaintes et de l’exercice des droits des résidents d’un centre d’hébergement.

Des recommandations orientées vers l’avenir

Bien que le milieu de l’hébergement ait été plongé en état de choc, l’enquêteur a insisté sur la probabilité de l’arrivée d’une deuxième vague. « Il ne faut pas attendre », a-t-il écrit. Il a notamment recommandé une amélioration des systèmes d’information et de support, et une meilleure connaissance en prévention et contrôle des infections, l’élaboration d’un plan de relève en temps de crise, une stratégie de diffusion de l’information. Il a soutenu qu’« il est impératif que la provision des équipements en inventaire soit suffisante pour pallier aux pires scénarios. »

L’enquêteur avait vu juste. La deuxième vague nous a frappés de plein fouet. Ses commentaires et recommandations s’appliquaient à tous les CHSLD. Sa préoccupation du futur avait donné le ton.

Devant l’ampleur du désastre humain, il faut nommer des dirigeants à la hauteur de la tâche. Ce qui signifie avoir des décideurs pour qui la vie des résidents en centres d’hébergement mérite le respect de la dignité (comme à toute personne), peu importe son âge, son sexe, sa couleur.