Compte rendu du livre: Neglected No more: The Urgent Need to Improve the Lives of Canada’s Elders in the Wake of a Pandemic d’André Picard

En mars 2021, Random House publiait le livre d’André Picard, Neglected No more: The Urgent Need to Improve the Lives of Canada’s Elders in the Wake of a Pandemic. Le journaliste du Globe and Mail, critique en matière de santé, s’est vu confié en avril 2020, le mandat de se pencher sur la situation dans les résidences de soins de longue durée. Sa plume nous convainc de l’importance des enjeux. Le livre de 183 pages se lit comme un roman. Les chapitres s’enfilent et suivent une logique. Les sources de référence se trouvent à la fin et l’ouvrage tient compte de commentaires contemporains touchant en particulier le Canada anglais, mais aussi le Québec.

L’enquête du journaliste mène à des constats qui s’enchaînent et s’inscrivent dans une réalité implacable. En première partie (Neglected), le reporter et éditorialiste fait référence au contexte historique de l’hébergement des personnes âgées au Canada. Il rappelle l’adoption de l’assurance maladie en Saskatchewan en 1962, l’adoption de la Loi canadienne sur la santé en 1984 (Monique Bégin) et les conclusions de la Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada de 2002 (Roy Romanow). Il souligne les différences dans la gestion des soins et services aux aînés en perte d’autonomie d’une province à l’autre. Il met en relief des histoires concrètes qui existaient avant mars 2020. Il suscite le malaise face aux situations prenantes et à l’inaction. Il met de l’avant les choix que nous devrions faire, mais qui tardent, malgré le coup de sonde de la pandémie.

En deuxième partie (No more), il aborde l’importance d’un milieu de vie respectueux de la dignité des aînés et appuie ses propos avec des exemples de ce qui se fait dans d’autres pays. Il souligne la démarche du Danemark, décrit brièvement les réseaux en place en Australie, au Brésil, en Chine, en Angleterre, en France, en Allemagne, en Inde, au Japon, aux Pays-Bas, en Norvège, en Suède et aux États-Unis. Il termine par ses recommandations.

De son livre se dégage un message clair, concis et clairvoyant, campé dès la quarantième page. En réponse à la qualification d’un « tsunami gris », qui fait référence au nombre croissant de baby-boomers, en marge de la pandémie, il déclare : « The problem we have in Canada is not an aging society, which is actually a triumph of medicine and social policy, the problem is that we have done so little to prepare. »

Picard n’hésite pas à citer des acteurs, des gestionnaires, des interlocuteurs dont la richesse du propos convainc et suscite la réflexion. Il écrit :

Covid-19 exposed a long-standing truth: we have failed what is often called “the greatest generation,” those who survived the Great Depression and Second World War. And we’re on track to fail their children too, the boomers, unless we act swiftly and decisively to fix eldercare in this country.

  • Les services à domicile n’ont pas été inclus dans le régime d’assurance maladie au Canada, depuis le tout début. Il en a été autrement pour la Norvège et la Suède.
  • L’assurance maladie a créé deux classes de soins : hôpitaux et médecins universellement subventionnés et tous les autres services, soutenus par le privé.

À ce sujet, Picard rapporte le commentaire du professeur émérite de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, André-Pierre Contandriopoulos : « We build university hospitals for billions of dollars and we don’t have places for our elders to live. It’s unacceptable. »

  • Le Conference Board du Canada estime que d’ici 2035, le pays aura besoin de créer 199 000 places pour répondre à la demande. L’Institut canadien d’information sur la santé estime qu’une personne sur quatre ne devrait pas être dans une résidence de soins de longue durée.

À cet égard, Picard rapporte l’avis du Dr Samir Sinah de Toronto : « The last thing we need is more beds where the care is not great. What we need is better care. » Et l’auteur de résumer : « The right care at the right place at the right time is a mantra that can’t be repeated often enough. »

  • Les frais des soins à domicile sont incalculables, car les données sont trop imprécises ou simplement inconnues.

Picard souligne le manque de compréhension de l’état de la situation des services de soins à domicile en citant le célèbre économiste John Kenneth Galbraith : « If you don’t count it, it doesn’t count. » Et il donne l’exemple percutant suivant :

Home care is also the only publicly funded health service where care is provided on hard financial caps and arbitrary limits rather than medical need. Imagine if we told a cancer patient: “You need twelve hours of radiation treatment, but — sorry — we have a three-hour limit.” Or if we said: “Your public health insurance will cover cancer surgery buy you will have to hire someone privately to sew you back up.”

  • Une étude [1] portant sur la population vieillissante a conclu que l’investissement réfléchi dans les services de soins à domicile pourrait permettre de faire des économies tout en améliorant les soins et la qualité de vie des personnes touchées.
  • Les services à domicile peuvent devenir un désastre lorsque la personne vit avec une démence et requiert des services 24 h/24, 7 j/7 : irrégularité, retard ou inexpérience du personnel. Le confinement a eu des répercussions énormes chez les personnes atteintes de démence qui ont été privées de leurs moyens de communiquer pendant des mois. Picard écrit : « When a person communicates using facial gestures and touch, all the personal care and medical care in the world is not a substitute for face-to-face contact. »

Le gouvernement fédéral a émis une première stratégie nationale concernant la démence en juin 2019, A Dementia Strategy for Canada: Together We Aspire. Elle comporte 3 objectifs, dont celui d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de démence et celle de leurs proches aidants.

  • La prévention est primordiale quand il est question de démence. Une étude publiée dans The Lancet en juillet 2020 estimait que 40 % des cas de démence pourraient être retardés ou prévenus en adoptant certaines habitudes de vie et des changements de politique publique.

À ce sujet, Picard rapporte le point de vue de la Dre Saskia Sivananthan, experte en troubles neurocognitifs, et directrice scientifique de la Société Alzheimer du Canada : « If we get care right for people with dementia, we get it right for everyone. »

Puis, il aborde la question de la rémunération des préposés en soins et cite Louis Demers, PhD., professeur à l’École nationale d’administration publique. Ce spécialiste opine que la rémunération additionnelle de 10 $/h ne conduit pas à de meilleurs soins si les préposés n’ont pas plus de temps pour s’occuper des personnes adéquatement. Selon une vaste étude californienne menée sur une période de 5 ans, il faut calculer au moins 4 heures de services par jour pour répondre aux besoins des personnes souffrant de troubles neurocognitifs.

Pour clore le débat relatif à l’amélioration et à l’organisation des soins, il donne la parole à Jennifer Whiteside, infirmière syndiquée d’un hôpital de la Colombie-Britannique qui tranche :

The structure and culture of eldercare sends an implicit message that once you reach a certain age, or a certain degree of disability, you cease to be useful or valued, and seems un-Canadian […] Do we want to just maintain elders until they die, or do we want to create environments where they can have the best quality of life possible for the time they have left? […] This is why staffing matters. This is why ratios matter. If we really value seniors, if we really respect our elders, then we have to start with that proposition.

Picard aborde aussi la question de la sous-estimation des besoins de soins palliatifs aux aînés. Ils n’existent pas, ce qui entraîne des hospitalisations inutiles.

La deuxième partie du livre apporte un éclairage orienté vers l’avenir.

  • La grande majorité des aînés vivent heureux, en santé et de manière indépendante.
  • Trois Canadiens sur cinq décrivent leur état de santé comme étant bon ou excellent.
  • 7 % des Canadiens vivent en centres de soins de longue durée.
  • 93 % des Canadiens vivent donc dans la communauté, pour la plupart dans leur résidence.

If we want people to age in place, we need to ensure that the homes and cities they live in are senior-friendly. […] The main reason elders are driven out of their homes is not illness but everyday barriers to getting around in the community, such as insufficient public transportation and the lack of enough restrooms and elevators in public spaces.

Picard rapporte des expériences concluantes, des récits de réussite de milieux de vie. Les solutions sont à portée de mains : des formules hybrides, du répit, de l’aide financière au logement. Le maintien à domicile doit demeurer un objectif : « There is nothing more important than where people live. » Il complète l’analyse sur la base du proverbe en français, qui n’a pas d’équivalent en anglais : Quand on se regarde, on se désole; quand on se compare, on se console.

Ainsi, en 2021, l’Australie apportera des changements majeurs dans les soins aux aînés. Au Brésil, très peu d’aînés reçoivent des soins à domicile. En Angleterre, 75 % des soins aux aînés sont fournis à domicile ce qui comprend les soins palliatifs. En France, une allocation pour l’autonomie est versée aux personnes âgées handicapées. En Inde, les aînés sont abandonnés et ne peuvent compter que sur des organismes charitables pour leurs soins. Au Japon, le gouvernement a créé une assurance soins long terme à laquelle tous les habitants contribuent y compris les employeurs. En Norvège, les proches aidants peuvent demander un appui financier ou un crédit d’impôt en raison du temps qu’ils consacrent à assister un proche.

Picard consacre un chapitre aux vétérans dans les centres de soins de longue durée. Il pose la question de savoir si nous pourrions envisager d’offrir une telle qualité de soins aux aînés de notre propre famille.

En conclusion, le journaliste constate que les nombreux rapports et multiples recommandations n’ont eu aucun succès. Il précise qu’un travail colossal nous attend et pose la question : « What do we want our lives to look like when we get old? » Il faut faire des choix, déterminer les priorités et choisir nos batailles, écrit-il. Il énumère entre autres : le ratio de personnel soignant, la rémunération des proches aidants, la qualité des centres de soins de longue durée, la possibilité pour les personnes concernées de choisir de recevoir des soins à domicile, l’élargissement des soins palliatifs, l’administration responsable du financement, la consolidation de la structure du réseau, la réglementation en matière de normes et d’inspection, le rôle de l’ombudsman dans le plaidoyer et l’accès à l’information, et l’importance du filet communautaire (Meals on Wheels). Il conclut :

Simply pumping more money into a broken system will achieve little more than to further ingrain mediocrity. As we reform eldercare, we need to focus on getting value for money. When we devalue eldercare, we devalue our elders.

En définitive, le journaliste démêle la confusion entourant le défi des soins aux personnes âgées fragilisées par la maladie et en perte d’autonomie. Comment rendre les soins et services accessibles et abordables? La pandémie nous a ouvert les yeux sur la possibilité d’adopter une approche différente; plus humaine. Il ne manque pas de rappeler que les aînés ont été les grandes victimes de la pandémie et qu’ils devraient être les bénéficiaires de ce qui en ressortira.

Ultimately, fixing eldercare is not about writing more reports, building more beds, spending more money or adopting new standards. It’s about giving life to our values. If we love and value our parents, grandparents and great-grandparents — and, across the political spectrum, there is no question we do — then that must be reflected in our public policies.

It’s long past time for the neglect to end.

Le livre de Picard s’inscrit comme un ouvrage de référence pour l’avenir, une synthèse de l’information contemporaine à la pandémie, et un outil d’enseignement pour ma part. Le défi des soins et services aux aînés est de taille, car il impose un changement. C’est un défi collectif auquel il faut prendre part chacun individuellement, comme nous l’avons fait dans la lutte contre la pandémie, contre les changements climatiques, et pour un accès à l’éducation pour tous. L’avenir nous dira si nous sommes en mesure de le relever pour un avenir meilleur.

[1] Neena L. Chappell, Marcus J. Hollander, Aging in Canada: An informed up-to-date look at growing older, its impact on family members and the sustainability of Healthcare for Canada’s aging population, Oxford University Press, 2013