Loulou s’est rendu devant la Cour supérieure près d’une douzaine de fois en dix ans. Malgré tout l’amour qu’elle éprouve pour sa fille et son attachement pour elle, Loulou a dû se battre pendant cinq ans contre les attaques de celle-ci afin de demeurer curatrice de son fils. Elle a fini par avoir gain de cause.

Histoire d’un fils aimé

Pierrot a la trisomie 21. Depuis sa naissance, il conquit les cœurs grâce à son affection débordante. À l’église, on l’accueille à bras ouverts : il est servant de messe tous les dimanches. Il prend son rôle au sérieux. C’est son activité favorite.

Il a aussi vécu des moments de grand bonheur en 2015 lorsqu’il a voyagé à Jérusalem et à Rome avec sa mère et les membres d’une communauté religieuse. À 24 ans, Pierrot s’épanouit à sa façon.

En 2015, la sœur de Pierrot a demandé d’être sa curatrice. Loulou a contesté cette demande. La cour lui a donné raison. Mais la sœur de Pierrot a continué de croire qu’elle était mieux placée que sa mère pour prendre des décisions concernant le bien-être de son frère.

À la cour

En décembre 2020, le tribunal a entendu les témoins pendant six jours. À cette époque, nous portions le couvre-visage presque en tout temps en salle de cour. Pour Loulou qui observait sa fille assise en face d’elle de l’autre côté de la salle, il était difficile de contenir ses émotions. Il lui était impossible de lui parler normalement, de lui dire qu’elle l’aime et qu’elle a mal de la voir souffrir.

Loulou devait faire cesser les demandes perpétuelles de sa fille à la cour car elles génèrent chaque fois des tourments pour elle et Pierrot. Elle témoigne calmement, explique son approche, ses réponses aux courriels de sa fille, sa disponibilité, sa générosité, son écoute, son esprit de conciliation, la ténacité de sa fille et son désaccord face à certains de ses comportements envers Pierrot. À titre d’exemple, elle souligne que sa fille le comble de poupées et de livres de Barbie lors de ses visites chez elle.

Loulou considère Pierrot comme un jeune homme, adulte, capable de s’exprimer verbalement même si parfois avec difficulté, qui doit pouvoir s’épanouir malgré son handicap.

Au-delà de sa responsabilité comme curatrice, Loulou reproche à sa fille de ne pas lui avoir apporté de support à titre de membre du « conseil de curatelle ». Cette entité qui s’apparente à un conseil d’administration est investie d’un rôle de surveillance à l’égard du curateur. Loulou rapporte dans son témoignage les craintes qu’elle entretient face à un conseil qui l’a menacé d’outrage si elle ne respectait pas à la lettre les dates et les heures de sorties de Pierrot avec sa sœur.

Jugement

Le jugement qui donne raison à Loulou est empreint de réflexions et d’enseignements significatifs sur le rôle de chacun dans la représentation légale d’une personne inapte, majeure ou mineure.

Rôle d’un conseil de tutelle

Le tribunal nuance le rôle de « chien de garde » que l’on accorde depuis longtemps au conseil de tutelle :

« le rôle du conseil de tutelle en est un de surveillance censée prévenir les abus ou négligences du curateur, mais l’emphase devrait être sur la collaboration et non le conflit. Si l’image d’un chien est utile, c’est plutôt celle d’un chien-guide qui est plus appropriée : il guide son maître sur son chemin en sécurité. »

Il ajoute :

« La bonne foi se présume et, prenant en considération les circonstances dans lesquelles un aidant naturel évolue, la première réaction face à des problèmes devrait être d’offrir de l’aide, de proposer des solutions et de se montrer flexible. […] Le comportement du conseil doit être guidé et motivé uniquement par l’intérêt supérieur du majeur inapte. Il est rare qu’une relation conflictuelle soit plus productive qu’une relation de collaboration. L’objectif principal du conseil devrait être le succès de la curatelle. Le bien-être de la personne protégée passe par la meilleure coopération des membres du conseil de tutelle et de la curatrice. »

Charge de la curatrice

Retenant le témoignage de la représentante du curateur public, présente à l’audience, le tribunal souligne :

« Les personnes qui acceptent d’agir comme tuteur le font généralement par amour. Ce sont rarement des professionnels qualifiés. Ce sont des mères et des pères, des maris et des femmes, de tous horizons. »

L’engagement d’une personne, qu’elle soit curatrice ou proche aidante, est déterminant et entraîne des conséquences sur sa propre situation :

« Mais plus important encore, le Tribunal n’accepte pas la prémisse qu’une personne pauvre ne puisse occuper les fonctions de curatrice. Malheureusement, une personne qui accepte d’être le proche aidant d’une personne qui a besoin de soins ou d’une supervision constante sera souvent contrainte de manquer de travail et s’appauvrira vraisemblablement en conséquence. »

Nomination de la curatrice

La conclusion du jugement peut apaiser Loulou qui a dû se défendre par amour pour Pierrot :

« L’intérêt supérieur de [Pierrot] est intimement lié à la santé mentale de sa mère. Le soin d’un jeune homme handicapé est assez exigeant sans en plus que la personne qui s’en charge subisse le harcèlement de gens qui disent aimer [Pierrot], mais qui ne prennent aucunement la responsabilité des conséquences de leurs gestes sur lui. [Loulou] a droit à une vie sereine afin de veiller aux besoins de [Pierrot]. »

La sagesse qui se dégage du jugement devrait inspirer les personnes qui agissent comme curateur ou proche aidant. C’est là une source d’inspiration dans l’application des critères voulant que toute décision prise à l’égard d’une personne majeure inapte « doit être prise dans son intérêt, le respect de ses droits et la sauvegarde de son autonomie. » (art. 257 du Code civil du Québec).