En septembre 2022, Clint a gagné sa bataille juridique.

Au cœur du procès

Clint est hospitalisé dans une unité spécialisée depuis février. Le CUSM voulait le transférer dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée. Toutefois, Clint voulait avoir son mot à dire dans le choix du centre et être entendu par la cour.

Il a assisté au procès par vidéoconférence sur un téléphone cellulaire, depuis son lit d’hôpital.

Clint est un homme originaire de la Jamaïque de soixante-quatre ans qui parle en anglais. Neuf mois avant l’audience, il était en apparence fort et actif; il pouvait marcher et même aider des amis. Il était cuisinier professionnel et pouvait préparer des repas pour des centaines de personnes à la fois. Il est aussi le père de six enfants, et deux d’entre eux vivent à Montréal. Il vivait au troisième étage d’un immeuble sans ascenseur. À l’hiver 2022, il a reçu un diagnostic de maladie neuro-inflammatoire grave. Cette maladie attaque principalement les nerfs optiques et la moelle épinière. Après un bref séjour dans un centre de réadaptation, il a été renvoyé au CUSM.

Il ne remarchera probablement jamais.

Le CUSM demandait à la cour une autorisation pour l’hébergement forcé de Clint pour une période de trois ans :

Le transfert et le placement [du défendeur dans] un milieu de vie structuré et supervisé recommandé par les services sociaux du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et désigné par le Mécanisme d’accès à l’hébergement, qui répondra aux besoins [du défendeur] et qui lui offrira le cadre requis par son état de santé, comme [un centre d’hébergement et de soins de longue durée] CHSLD.

Audience de la demande d’hébergement forcé de Clint dans un CHSLD

À titre de rappel, les principes juridiques suivants s’appliquent, comme les tribunaux l’ont dit à maintes reprises :

  • Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.
  • Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut porter atteinte à autrui sans son consentement libre et éclairé.
  • Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu’en soit la nature.
  • Sauf disposition contraire de la loi, le consentement n’est assujetti à aucune forme particulière : le consentement peut être révoqué verbalement. Il peut également être donné oralement.
  • L’autorisation du tribunal est requise si le majeur inapte à consentir refuse catégoriquement de recevoir les soins, à moins qu’il ne s’agisse de soins d’hygiène ou d’un cas d’urgence.

Dans la situation de Clint, il n’y avait pas de problèmes de soins d’hygiène ni de cas d’urgence.

Il n’y avait pas non plus de refus catégorique à l’hébergement. Comme l’a déclaré le tribunal au début de son jugement:

«Le mot “catégorique” signifie de manière explicite, directe et sans ambiguïté, et le mot “refus” signifie un acte ou un cas de refus — exprimer une réticence à accepter, refuser quelque chose ou ne pas permettre à quelqu’un de faire quelque chose. Un refus catégorique de soin est l’acte de dire “non” de manière équivoque et sans ambiguïté à un soin, du type qui est demandé en l’espèce.»

La cour est tenue d’entendre la personne et de respecter son refus, à moins qu’il s’agisse de soins requis par son état de santé.

La cour a écouté les parties pendant presque trois heures. Trois experts ont témoigné pour le CUSM en plaidant que Clint était inapte à consentir aux soins et qu’il refusait catégoriquement les soins. Clint a ensuite déclaré qu’il comprenait tout, qu’il ne refusait pas les soins, mais qu’il n’était pas prêt à accepter de déménager dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée sans mieux comprendre ni sans savoir à quoi s’attendre pour l’avenir.

Le tribunal a souligné la conclusion du psychiatre: «il n’y a aucune preuve d’un trouble neurocognitif majeur». Il fait également remarquer que les experts ont insisté sur le fait que Clint croit «qu’il pourra remarcher». Selon leur point de vue, ce fait confirme son incapacité à comprendre la nature de sa maladie. Toutefois, cet argument n’a pas convaincu le tribunal:

«Je vais m’arrêter un instant pour simplement faire remarquer qu’espérer ou croire qu’on peut aller mieux ou même affirmer aveuglément qu’on peut aller mieux n’est pas forcément un signe d’un manque de compétence. Ce que l’on espère ou croit dans certaines circonstances peut ou non se concrétiser. Aux yeux d’une autre personne, cet espoir ou cette conviction peut sembler déraisonnable.

Or, heureusement, l’espoir et la conviction sont des valeurs que personne ne peut enlever à une autre personne. Dans le cas de [Clint], une personne qui travaillait et marchait jusqu’à il y a moins d’un an et qui est maintenant alité et qui attend d’être transféré dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée, l’espoir fait partie des choses qui peuvent lui être bénéfiques.» [notre mise en relief et traduction libre]

Le tribunal a demandé : «Est-ce que le fait de nourrir des préoccupations et de l’anxiété à propos de son avenir après avoir été complètement alité est un signe d’incompétence, d’inaptitude et de refus catégorique?»

Les difficultés de Clint à exprimer pleinement et complètement ses opinions et ses souhaits à distance ne l’ont pas empêché d’être reconnaissant de ce qui se passait autour de lui et des soins dont il avait besoin. Il a clairement mentionné plus d’une fois qu’il était prêt à aller au CHSLD juif de Montréal et que s’il n’y avait pas de lit de libre, il serait prêt à aller au Centre d’hébergement Father-Dowd.

Clint voulait être entendu par la cour et avoir l’occasion de lui expliquer sa situation avant d’être forcé de faire quoi que ce soit.

«Encore une fois, le désir de profiter d’une occasion d’être entendu n’est pas un signe d’inaptitude ou d’un refus catégorique en cas d’inaptitude.»

Le tribunal a conclu que Clint était capable de donner son consentement et qu’il ne refusait pas catégoriquement les soins. Ce que Clint n’était pas prêt à faire, c’était d’accepter que des dispositions soient prises pour lui à long terme concernant ses soins sans avoir obtenu d’autres détails ou garanties.

Commentaires

L’issue du dossier de Clint est exemplaire à bien des égards. En premier lieu, le tribunal porte une attention particulière aux souhaits de Clint; son but suprême d’être entendu par la cour.

En deuxième lieu, le tribunal accorde la même valeur au point de vue de Clint qu’à l’opinion des professionnels de la santé. Il n’a pas été influencé par le déséquilibre concernant le nombre de témoins ni par le niveau et le degré d’expertise de ceux-ci. Son rôle consistait à évaluer deux éléments principaux : la compréhension de la demande judiciaire (l’hébergement) et l’existence d’un refus catégorique. Les deux critères déterminent si le tribunal peut aller plus loin dans l’évaluation des avantages et de la nécessité des soins demandés.

Ensuite, il a commenté de manière philosophique son évaluation de l’opinion des experts en faisant preuve de respect envers ce qu’il restait à Clint: «l’espoir». Heureusement pour Clint et pour les membres de la communauté juridique, les juges témoignent parfois du respect envers la dignité des patients dans leurs jugements.

Pour terminer, le tribunal a complété son jugement en faisant référence aux documents non sollicités du CUSM envoyés par courriel après l’audience. L’argument du CUSM était le besoin d’hébergement de Clint: «En vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, le droit au libre choix d’un patient n’est pas absolu. Il faut équilibrer ce droit, le meilleur intérêt du patient et les impératifs du réseau public de la santé et des services sociaux.»

Comme l’a déclaré le tribunal,

«Une demande d’autorisation de soins n’est pas un moyen approprié pour la cour de s’occuper des difficultés d’un hôpital à “libérer les lits des cas qui ne sont plus actifs sur le plan médical”.

Quel que soit l’état des soins de santé dans une société libre et démocratique, les lits d’hôpitaux ne peuvent être libérés au détriment des droits civils et personnels inviolables.» [traduction libre]

L’histoire de Clint n’est qu’une parmi tant d’autres. Heureusement, le résultat et la décision du tribunal ont grandement contribué au fait que «face au doute concernant les droits et libertés fondamentaux d’une personne, le bénéfice doit enrichir la personne.»