Premier billet d’une série de six billets sur le PL 11

Introduction

Le 16 février 2023, le Gouvernement présentait le projet de loi 11 intitulé Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres modifications législatives [1]. Présenté par la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, madame Sonia Bélanger, le projet a fait l’objet de consultations particulières à l’Assemblée nationale, en mars 2023, devant la Commission des relations avec les citoyens. Plus de soixante mémoires ont été déposés et un nombre significatif de groupes et de personnes ont été entendus pendant sept jours [2]. Il en est ressorti que le projet de loi tel que présenté en février 2023 fera l’objet d’une révision. Les débats de mars 2023 pourraient même conduire à une commission spéciale portant sur certaines notions qu’il y aurait lieu d’éclaircir.

Historique du dépôt du projet de loi

Le PL 11 présenté en février 2023 reprend en grande partie le PL 38 qui avait été présenté le 25 mai 2022 [3]. Ce dernier avait suscité plusieurs questions et le Gouvernement avait reporté son adoption après les élections provinciales d’octobre de la même année, vu l’absence de consensus à l’Assemblée nationale. Lors de l’étude du PL 38, le ministre de la Santé responsable à l’époque, monsieur Christian Dubé, avait demandé à certains groupes de formuler des suggestions relatives à la mise en œuvre des modifications qui seraient apportées à la Loi en vigueur. Le PL 11 reprend donc dans son essence le PL 38 tout en apportant quelques changements.

Comme le PL précédent, le PL 11 vise à répondre à une demande croissante dans l’opinion publique à l’effet d’élargir l’accès et de permettre les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Des sondages ont révélé au cours des dernières années une opinion favorable à cet élargissement [4]. Mais le Gouvernement doit tenir compte de la législation fédérale sur le sujet. Le Code criminel auquel des modifications ont été apportées doit être pris en considération puisque les lois doivent coexister.

Avant d’analyser les modifications proposées par le PL 11, une revue historique s’impose afin de comprendre les enjeux qu’il soulève.

Revue historique de l’évolution du droit concernant l’AMM

Le 10 juin 2014, la Loi concernant les soins de fin de vie [5] (LCSFV) était adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec. Cette loi établissait quatre grandes catégories de soins: soins palliatifs, sédation terminale continue, aide médicale à mourir (AMM) et directives médicales anticipées (DMA). La LCSFV a ouvert la voie à la reconnaissance du droit de demander et de recevoir des soins en fin de vie de manière respectueuse et dans des conditions qui répondent aux volontés individuelles. Elle conférait aussi le droit de toute personne dont l’état le permet de recevoir l’AMM. Elle précisait les conditions d’admissibilité à ce soin [6].

En février 2015, la Cour suprême rendait une décision unanime par laquelle elle déclarait inconstitutionnels les articles 14 et 241b) du Code criminel en ce qu’ils interdisaient aux médecins de prodiguer l’AMM à une personne apte à consentir qui en fait la demande et qui souffre d’une condition irrémédiable lui causant des souffrances intolérables et irrémédiables:

[4] Nous concluons que la prohibition de l’aide d’un médecin pour mourir à une personne («aide médicale à mourir») est nulle dans la mesure où elle prive de cette aide un adulte capable dans les cas où (1) la personne touchée consent clairement à mettre fin à ses jours; et (2) la personne est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition. En conséquence, la Cour accueille le pourvoi [7].

La Cour suprême accordait douze mois au gouvernement fédéral pour modifier sa loi.

Le 10 décembre 2015, la LCSFV entrait en vigueur, soit dix-huit mois après son adoption, ce qui permettait l’élaboration de normes et de pratiques cliniques, l’accès aux formulaires visant les DMA, la mise sur pied de la Commission des soins de fin de vie (CSFV), ainsi que la mise en place du Registre des directives médicales anticipées.

Le 22 décembre 2015, la Cour d’appel dans l’arrêt D’Amico confirmait la compétence du Québec à l’effet d’adopter et de mettre en vigueur la LCSFV. Elle précisait qu’il s’agit d’un champ de compétence partagé avec le parlement fédéral:

[44] Cela ne signifie pas que le gouvernement fédéral et le Parlement ne peuvent pas continuer leurs travaux sur l’aide médicale à mourir afin de développer un cadre législatif fédéral qui s’appliquerait tant au Québec qu’ailleurs au Canada. Si le Parlement adopte éventuellement une législation fédérale valide portant sur l’aide médicale à mourir qui s’applique au Québec, il faudra alors réexaminer les dispositions de la Loi concernant les soins de fin de vie portant sur l’aide médicale à mourir afin de déterminer si elles sont en conflit avec ce cadre législatif. Par contre, d’ici là, les dispositions invalides du Code criminel qui prohibent l’aide médicale à mourir ne peuvent à elles seules empêcher l’entrée en vigueur et l’application de la Loi concernant les soins de fin de vie. La suspension de la déclaration d’invalidité de l’arrêt Carter ne peut pas, non plus, avoir un tel effet dans le contexte particulier en cause [8].

Le 17 juin 2016, la Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) était sanctionnée. Cette loi fédérale a modifié le Code criminel en permettant l’AMM à certaines conditions [9]. Bien que n’étant pas clairement contradictoire avec la LCSFV, l’application des deux lois a engendré certaines difficultés de sorte que des ordres professionnels ont élaboré un guide de pratiques cliniques portant sur l’aide médicale à mourir [10].

En septembre 2019, la Cour supérieure dans l’affaire Truchon rendait inopérants les articles de la Loi québécoise et de la Loi fédérale portant sur le critère de fin de vie [11]. Dans sa décision la cour concluait que ces articles, parce qu’ils sont inconstitutionnels, c’est-à-dire qu’ils violent les droits à la liberté et à la sécurité, garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, les critères de «fin de vie» (Québec) et de «mort raisonnablement prévisible» (Canada) doivent être retirés des lois.

La juge Baudouin de la Cour supérieure accordait six mois aux gouvernements pour modifier leurs lois.

Des délais additionnels ont été octroyés de sorte qu’au Québec, le critère de «fin de vie» de la LCSFV ne s’applique plus depuis le 12 mars 2020. Au fédéral, le critère de «mort raisonnablement prévisible» a été abrogé depuis le 17 mars 2021 par la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir) [12].

L’entrée en vigueur de cette loi fédérale (PL C-7) a eu les conséquences suivantes concernant l’AMM:

  • Suppression de l’exigence de «mort naturelle raisonnablement prévisible» pour être admissible à l’AMM;
  • Impossibilité d’y avoir recours jusqu’au 17 mars 2023, lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. On sait que cette date a été reportée au 17 mars 2024. Entretemps, le groupe d’experts formé pour étudier les modifications à apporter à la Loi fédérale a déposé son rapport le 13 mai 2022;
  • Possibilité d’y avoir recours pour une personne jugée admissible dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et qui a perdu, avant la prestation, la capacité à consentir à recevoir l’aide médicale à mourir, si elle a conclu une entente préalable avec le médecin ou l’infirmière praticienne. Ceci permet la renonciation au consentement final avant l’administration de l’AMM;
  • Possibilité d’y avoir recours pour la personne qui a perdu la capacité à y consentir, après s’être administré une substance qui lui a été fournie dans le cadre des dispositions régissant l’aide médicale à mourir pour qu’elle cause sa mort.

Les étapes plus récentes seront exposées dans le cadre de l’analyse du PL 11.

Objectifs du projet de loi 11

Comme l’énoncent les notes explicatives, le PL 11 «a principalement pour objectif de modifier la Loi concernant les soins de fin de vie en matière d’admissibilité à l’aide médicale à mourir». Il vise l’élargissement de la LCSFV. Par son PL 11, le Gouvernement tente de satisfaire les personnes qui souhaitent exprimer par anticipation leur souhait de recevoir l’AMM. Il prévoit que les infirmières praticiennes spécialisées pourront administrer les soins de fin de vie, que le Registre des DMA prendra en compte les demandes anticipées d’AMM et que les maisons de soins palliatifs devront offrir ce soin.

L’exposé qui suit fera état des éléments les plus pertinents du PL 11.

Ce billet est le premier d’une série de textes écrits à titre d’analyse du projet de loi 11 tel que présenté à l’Assemblée nationale et ayant fait l’objet de consultations particulières. Notre prochain billet se penchera sur les modifications importantes que le projet de loi 11 prévoit apporter à la LCSFV qui est présentement en vigueur.

Ce billet est tiré de l’article intégral initialement publié le 12 avril 2023 sur le site Web des Éditions Yvon Blais.

Notre prochain billet se penchera sur les modifications importantes que le projet de loi 11 prévoit apporter à la LCSFV qui est présentement en vigueur.


[1] QUÉBEC. Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives, projet de loi no 11 (présentation – 16 février 2023), 1re sess., 43e légis.

[2] Soixante et un mémoires ont été déposés à la commission; les consultations particulières se sont échelonnées sur sept jours en mars 2023.

[3] QUÉBEC. Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives, projet de loi no 38 (présentation – 25 mai 2022), 2e sess., 42e légis.

[4] Un sondage Léger pancanadien auprès de 1 532 personnes rapportait en juin 2019 que 74 % des Québécois et 66 % des Canadiens étaient en accord avec l’idée de permettre les «demandes anticipées dès qu’un diagnostic de maladie d’Alzheimer est posé alors que la personne est encore lucide», même si la mort n’est pas raisonnablement prévisible; en incluant les indécis à ce sondage, le pourcentage s’élevait à 84 % au Québec et à 80 % pour le Canada; LÉGER. L’aide médicale à mourir dans les cas de maladie de type Alzheimer au stade avancé, 4 juin 2019, 12 p. [Rapport d’un sondage exclusif réalisé pour Capsana].

[5] QUÉBEC. Loi concernant les soins de fin de vie : RLRQ, ch. S-32.0001, à jour au 15 mars 2023, [Québec], Éditeur officiel du Québec, 2023.

[6] Ibid., art. 26.

[7] Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5.

[8] Québec (Procureure générale) c. D’Amico, 2015 QCCA 2138.

[9] CANADA. Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) : L.C. 2016, ch. 3 (sanctionnée – 17 juin 2016), 1re sess. 42e légis.

[10] Collège des médecins du Québec, Ordre des pharmaciens du Québec, Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, Barreau du Québec, Chambre des notaires, Aide médicale à mourir – Guide d’exercice et lignes directrices pharmacologiques, 99 p., mis à jour en novembre 2019.

[11] Truchon c. Procureur général du Canada, 2019 QCCS 3792.

[12] CANADA. Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) : L.C. 2016, ch. 3 (sanctionnée – 17 juin 2016), 1re sess. 42e légis.