Deuxième billet d’une série de six billets sur le PL 11

Dans le billet précédent, nous avons présenté les jalons importants depuis l’entrée en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie (LCSFV) jusqu’aux plus récentes étapes franchies par le projet de loi 11. Voyons maintenant les modifications importantes que ce dernier propose.

Modifications pertinentes à la LCSFV

Le PL 11 apporte des modifications à la LCSFV principalement quant à l’admissibilité (handicap neuromoteur, demande anticipée) et à l’accès (maison de soins palliatifs). Les modifications proposées par le PL 11 se limitent à cet élargissement en excluant pour le moment certains états et groupes de personnes (handicap autre que neuromoteur, trouble mental, mineurs). En voici une analyse.

Handicap: inclusion du handicap neuromoteur comme critère d’admissibilité

Le PL 11 modifie un des critères d’admissibilité à l’AMM définis à l’article 26 de la LCSFV. Il ajoute le critère de «handicap neuromoteur grave et incurable» à la «maladie grave et incurable»:

14. Pour obtenir l’aide médicale à mourir suivant une demande contemporaine, une personne doit, en plus de formuler une demande conforme aux dispositions du présent article, et de l’article 27 le cas échéant, satisfaire aux conditions suivantes:

    1. elle est majeure et apte à consentir aux soins, sauf exception relativement à cette aptitude de la personne prévue au troisième alinéa de l’article 29;
    2. elle est une personne assurée au sens de la Loi sur l’assurance maladie (chapitre A-29);
    3. elle est atteinte d’une maladie grave et incurable ou elle a un handicap neuromoteur grave et incurable;
    4. sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
    5. elle éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables.

Pour l’application du paragraphe 3° du premier alinéa, un trouble mental autre qu’un trouble neurocognitif n’est pas considéré comme une maladie.

La personne doit, de manière libre et éclairée, formuler pour elle-même la demande d’aide médicale à mourir au moyen du formulaire prescrit par le ministre. Ce formulaire doit être daté et signé par cette personne.

Le formulaire est signé en présence d’un professionnel de la santé ou des services sociaux qui le contresigne et qui, s’il n’est pas le professionnel compétent qui traite la personne, le remet à celui-ci [1].

(Nous soulignons)

Trois commentaires s’imposent au sujet de cette modification.

Premièrement, une personne en situation de handicap peut éprouver des souffrances intolérables et insupportables, être apte à consentir à des soins, et démontrer un déclin avancé de ses capacités. Tout comme une personne sans handicap, elle pourrait vouloir demander l’AMM, par exemple, en raison d’un cancer avancé en raison duquel «elle éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables». Elle pourrait vivre une dégradation de son handicap entraînant pour elle un déclin avancé de ses capacités, des souffrances intolérables et insupportables, tout en étant apte à consentir à des soins. Bien que de telles situations puissent être exceptionnelles, il faut considérer qu’elles puissent être admissibles. Comme l’écrivait la juge Baudouin dans sa décision en septembre 2019:

[…] comme toute autre personne apte et bien renseignée, les personnes handicapées peuvent entretenir un désir rationnel et légitime de mettre fin à leurs jours, compte tenu de leur condition, mais aussi et surtout à cause des souffrances intolérables et persistantes qu’elles vivent.

La condition physique ou mentale des personnes handicapées ne constitue en effet qu’un élément parmi d’autres qui pourra éventuellement les rendre admissibles à l’aide médicale à mourir. Leur aptitude à consentir, les souffrances ressenties et objectivées, le déclin avancé de leurs capacités constituent tous des éléments pertinents dans l’évaluation globale de la demande. Même s’il faut rester vigilant, il est loin d’être évident qu’une personne pourra ou voudra recevoir l’aide médicale à mourir uniquement en raison de son handicap [2].

Deuxièmement, la définition même du «handicap neuromoteur» n’est pas prévue dans la Loi. La qualification de ce handicap serait donc laissée au professionnel qui fait l’évaluation de la demande en fonction des critères d’admissibilité. Or, les consultations de la Commission des relations avec les citoyens en mars 2023 ont révélé des distinctions portant sur la définition même de «handicap neuromoteur» chez les professionnels de la santé. L’élaboration d’un guide de pratiques cliniques sera nécessaire, mais plus encore, il y aurait lieu de se pencher plus attentivement sur la notion de handicap.

La question de l’élargissement du droit à l’AMM aux personnes en situation de handicap peut soulever des inquiétudes et des situations qui peuvent être troublantes en raison des fragilités inhérentes à des personnes. Néanmoins, dans son état actuel, le PL 11 propose une distinction entre les personnes en situation de handicap neuromoteur qui seraient admissibles, et les personnes en situation de handicap autre que neuromoteur qui ne seraient pas admissibles. Or, l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, prohibe une telle discrimination:

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit [3].

Il y a donc lieu de se questionner sur l’inclusion d’un critère qui permettrait l’accès à l’AMM aux seules personnes atteintes d’un handicap neuromoteur.

Troisièmement, depuis 2016, le Code criminel permet à une personne affectée d’une «maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables» de demander l’AMM dans la mesure bien entendu où elle répond aux autres critères d’admissibilité.

Critères d’admissibilité relatifs à l’aide médicale à mourir

241.2 (1) Seule la personne qui remplit tous les critères ci-après peut recevoir l’aide médicale à mourir :

a) elle est admissible — ou serait admissible, n’était le délai minimal de résidence ou de carence applicable — à des soins de santé financés par l’État au Canada;

b) elle est âgée d’au moins dix-huit ans et est capable de prendre des décisions en ce qui concerne sa santé;

c) elle est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables;

d) elle a fait une demande d’aide médicale à mourir de manière volontaire, notamment sans pressions extérieures;

e) elle consent de manière éclairée à recevoir l’aide médicale à mourir après avoir été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment les soins palliatifs.

Problèmes de santé graves et irrémédiables

(2) Une personne est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables seulement si elle remplit tous les critères suivants :

a) elle est atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables;

b) sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;

c) sa maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancé et irréversible de ses capacités lui cause des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables.

d) [Abrogé, 2021, ch. 2, art. 1]

Exclusion

(2.1) Pour l’application de l’alinéa (2)a), la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap. […]

(Nous soulignons)

Il y a donc lieu de se questionner sur l’ajout d’une condition supplémentaire dans la LCSFV alors que la Loi fédérale ne fait pas de distinction. Actuellement, une personne en situation de handicap peut avoir accès à l’AMM dans une province canadienne. Insérer la condition supplémentaire risque de maintenir cette inégalité avec la Loi fédérale, en sus de créer une inégalité entre les personnes en situation de handicap. Cet article du PL 11 devra donc faire l’objet de discussions additionnelles avant la finalisation de la Loi, car elle devra refléter le respect de l’égalité des droits des personnes.

Pour conclure sur ce sujet, le PL 11 insère une condition qui vise à élargir, mais qui à sa lecture risque de créer des situations de discrimination et d’engendrer des litiges. La proposition à l’égard de l’exclusion du trouble mental est différente.

C’est d’ailleurs ce que nous détaillerons dans notre analyse de cette autre modification proposée qui fera l’objet de notre prochain billet.

Ce billet est tiré de l’article intégral initialement publié le 12 avril 2023 sur le site Web des Éditions Yvon Blais.


[1] QUÉBEC. Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives, projet de loi no 11 (présentation — 16 février 2023), 1re sess., 43e légis.

[2] Ibid., par. 305 et 306.

[3] Charte des droits et liberté de la personne, RLRQ, ch. C-12.