Dans son rapport annuel 2019-2020 — Passer à l’action pour améliorer les services publics déposé en septembre dernier, la protectrice du citoyen a manifesté son impatience devant la lenteur des instances publiques à agir concrètement. L’entrée en matière de son rapport 2019-2020 en témoigne :

« […] mon rapport annuel d’activités insiste sur l’importance, pour les instances publiques, de passer à l’action, une fois que les problèmes sont recensés, analysés, décriés et assortis de solutions possibles. Or, ce passage à l’acte est trop souvent reporté. Mon équipe et moi constatons que dans plusieurs domaines, les discussions ont lieu — comités, tables de travail, études et analyses — et aboutissent à des conclusions et à des engagements. Les résultats, toutefois, tardent ou sont absents. Or, pour moi, le passage à l’action sur des bases bien établies et dans les meilleurs délais fait partie intégrante d’une conception des services publics tournés vers les clientèles qui en sont la raison d’être. » [1]

Le Protecteur du citoyen (ombudsman en anglais) a pour mission de faire respecter les droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration publique. Il intervient pour prévenir et corriger les abus, les erreurs, la négligence le non-respect des droits ou l’inaction des services publics à leur égard.

Enquêtes et constats

Le Protecteur du citoyen peut mener des enquêtes et il peut intervenir auprès des ministères et de la majorité des organismes de l’administration publique. Il est également un recours possible en ce qui a trait aux plaintes des citoyens. Il peut agir à la suite d’un signalement ou de sa propre initiative auprès des instances du réseau de la santé et des services sociaux assujetties à sa compétence.

Pour la période de 2019 à 2020, la Protectrice a constaté que sur
2 141 demandes traitées dans le système de santé, 41,7 % des plaintes et signalements étaient fondés. Une intervention a été effectuée auprès de 134 instances. Du lot, 43,5 % des demandes traitées concernaient les centres hospitaliers. Les plaintes et signalements fondés se répertorient comme suit :

  1. Mauvaise qualité des services : 22,4 %
  2. Non-respect des droits : 16,6 %
  3. Longs délais d’attente : 14,1 %

Conclusions et recommandations

Même si la protectrice précise que le taux d’acceptation des recommandations qu’elle formule est « historiquement très élevé. », l’application des recommandations reste problématique quoiqu’elle renforce leur mise en place en recourant à la méthode dite « SMART » (spécifiques, mesurables, axées sur les résultats, réalisables et temporellement définies). » [2]

Déjà dans son rapport de 2006-2007, le bureau du Protecteur avait déploré la trop faible progression du nombre de visites d’appréciation réalisées dans les CHSLD et la lenteur d’application des mesures en vue d’améliorer la qualité du milieu de vie dans les centres d’hébergement. Dans son rapport de 2012, la Protectrice prenait acte de l’augmentation du nombre d’inspecteurs du ministère et de l’intention de procéder à des visites d’inspection spontanées. À la lumière des rapports d’enquêtes déposés récemment concernant deux CHSLD et de son rapport annuel, la Protectrice devra continuer d’accorder une attention particulière au suivi de ses recommandations et de l’application des mesures d’amélioration dans ces milieux de vie.

Appel à témoignages

Le 26 mai dernier, la Protectrice a annoncé la tenue d’une enquête sur la gestion de crise liée à la COVID-19 dans les CHSLD [3]. Cette enquête impartiale et indépendante qui sera menée sur le ministère de la Santé et des Services sociaux et sur certains établissements du réseau public de la santé devrait conduire à un rapport d’étape cet automne. L’appel à témoignages lancé par la Protectrice au début de septembre devrait alimenter son enquête et contribuer à la formulation de recommandations.

Au cœur des plaintes

Plusieurs usagers considèrent que le processus de plaintes ne mène à rien. Ils se découragent. Même lorsqu’il y a négligence dans le réseau, les réponses à une plainte entraînent malgré elles la perte de confiance, la méfiance et l’ire à l’égard du système de santé. À la suite du traitement des plaintes, et parfois de la reconnaissance des erreurs, les conclusions des rapports sont souvent accueillies comme le comble de l’insulte. Et que dire des délais de réponse aux plaintes qui engendrent aussi des inconvénients physiques et moraux? Comment résoudre cette impasse?

Des droits à faire respecter

La loi énonce que nous sommes tous titulaires de droits. Intrinsèquement, nous avons droit au respect et à l’exercice de nos droits. Or, le respect du droit à des services de santé de qualité et respectueux des besoins de la personne concernée est négligé depuis longtemps.

Dans un litige opposant un établissement de soins de longue durée et le syndicat des professionnels en soins de santé, la juge Chantal Masse a rejeté la demande de l’établissement d’annuler la conclusion de l’arbitre qui avait sommé l’établissement de créer et d’afficher des postes d’infirmières, d’infirmières auxiliaires et de préposés aux bénéficiaires, de même que de transformer des postes de préposés aux bénéficiaires à temps partiel en postes à temps plein. La conclusion de l’arbitre se basait notamment sur le rapport d’une enquêtrice indépendante. La juge a énoncé lors de son jugement rendu verbalement le 21 décembre 2018 :

« Le rapport de celle-ci fait état de témoins qui rapportent des faits troublants, tel que déjà mentionné, dont, notamment, le manque de personnel et de temps pour alimenter adéquatement les nombreux patients ne pouvant s’alimenter de façon autonome, ceux-ci se voyant parfois retirer un plateau non entamé devant eux, car il n’y avait personne pour les faire manger, et pour changer les culottes d’incontinence souillées pour la nuit ou même pour le déjeuner ainsi que pour distribuer les médicaments à temps et dans le respect des prescriptions médicales. » [4]

Cette cause entendue démontre qu’il faut parfois se rendre devant les instances judiciaires pour faire respecter les droits des citoyens.

Souhaitons que la Protectrice du citoyen trouve le remède permettant d’assurer le respect de ses recommandations dans le but de « fournir aux aînés un milieu de vie et de soins sécuritaire, humain et répondant à leurs besoins ». Sa recherche pourra s’avérer ardue. Il lui faudra plus que des témoignages et des constatations. Il lui faudra de l’audace, de la détermination et de la créativité.


[1] Gouvernement du Québec, Rapport de la Protectrice du Citoyen, 2019-2020, p. 7

[2] Id. p. 23

[3] https://protecteurducitoyen.qc.ca/fr/nouvelles/appel-temoignages-enquete-chsld-covid

[4] CIUSSSS de l’Ouest-de-l’Île de Montréal c. Bertrand, 2018 QCCS 5735, par. 7.