La directive gouvernementale émise à la mi-mars, suggérant aux personnes de 70 ans et plus de restreindre leurs sorties, en a fait grincer plus d’un. Plusieurs pays ont adopté cette mesure et certains ont arrêté l’âge de 65 ans, c’est le cas de la Suisse. Rares sont ceux qui n’ont pas recommandé la protection des personnes de cette tranche d’âge, en plus de la mesure générale de confinement.
L’âge comme motif de discrimination
La directive sanitaire visant la restriction de mouvement à un groupe d’âge en particulier est discriminatoire. Elle s’inscrit dans le cadre de mesures adoptées dans un contexte d’urgence, en lien avec la santé publique. Elle vise donc à protéger les personnes qui seraient plus à risque de nécessiter des soins si elles étaient accidentées ou infectées, et donc de requérir une place en milieu hospitalier. Elle s’appuie sur un motif qui paraît raisonnable à première vue, soit une fragilité plus grande. Cette distinction basée sur l’âge qui entraîne un traitement différent et des désavantages se nomme « âgisme » [1].
L’âge n’est qu’une mesure objective d’une personne, comme la taille et le poids, qui varie. Pris de manière isolée, l’âge nous apporte une indication sur la personne : elle a 2 semaines, 2 ans, 20 ans, 80 ans. Mais l’âge doit se conjuguer avec l’ensemble des caractéristiques d’une personne pour révéler un portrait plus complet : handicap à la naissance engendré par une paralysie cérébrale, détérioration progressive due à une sclérose en plaques, pertes cognitives avancées rattachées à une démence et bien plus. L’âge ne devrait donc pas être considéré de façon isolée ou sans référence à l’état de santé générale d’une personne.
Expérience de vie et droits fondamentaux
Les personnes plus âgées possèdent une expérience de vie acquise par les défis qu’elles ont rencontrés, par les maladies qu’elles ont surmontées, par les travaux qu’elles ont réalisés. Certaines d’entre elles ont vécu la guerre, la grippe espagnole et la découverte des vaccins. Elles possèdent des droits fondamentaux, tout comme les plus jeunes : liberté, libre circulation et libre choix. Ces droits ne diminuent pas au fur et à mesure que les années passent, mais ils s’exercent de manière plus ou moins active avec les années. L’expérience de vie ne doit pas constituer un obstacle à l’exercice des droits fondamentaux.
L’âge avancé ne prive pas une personne de l’accès à l’aide médicale à mourir, au choix de déménager, à la liberté de se marier, de faire un testament ou une donation. L’être humain possède le droit d’exercer de manière autonome ses choix. Cela participe à la reconnaissance de sa dignité. La Cour suprême l’a énoncé en 1988, et de manière manifeste, dans le célèbre jugement Morgentaler. « La notion de dignité humaine trouve son expression dans presque tous les droits et libertés garantis par la Charte. Les individus se voient offrir le droit de choisir leur propre religion et leur propre philosophie de vie, de choisir qui ils fréquenteront et comment ils s’exprimeront, où ils vivront et à quelle occupation ils se livreront. Ce sont tous là des exemples de la théorie fondamentale que sous-tend la Charte, savoir que l’État respectera les choix de chacun et, dans toute la mesure du possible, évitera de subordonner ces choix à toute conception particulière d’une vie de bien. »
La distinction exercée par l’État à la libre circulation des personnes de 70 ans et plus constitue une atteinte à leur dignité. Les aînés doivent pouvoir aspirer au respect de leurs droits de manière égale dans la société.
Il est clair que le gouvernement doit actuellement relever des défis et exercer des choix très difficiles. Mais au sortir de la crise sanitaire qui sévit, il nous faudra reconnaître le capital des aînés et le respect de l’exercice de leurs droits en toute égalité.
[1] Caroline Montpetit, « Les manifestations insidieuses de l’âgisme : le phénomène se faufile dans le monde du travail, en résidences publiques et privées, à l’hôpital et même dans les médias », Le Devoir, 28 février 2012, B7.