La pandémie frappe de plein fouet les centres d’hébergement et de soins de longue durée. Elle révèle une clientèle fragile, vulnérable et protégée. Celle-là même qui avait le soutien de ses proches avant le 13 mars 2020 et qui est maintenant isolée, comme les passagers d’un bateau de croisière.

Le 2 avril, les autorités sanitaires ont demandé aux résidences de soins de longue durée de ne plus transporter les résidents aux urgences des hôpitaux. La ministre de la Santé a demandé aux centres d’hébergement de prendre en charge les résidents et de ne transférer que les personnes qui sont en situation d’urgence. Cette directive vise à éviter l’engorgement des hôpitaux par des personnes fragiles qui seraient atteintes de la COVID-19, et à protéger et préserver les soignants qui sont indispensables dans le contexte de la pandémie.

Mais les centres d’hébergement ne sont pas en mesure de répondre à cette directive en raison du peu de disponibilité du personnel. Rappelons que sur les 4565 nouveaux postes créés par le Gouvernement à l’automne 2019, seuls 350 ont été pourvus par de nouveaux préposés aux bénéficiaires [1]. Les services aux résidents de ces centres, souvent comblés par les proches, n’ont plus leurs alliés, qui sont actuellement privés d’entrer sauf pour des raisons humanitaires.

Le 6 avril, le gouvernement annonçait qu’il enverrait du renfort aux CHSLD et invitait les infirmières retraitées à joindre les rangs pour prodiguer des soins. Si on part du principe que ce ne soit pas idéal de transférer un résident infecté ou malade d’un centre d’hébergement vers un centre hospitalier, le gouvernement a opté pour renflouer le personnel afin de répondre aux besoins en soins. Pour certains, ce choix ne prend pas en considération le droit d’accès des personnes hébergées à des soins en situation d’infection.

Distinction dans l’accès aux soins des personnes âgées et malades

En temps normal, la Loi prévoit que tous ont droit d’accès aux services de santé : jeunes, âgés, riches, pauvres, salariés, sans emploi, sans égard au sexe ou à l’orientation religieuse. En restreignant l’accès aux soins de santé des personnes les plus âgées et les plus malades en centre d’hébergement, le gouvernement décide de créer une catégorie de personnes à part.

Or, les personnes qui résident à domicile n’ont pas une telle restriction. Celles qui sont infectées par le virus ou qui ont développé les symptômes de la COVID-19 ont le droit de recevoir les soins requis par leur état. On opère donc une distinction entre les personnes à domicile et celles qui sont hébergées. Les personnes en centre d’hébergement qui sont infectées par le nouveau coronavirus sont défavorisées par rapport à celles qui résident à domicile. Confinées dans un établissement de soins de longue durée, souvent depuis quelques années, parfois contre leur gré, elles sont privées d’obtenir les soins requis par leur état de santé avant l’urgence. Ces personnes méritent pourtant l’accès aux services de santé comme celles qui n’y résident pas. Bien qu’elle soit fondée sur une situation sanitaire sans précédent, la directive équivaut à sélectionner les patients qui auront accès à des soins advenant leur infection. Cette sélection est basée sur le domicile et l’âge. En ce sens, elle est discriminatoire.

Quels soins réserver aux aînés hébergés?

Il faut s’attendre à voir moins de transports ambulanciers vers les hôpitaux en provenance des centres d’hébergement. Le personnel de ces centres aura la charge des personnes de plus en plus malades. Il composera avec la mort des résidents à un rythme accéléré au cours du mois d’avril. Sans le support des proches aidants, le personnel assistera à la détérioration de l’état de santé des résidents, transformant ce milieu de vie substitut en un possible « mouroir ».

Il est à craindre que les personnes qui auraient dû bénéficier de soins et de services en raison de leur état de santé décèdent des conséquences du manque de réponse à leurs besoins. La privation de soins aux personnes hébergées, en raison de la pandémie, entraînera une hausse de la mortalité pendant des mois.

On peut facilement prévoir qu’au sortir de la crise sanitaire, les centres d’hébergement pourront offrir plus de lits. Que les centres d’hébergement et les résidences privées de soins de longue durée déchargeront les hôpitaux de patients qui y résident actuellement faute de place dans les milieux de vie substitut ! Que le réseau de la santé pourra enfin reprendre son souffle, mais il devra être mieux équipé afin de répondre à la prochaine épidémie!


[1] Isabelle Porter, « Le réseau de la santé mettra du temps à se rétablir : peu de personnel soignant s’est ajouté en dépit des besoins énormes », Le Devoir, 28 novembre 2019.