Coup sur coup, les instances gouvernementales ont rendu publics des rapports importants et que l’on attendait. Ainsi, on a enfin pu lire les Rapports d’enquête sur les CHSLD Herron et Sainte-Dorothée [1] et le Rapport annuel du Protecteur du citoyen pour l’année 2019-2020 [2].
On savait qu’ils énonceraient des lacunes, des reproches et des recommandations. Les reproches sont sévères et commandent des mesures impliquant des efforts colossaux pour un ministère déjà affaibli par la crise de la COVID-19, un événement inédit et de portée planétaire.
Pourtant, la pandémie était prévisible, mais les milieux de soins au Québec manquaient de préparation pour l’affronter. C’est ce que révèle le rapport du Centre Herron.
Le CHSLD Herron — une organisation vulnérable
Entre 2017 et 2020, toutes les autorités pouvant formuler des recommandations, qui permettraient d’améliorer ce milieu de vie pour les aînés, se sont succédé : Conseil canadien de l’agrément, comité de l’évaluation du ministère de la Santé, Protecteur du citoyen, ordres professionnels (infirmières et infirmières auxiliaires), coroner (suite à un décès), commissaires aux plaintes et à la qualité des services.
L’historique nous révèle deux choses, qui ne sont pas uniques à cet établissement : les recommandations se succèdent sans être comprises et respectées par les directions et les enquêtes successives révèlent que le milieu ne répond pas aux besoins des résidents de manière adéquate et sécuritaire.
L’enquêteur constate que la revue des trois dernières années « a mis en lumière les limites d’une administration incapable d’installer une offre de services continue, stable et de qualité, comme prescrit dans les cadres législatifs et réglementaires, les directives, les politiques et les orientations des autorités gouvernementales et administratives en matière de santé et de services sociaux. » Et il conclut en ajoutant que : « Une lourdeur administrative et bureaucratique qui occulte l’essentiel des choses : obtenir des résultats concrets, mesurables et observables dans l’organisation des soins et des services. »
Il recommande notamment (1) d’apporter des changements à la Loi sur la Santé afin de fournir au ministre l’autorité d’intervenir dans les milieux d’hébergement de longue durée; (2) de revoir le rattachement de la fonction de commissaire local aux plaintes. La majorité de ces commissaires siègent actuellement sur les conseils d’administration, des établissements et des organismes privés qui dispensent des services de santé et des services sociaux à des personnes âgées, en perte d’autonomie ou à des adultes en situation de vulnérabilité.
Or, une nouvelle modification de la loi pourrait améliorer l’imputabilité des directions, mais elle devrait être complétée par une compréhension nouvelle de l’utilité des plaintes en milieu de soins.
Revoir les mécanismes des plaintes administratives
Mise sur pied lors de la réforme de la Loi en 1992, la réglementation du mécanisme de plaintes dans le réseau comportait quelques articles. Des dizaines d’articles ont été ajoutés depuis dans le but de préciser la démarche, mais les usagers et leurs représentants ne sont pas mieux outillés pour porter plainte. Néanmoins, le mécanisme vise tout de même à permettre de changer les choses.
Le problème majeur est que les directions considèrent trop peu les plaintes des usagers. Elles comprennent mal l’objectif premier du mécanisme en place. Les plaintes permettent d’alerter les directions, d’améliorer les pratiques et de faire adopter des changements nécessaires pour les clientèles. Or ce n’est pas la vision véhiculée actuellement.
L’effort du dépôt d’une plainte ne doit pas être sous-estimé. Rapporter par écrit une situation déplorable et recevoir une réponse insatisfaisante est problématique. Il faut souvent porter la plainte au niveau supérieur, au Protecteur du citoyen, avant d’avoir une réponse satisfaisante. Le proche aidant, qui peut représenter un usager, dénonce parfois une situation inacceptable. Trop souvent, il se voit refuser une plainte. Au lieu d’être entendue par la commissaire locale aux plaintes et à la qualité des services, sa parole est considérée comme dérangeante.
Pourtant les plaintes des usagers du réseau et de leurs proches, doivent continuer d’alimenter le travail des commissaires. Et les directions doivent écouter ce que les usagers rapportent au quotidien, en respectant l’esprit et la lettre de la Loi. Dénoncer des situations inacceptables exige de prendre du temps, d’écouter les conseils et de se faire confiance afin d’améliorer le quotidien vécu dans un milieu de vie substitut comme les CHSLD.
Passer des écrits aux actes
Le rapport d’enquête sur le CHSLD Herron formule des recommandations visant une meilleure planification à long terme. Les autorités devront élaborer des échéanciers pour redresser une situation qui se préparait depuis des années. La transparence du gouvernement actuel rassure, mais elle pourrait aussi nous motiver. Motiver pour créer des initiatives locales, des projets à petite échelle, des innovations sans grand éclat et même des nouveautés par les directions d’établissement, qui respecteraient leurs clientèles.
Le Gouvernement ne réussira pas à tout redresser en quelques mois, mais on doit se dire que nous pouvons semer maintenant pour que les suivants récoltent les résultats positifs. Malgré le désastre constaté et les réformes suggérées, il est encore possible d’y croire.
[1] Rapport d’enquête sur les événements survenus dans le cadre de la pandémie de la COVID-19 au CHSLD Herron (45 p.); Rapport d’enquête sur l’éclosion de la COVID-19 au Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) Sainte-Dorothée (119p.); ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, et ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.
[2] Rapport annuel du Protecteur du citoyen pour l’année 2019-2020, Marie Rinfret, Protectrice du citoyen.