Entendre que des restes d’enfants sont enterrés près des pensionnats pour autochtones. Tenter de concevoir la peur et les moments de souffrance avant leur décès. Refuser le mot d’ordre visant à tuer la culture des Premières Nations dans le cœur des enfants. Les découvertes macabres des dernières semaines ont fait surgir en moi des souvenirs qui m’ont incitée à réfléchir.
À 10 ans, j’ai été placée en pensionnat. Dans les années 60, des familles confiaient aux sœurs des congrégations religieuses, considérées comme les meilleures institutrices, le soin de l’éducation des jeunes filles. Les règles étaient sévères. Aucune dérogation, aucun accident, aucune erreur n’étaient tolérés sous peine d’être réprimandée par des coups de règles sur les doigts, l’isolement dans le placard de la classe pour plusieurs minutes ou la retenue après la classe pour quelques heures. Les religieuses n’hésitaient pas à nous nommer pour que nous nous sentions responsables de nos actes et à nous reprocher un comportement devant toute la classe, à nous ridiculiser si nous étions malades, à nous sommer d’arrêter de tousser parce que nous dérangions les autres, à nous forcer à prendre des pastilles d’une composition douteuse. Les commentaires venaient aussi du personnel embauché par la congrégation, car il y avait quelques laïques. Des messages lancés qui résonnaient dans nos têtes d’enfant : « Sois polie si t’es pas jolie ». Il n’y avait pas de limites aux punitions permises.
Contrairement aux pensionnats pour autochtones, nous avions le loisir de retourner dans notre famille le vendredi. Rarement était-ce possible de verbaliser ce que nous vivions pendant la semaine : autres temps, autres mœurs. Et puis, comment critiquer l’éducation que nous recevions alors que nous étions privilégiées de pouvoir recevoir un enseignement de qualité, de jouer du piano, de prendre part à des compétitions sportives ?
Le déchirement, les peurs et les pleurs me restent en mémoire. Faire ma valise me nouait le ventre. Dire au revoir le dimanche soir constituait une épreuve. Quelques fois, cette étape difficile se déroulait le lundi matin, avec le stress supplémentaire que comportait un retard sur la route menant aux foudres des religieuses par la suite.
J’ose à peine imaginer ce que vivaient les jeunes de mon âge dans les pensionnats pour autochtones (Maliotenam : 1952-1971). Quel enfer vivaient-ils? Quelles peurs les habitaient chaque minute? Quelles souffrances ont-ils endurées?
L’évangélisation que j’ai vécue comme pensionnaire était intense : apprendre par cœur le catéchisme, lire la bible, aller à la messe à 6 h le matin. Quel cauchemar vivaient les autochtones de mon âge, filles et garçons astreints à l’acculturation, désemparés, loin des leurs? Ce que j’ai vécu n’a rien de comparable à leur calvaire. Ils ont traversé des moments de grande indignité, de souffrances physiques, psychologiques et morales. Ils en sont morts. Je m’en trouve meurtrie.
Que nous ayons pris un temps de réflexion le 1er juillet était nécessaire. Mais il faudra plus, comme plusieurs l’ont affirmé. Il faudra trouver le moyen de corriger ces injustices et de dédommager les victimes.
Pour ma part, les images, les témoignages et les commentaires ont fait resurgir des souvenirs de la réalité que j’ai vécue de 1965 à 1971. Ils m’ont permis de prendre conscience que des situations pires que celles que j’ai vécues à l’époque pesaient dans la vie de pensionnaires de mon âge, et qui eux ont vraiment souffert.