Conséquences de la COVID-19 sur les personnes âgées
On ne peut oublier le triste épisode du printemps 2020 durant lequel des milliers de personnes âgées sont mortes dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée. Quant aux personnes âgées vivant seules, elles subissent les répercussions de la pandémie depuis près de deux ans, et ce n’est pas terminé. Elles se sont souvent retrouvées isolées, parfois impuissantes devant le cours des événements. Cette situation s’est aggravée avec l’addition des restrictions. Les conséquences se font sentir notamment devant les tribunaux.
Depuis le début de la pandémie, nous sommes régulièrement appelées à représenter devant la Cour supérieure des personnes âgées dans des dossiers de demandes d’hébergement forcé. Leur nombre a crû au cours des derniers mois. Or, de ces situations humaines souvent dramatiques et tristes, il se dégage un dénominateur commun; celui de personnes se retrouvant devant le tribunal, visées par une ordonnance de vivre dans un lieu de vie non désiré. Le tribunal civil ne peut l’ordonner que s’il est convaincu que la personne est inapte à consentir à l’hébergement et qu’elle refuse catégoriquement.
Voici les premiers de trois récits vécus en novembre 2021 par des personnes qui ont défendu leurs droits devant les tribunaux. La défense de telles causes n’est jamais facile. Mais ces causes, peu importe les décisions rendues, restent nécessaires au respect des droits à la liberté et à l’intégrité de la personne.
Faits à l’origine
Marie-Thérèse vit seule dans son logement depuis près de 40 ans. Elle aime tout de celui-ci : sa taille, son emplacement, ses voisins, le quartier dans lequel il se trouve, son loyer, et même son locateur qui est d’une grande gentillesse avec elle. Marie-Thérèse vit à Montréal. Sa famille vit dans sa région natale à environ 800 km de distance. Elle parle régulièrement à ses frères et sœurs avec qui elle s’entend très bien. Jusque-là, Marie-Thérèse vivait agréablement, sans enjeu de santé à l’exception d’un problème d’épilepsie, bien contrôlé, qu’elle traîne depuis l’enfance. Marie-Thérèse est célibataire, sans enfants et toujours autonome à 82 ans.
À l’automne 2020, elle a commencé à s’inquiéter d’être évincée par son locateur. Elle craint qu’il veuille récupérer son logement pour le rénover et le louer plus cher. Elle est aussi convaincue que sa voisine peut lui envoyer des ondes malveillantes. À l’été 2021, sa situation se dégrade à un point tel qu’elle quitte son logement dans la nuit. Elle se parle à elle-même, craint de mourir à petit feu en raison des ondes et pense au suicide. Le soutien psychosocial dont elle bénéficie ne suffit plus. En septembre 2021 elle est admise à l’hôpital où elle s’y sent en sécurité.
Pour répondre à ses besoins, l’hôpital envisage un traitement médicamenteux, mais Marie-Thérèse s’y oppose. Elle sait que son entourage ne croit pas ses dires. Pour elle, il ne s’agit ni d’imagination ni de conspiration. Elle reste solide dans ses convictions. C’est la vérité.
L’hôpital demande de lui administrer une médication qui pourra atténuer ses peurs et la rendre plus lucide à la réalité. L’équipe soignante estime possible qu’elle puisse retourner dans son logement après l’évaluation d’effets positifs de la médication sur sa condition.
À la cour
Marie-Thérèse est appelée à témoigner d’une salle de l’hôpital. Elle explique ses préoccupations, ses inquiétudes et son vécu jusqu’à l’automne 2020, où tout a basculé alors qu’elle a entendu parler des rénovictions. Depuis l’automne 2021, elle s’inquiète également des armes, des coups de feu et des arrestations qui ont cours dans son quartier.
Elle répond aux questions clairement. Le tribunal l’écoute attentivement. Il soupèse la preuve devant lui. Il conclut qu’il y a lieu d’accorder la demande de traitement médicamenteux compte tenu de la preuve médicale. Le plan de traitement paraît optimiste quant à l’état de santé de Marie-Thérèse. Il faut lui permettre un retour dans son lieu de vie où elle est la doyenne des locataires qui la chérissent. Le traitement lui sera imposé pour une durée de 2 ans.
Faits à l’origine
Léopold vivait seul dans une résidence privée pour aînés autonomes, depuis quelques années. Il était bénéficiaire de services journaliers d’assistance à domicile en raison d’un handicap causé par un accident vasculaire cérébral et de symptômes associés à la maladie de Huntingdon qui lui a été diagnostiquée il y a cinq ans. Léopold maintient des contacts réguliers avec ses deux fils en qui il a confiance. Âgé de 77 ans, il est veuf et grand-père.
Jusqu’à l’hiver 2021, Léopold s’organisait bien. Mais la diminution des services à domicile, les restrictions imposées aux visiteurs, le couvre-feu qui a duré quelques mois et le confinement du printemps 2020 ont entraîné l’apparition de difficultés organisationnelles. Malheureusement, il n’arrive plus à gérer son quotidien. Progressivement, les services qui lui étaient fournis deviennent insuffisants. Son logement devient désordonné et malpropre. Il est incapable d’en assurer l’entretien et la sécurité. La résidence insiste pour qu’il aille vivre ailleurs où plus de services pourraient lui être offerts. Léopold demande à recevoir plus de services, mais en vain : on manque de personnel au CLSC et dans les entreprises de services à domicile.
En juin 2021, il se plaint d’avoir été intoxiqué par l’aspersion excessive de désinfectant de type Purell, à titre de mesure sanitaire liée à la COVID. Puis, impuissant, il reçoit un avis d’éviction du locateur qu’il est incapable de contester seul devant le tribunal du logement. Il abdique devant l’entreprise privée beaucoup trop puissante pour lui. Il sera hospitalisé par la suite.
À l’hôpital, Léopold se sent en sécurité. Il suit avec intérêt le déroulement de l’enquête publique portant sur les soins et les services pendant la première vague de la pandémie de COVID-19. Il apprend qu’on envisage son transfert en centre d’hébergement et de soins de longue durée. Il refuse d’être transféré dans un CHSLD, considérant que sa vie ne s’en serait aucunement améliorée. L’hôpital demande donc à la cour d’être autorisé à procéder au transfert et d’émettre une ordonnance à l’égard de Léopold pour une durée de trois ans.
À la cour
Le jour de la présentation de la demande, début novembre, Léopold est amené dans une salle de l’hôpital pour participer à l’audition. Les professionnels de la santé entament leurs témoignages à distance également. Leurs propos font réagir Léopold. Il parle, gesticule, interrompt le témoin. De la salle de cour, on éteint son micro pour entendre le témoin… La situation devient intolérable : Léopold semble séquestré et privé de s’exprimer à son audition. Le tribunal ordonne que Léopold soit transporté en salle de cour pour une audition plus tard en novembre.
Cette fois-ci, l’audition se déroule en salle de cour. Léopold sera transporté au Palais de justice avec un accompagnateur. Il peut ainsi entendre tous les arguments et communiquer avec son avocate au cours de l’audition. Sa présence lui assure une défense pleine et entière.
Le tribunal saisi de la demande ne tient rien pour acquis. Le médecin généraliste qui supporte la demande est qualifié d’expert pour les fins de la cause. Cette qualification surprend puisque le rôle de l’expert est d’éclairer la cour. Dans ce contexte, il doit agir avec objectivité et faire preuve d’impartialité. Or, ici ce n’est pas le cas puisque le médecin participe au débat pour supporter la demande. Il n’agit donc pas de manière neutre.
Quant à Léopold, il témoignera pendant une heure, « de manière calme et mesurée ». Il répond logiquement, sans perdre le fil de sa pensée. Le défi de Léopold consiste à reconnaître les limites que lui impose sa maladie. Comme l’écrit le tribunal « les limitations neurocognitives, probablement causées par la maladie de Huntingdon, ne lui permettent pas de reconnaître ses limitations d’équilibre et de coordination. » Le tribunal autorise l’hébergement de force demandé, mais réduit à six mois l’ordonnance à compter du moment où Léopold emménagera dans un CHSLD répondant à ses besoins.
Fait à noter, l’absence des fils de Léopold est remarquée lors de l’audition et incite le tribunal à un commentaire. Léopold justifie l’absence de ses fils du fait qu’ils « occupent des emplois importants, ce qui expliquerait qu’ils ne peuvent se déplacer pour comparaître devant le tribunal. », alors qu’un représentant de l’hôpital affirme qu’ils « ont catégoriquement refusé de participer » à l’audition de la cause. Le tribunal écrira dans sa décision :
« Il ne fait aucun doute que les circonstances qui amènent un hôpital à demander une ordonnance de traitement sont souvent extrêmement difficiles pour les membres de la famille. Le tribunal ne souhaite pas minimiser l’impact que de telles circonstances peuvent avoir. Néanmoins, les enfants ont un devoir légal envers leurs parents et ont un rôle à jouer dans le régime de traitement des personnes qui sont inaptes à consentir aux soins. L’absence des fils […] est regrettable et pose des défis pour le Tribunal. Dans la mesure où les fils […] espèrent que le résultat de ce processus sera dans le meilleur intérêt de leur père, il aurait été préférable qu’ils soient présents. »
Dans le prochain billet, je vous rapporterai un autre récit accompagné de mes observations sur l’importance pour les personnes âgées de se faire entendre et de défendre leur liberté.
Poursuivre la lecture avec le billet Récits sur la perte de liberté ou : la fragilisation des personnes âgées vivant seules pour cause de pandémie ― Partie 2