Cinquième billet d’une série de six billets sur le PL 11

L’introduction des demandes anticipées de soin de fin de vie, comme il en a été question dans le dernier billet, soulève des défis éthiques et juridiques importants. Ce volet mérite que nous nous y attardions un peu plus longuement et que nous l’analysions plus en profondeur.

Règles de fond et de forme de la demande anticipée d’AMM (art. 18)

Formulation de la demande anticipée (art. 29.2 LCSFV)

La formulation de la demande anticipée proposée par le PL 11 s’apparente en tout point à celle de la demande contemporaine, à savoir que la demande doit être formulée de manière libre et éclairée, par la personne elle-même, dans le formulaire prescrit par le ministre, daté et signé.

a) Assistance: des conditions et des devoirs

Le PL 11 prévoit nombre de conditions qui doivent être remplies par la personne qui formule une demande anticipée d’AMM et par le professionnel compétent qui l’assiste (art. 29.3 – 29.5 LCSFV).

Quant à la personne qui formule la demande anticipée:

  • Elle devra décrire de façon détaillée dans sa demande les souffrances physiques ou psychiques qui devront être considérées, une fois rendue inapte à consentir aux soins et qu’un professionnel compétent constatera qu’elle paraît objectivement éprouver ces souffrances, et ce, en raison de sa maladie, comme la manifestation de son consentement à ce que l’AMM lui soit administrée lorsque toutes les conditions de la Loi seront satisfaites.

Quant au professionnel qui lui prête assistance:

  • Il doit s’assurer que les souffrances décrites dans la demande remplissent certaines conditions:
    1. elles sont médicalement reconnues pouvant découler de la maladie dont la personne est atteinte;
    2. elles sont objectivables pour un professionnel compétent qui aurait à les constater avant d’administrer l’aide médicale à mourir.
  • Il doit:
    1. être d’avis que la personne satisfait les conditions d’obtention d’une demande anticipée et que la demande rencontre les exigences de l’art. 29.2:
      a) s’assurer du caractère libre de sa demande;
      b) s’assurer du caractère éclairé de sa demande: nature du diagnostic, évolution prévisible de la maladie, pronostic, possibilités thérapeutiques;
      c) s’entretenir de sa demande avec des membres de l’équipe de soins en contact avec elle;
      d) s’entretenir de sa demande avec ses proches si elle le souhaite;
    2. s’assurer que la personne a eu l’occasion de s’entretenir de sa demande avec ses proches si elle le souhaite.

Quant à l’information portant sur les possibilités thérapeutiques, il serait peut-être souhaitable d’ajouter une obligation semblable à celle prévue dans la Loi fédérale, à savoir que le professionnel doit:

[…] g) s’assurer que la personne a été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment, lorsque cela est indiqué, les services de consultation psychologique, les services de soutien en santé mentale, les services de soutien aux personnes handicapées, les services communautaires et les soins palliatifs et qu’il lui a été offert de consulter les professionnels compétents qui fournissent de tels services ou soins [1];

Au sujet du devoir d’information du médecin, le PL 11 (art. 29.5 LCSFV) prévoit aussi que le professionnel

  • doit aviser la personne que sa demande anticipée ne conduira pas automatiquement à l’administration de l’AMM;
  • doit l’informer:
    1. que la constatation éventuelle qu’elle paraît objectivement éprouver les souffrances décrites dans sa demande ne permettra pas à elle seule l’administration de l’AMM;
    2. que l’AMM ne pourra lui être administrée que si deux professionnels compétents sont d’avis que deux conditions sont respectées:
      a) elle paraît objectivement éprouver des souffrances physiques ou psychiques persistantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions jugées tolérables;
      b) elle satisfait toutes les autres conditions d’administration de l’AMM par demande anticipée;
    3. de la possibilité de retirer ou modifier en tout temps sa demande anticipée et les conditions et modalités applicables.
  • Il doit de plus fournir cette information de manière claire et accessible.

Comme on le voit, le fardeau de renseignements de la part du professionnel est important. Au même titre que pour les demandes contemporaines, le professionnel doit consacrer du temps pour expliquer à la personne la portée de sa demande anticipée afin de lui permettre de la formuler en toute connaissance de cause.

b) Tiers de confiance: des défis à venir

Le PL 11 prévoit la possibilité de nommer un tiers de confiance dans la demande anticipée. Il s’agit d’une possibilité et non pas d’une condition de validité. La personne qui formule une demande anticipée peut confier à ce tiers les responsabilités suivantes (art. 29.6 LCSFV):

  1. aviser le professionnel qui dispense des soins à la personne en raison de sa maladie lorsqu’il croira qu’elle éprouve
    a) les souffrances décrites dans sa demande anticipée;
    b) des souffrances physiques ou psychiques persistantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions jugées tolérables;
  2. lorsque la personne est devenue inapte à consentir aux soins, aviser de l’existence de la demande anticipée tout professionnel qui dispense des soins à la personne en raison de sa maladie.

Ainsi, d’une part, le projet laisse à la personne le soin de désigner, ou non, dans sa demande anticipée, un tiers de confiance, et de lui confier la responsabilité d’enclencher le processus de mise en œuvre de la demande anticipée. Le PL 11 ne précise pas qui se qualifie à titre de tiers de confiance et il faut donc s’en remettre à une interprétation raisonnable et logique. Il faut surtout respecter le choix et les volontés de la personne telles qu’elle les aura exprimés dans sa demande anticipée. Seules les personnes mineures et les personnes majeures inaptes sont exclues d’une telle désignation.

Le tiers de confiance qui consent à sa désignation doit apposer sa signature sur le formulaire de demande anticipée (art. 29.7 LCSFV).

Le PL 11 prévoit aussi la nomination d’un second tiers de confiance, en cas d’empêchement, ou de refus ou de négligence d’agir du tiers de confiance. Or, si on peut penser que la nomination d’un substitut soit utile en cas d’impossibilité pour le tiers de confiance d’agir (inaptitude, décès, p. ex.), il en va autrement des autres raisons évoquées (refus ou négligence). En effet, permettre à plus d’un tiers de confiance d’agir en même temps nous semble une source de conflits prévisibles, voire de litiges, ce qu’il serait souhaitable d’éviter. De plus, comment évaluer s’il s’agit d’un refus ou simplement d’un empêchement, ou encore qui pourrait conclure à la «négligence d’agir» d’un tiers de confiance, alors qu’il aurait raisonnablement observé une situation qui ne lui paraissait pas donner ouverture à la mise en œuvre de la demande anticipée. Bref, le rôle et la responsabilité du tiers de confiance gagneraient à être clarifiés: est-ce un observateur, un porte-parole, un partenaire de soins?

En l’absence de désignation d’un tiers de confiance dans la demande anticipée, la mise en œuvre de la demande anticipée peut être assurée par le professionnel qui dispense des soins à la personne en raison de sa maladie. La question se pose toutefois à savoir quelle est la responsabilité de ce professionnel qui serait informé par des proches que la personne éprouve par exemple les souffrances décrites dans sa demande anticipée, au même titre que l’aurait fait le tiers de confiance. Qui plus est, face à des proches, au mandataire, au tuteur, au conjoint, de la personne, lesquels aviseraient le professionnel qui dispense des soins à la personne en raison de sa maladie, quelle écoute aura ce dernier? Quel consensus cherchera-t-il? À quelle responsabilité est-il tenu en pareille situation? Ces situations surviendront assurément puisque plusieurs hésiteront à désigner un tiers de confiance, ne pourront pas en désigner un ou le tiers de confiance ne sera plus disponible au moment de la mise en œuvre de la demande.

Au surplus, et à l’instar des difficultés vécues quant à la mise en œuvre des DMA, on peut prévoir que les proches de la personne qui a formulé la demande anticipée éprouvent des difficultés à se faire entendre par les professionnels qui dispensent des soins à la personne en raison de sa maladie. Il apparaît donc souhaitable de clarifier le rôle du tiers de confiance et les responsabilités du professionnel compétent en l’absence de ce tiers.

c) Deux formes valides

Le PL 11 prévoit deux formes valides, soit le formulaire prescrit par le ministre, soit par acte notarié (art. 29.2, 29.8 LCSFV). Les conditions s’apparentent à celles de la demande d’AMM actuelle dans la LCSFV. Comme dans le cas des DMA, le recours au formulaire prescrit par le ministre semble plus simple à première vue. Toutefois, contrairement aux DMA, la demande anticipée ne sera valide que si les obligations d’information du professionnel sont remplies.

d) Retrait et modification

Le PL 11 prévoit le mécanisme de retrait et de modification, de manière similaire à celui qui prévaut en matière de DMA à la différence que la personne qui souhaite retirer sa demande doit être assistée d’un professionnel compétent, c’est-à-dire un professionnel de la santé autre que celui qui dispense des soins à la personne. Celui-ci doit s’assurer que la demande a été radiée. Il va sans dire par ailleurs que seule la personne apte à consentir aux soins pourra retirer ou modifier sa demande anticipée (art. 29.11 LCSFV).

e) Traitement de la demande: examen et objectivation

Le PL 11 prévoit la mise en œuvre de la demande anticipée (art. 29.12 – 29.19 LCSFV). Le professionnel compétent doit procéder à l’évaluation de la personne qui a fait une demande anticipée d’AMM à l’une ou l’autre des situations suivantes, soit:

a) Lorsque le tiers de confiance l’avise qu’il croit que la personne éprouve des souffrances;
b) Lorsqu’un professionnel compétent constate à première vue que la personne paraît objectivement éprouver des souffrances;
c) Lorsqu’un professionnel membre de l’équipe de soins responsable de la personne qui a formulé la demande anticipée croit que la personne éprouve des souffrances;

telles que décrites précédemment à l’article 29.6 de la LCSFV.

Il doit ensuite discuter avec le tiers de confiance et les membres de l’équipe de soins. Il doit par la suite faire part des conclusions de son examen à la personne qui a formulé la demande anticipée, aux membres de l’équipe de soins et à tout tiers de confiance désigné dans la demande.

Le PL 11 prévoit aussi imposer au professionnel compétent de s’assurer que le processus d’administration de l’AMM se poursuit seulement si toutes les conditions relatives à l’objectivation des souffrances sont en conformité avec les conditions d’obtention, à l’article 29.18 de la LCSFV.

Enfin, l’administration de l’AMM suivant une demande anticipée ne peut avoir lieu que si toutes les conditions sont remplies et que l’avis d’un deuxième professionnel confirme le respect des conditions (art. 29.19 LCSFV). Les exigences s’apparentent à celle de la demande contemporaine.

Cependant, une difficulté est soulevée par les derniers alinéas de l’article 29.19 de la LCSFV:

Tout refus de recevoir l’aide médicale à mourir manifesté par la personne doit être respecté et il ne peut d’aucune manière y être passé outre.

Pour l’application du troisième alinéa, une manifestation clinique découlant de la situation médicale de la personne ne constitue pas un refus de recevoir l’aide médicale à mourir.

Ce qui est soulevé ici, c’est l’expression d’une résistance de la part de la personne au moment de la mise en œuvre de la demande. Le PL 11 semble clair sur le principe de ne pas passer outre le refus d’une personne dans le cadre de l’administration de l’AMM suite à une demande anticipée. Permettre de passer outre la manifestation d’un «refus» choquerait nécessairement la conscience. En d’autres termes, forcer l’administration de l’AMM à une personne au motif que sa demande anticipée peut être complétée, compte tenu du fait que toutes les conditions sont remplies équivaudrait à imposer l’AMM contre le gré de la personne, et ce, bien qu’elle soit inapte à consentir et qu’elle remplit les autres conditions de l’administration. Notre droit et notre société répugneraient un tel comportement. Ainsi, quatre propositions découlent de cette brève analyse pour trouver un sens raisonnable à ce sujet:

  1. clarifier ce qui doit être compris par un refus. Il en est tout autant de l’expression «manifestation clinique découlant de la situation médicale d’une personne»;
  2. élaborer et rendre disponible un guide des bonnes pratiques cliniques qui permettront une compréhension commune de ces manifestations et des comportements attendus des professionnels;
  3. prévoir une discussion, des explications et une compréhension commune à l’étape de la formulation d’une demande anticipée, entre la personne et le professionnel compétent;
  4. modifier l’article en s’inspirant de la Loi fédérale qui énonce que l’AMM ne peut être administrée que si la personne «[…] ne manifeste pas, par des paroles, sons ou gestes, un refus que la substance lui soit administrée ou une résistance à ce qu’elle le soit» [2].

Toujours sur la question de la manifestation d’un refus, le PL 11 énonce ce qui suit:

30.1. Une demande anticipée ne devient pas caduque du fait qu’un professionnel compétent a conclu qu’il ne peut administrer l’aide médicale à mourir, à moins que cette conclusion ne découle du refus de recevoir cette aide manifesté par la personne.

(Nous soulignons)

L’article 30.1 LCSFV soulève la possibilité de la caducité de la demande anticipée. Or, si la demande devient caduque suite à une manifestation de refus, il s’ensuit que ce sont les volontés de la personne qui seront reniées. Il serait alors approprié de prévoir à quelles conditions une demande anticipée deviendrait caduque, si tel était le cas. Encore ici, la notion mérite une clarification afin d’arriver à une compréhension commune de ce qui est entendu, constaté et attendu des professionnels face à de la résistance, à une manifestation d’opposition, ou encore à un refus clair à l’administration de l’AMM découlant d’une demande anticipée. Ce sujet devrait aussi faire partie des discussions entre la personne qui est atteinte d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins et le professionnel compétent à l’étape de la formulation de la demande anticipée.

f) Administration de l’AMM suite à une demande anticipée

À cette étape, le PL 11 prévoit que le professionnel compétent doit administrer l’AMM selon les mêmes exigences que les autres demandes d’AMM (art. 19). Avant de procéder à l’administration de l’AMM dans le cas d’une demande anticipée, il doit en sus informer tout tiers de confiance désigné dans la demande ainsi que tout professionnel membre de l’équipe de soins responsable de la personne (art. 30 LCSFV).

À la lumière des questions que nous soulevons, et de bien d’autres dont nous n’avons pas ici traité, il serait pertinent d’apporter des éclaircissements au texte du projet de loi. Notre prochain billet qui sera également le billet conclusif de cette série de textes portant sur le projet de loi 11 sera l’occasion pour nous de boucler la boucle sur le sujet.


[1] Code criminel, LRC 1985, ch. C-46, art. 241.2 (3.1) g)

[2] Ibid. Art. 241.2 (3.2) c)