L’auteure commente ce jugement de la Cour supérieure qui constitue un point tournant en matière de représentation des personnes visées par une demande en autorisation judiciaire de soins. L’auteure rappelle l’importance de la procédure qui vise à contraindre une personne à des soins ou à l’hébergement contre son gré.
INTRODUCTION
Le 22 novembre 2023, la Cour supérieure a rendu un jugement dans l’affaire CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. B.B [1]. La particularité de ce jugement repose sur le fait que la juge a mis un terme à une pratique qui avait cours concernant les demandes d’autorisation ayant pour objet un hébergement. Depuis, les établissements présentent leurs demandes en une étape plutôt que deux, en incluant la liste des ressources qui ont été identifiées dans l’éventualité où l’autorisation judiciaire était émise.
I– LES FAITS
En décembre 2021, le demandeur dépose une demande d’autorisation judiciaire de soins, accompagnée d’une demande pour l’émission d’une ordonnance d’hébergement à l’égard de Mme B… Le 14 décembre 2021, le Tribunal entend la demande. Insatisfait de la preuve administrée, il demeure saisi du dossier afin de permettre au demandeur de présenter une preuve additionnelle pour satisfaire son fardeau de preuve eu égard tant au traitement pharmacologique qu’à l’hébergement. Le 21 décembre 2021, le Tribunal rend une ordonnance autorisant la travailleuse sociale à soumettre au Mécanisme d’accès régional à l’hébergement (MARH) une demande d’hébergement contre le gré de Mme B… étant donné son refus catégorique de signer la documentation appropriée en vue d’une telle démarche. Le 24 février 2022, le Tribunal convoque les parties à une nouvelle audition. Un nouveau rapport et des notes médicales sont déposés par le demandeur. Le Tribunal ordonne alors une contre-expertise (art. 234 CPC) afin de lui permettre de trancher les questions en litige concernant le plan de soins. Le 23 août 2022, il obtient le rapport de l’expert. Il tient une troisième audition, le 30 septembre 2022. À cette date, le demandeur dépose un rapport complémentaire, daté du 1er mars 2022, lequel n’inclut pas de proposition quant au lieu précis proposé pour l’hébergement de Mme B…. Le 25 octobre 2022, le Tribunal autorise en partie le traitement pharmacologique proposé pour une période de six mois seulement. Il permet au demandeur de présenter une nouvelle demande d’autorisation de soins afin de préciser la ou les ressources d’hébergement proposées. Le 3 avril 2023, le demandeur dépose une nouvelle demande, qu’il va modifier le 20 avril suivant: il propose huit ressources d’hébergement. À l’audience du 24 avril 2023, une preuve médicale est présentée en lien avec la clarification du diagnostic de Mme B… Le demandeur dépose de plus un rapport du médecin désigné du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP), qui a reçu le rapport du médecin soignant. Il dépose également le «Guide pour le suivi des autorisations judiciaires de soins et d’hébergement» du CIUSSS de l’Est. Ce document n’est généralement pas déposé dans le cadre de telles demandes à la Cour supérieure en autorisation judiciaire de soins. À cette même date, le Tribunal est informé que la demande au nom de Mme B… au MARH est demeurée inactive depuis le mois de janvier 2022 et qu’il en sera ainsi tant et aussi longtemps qu’une autorisation judiciaire d’hébergement ne sera rendue par le tribunal, le tout basé sur une politique administrative de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal (cadre de référence et Orientations 2014)(par. 52). Le Tribunal constate ainsi qu’on lui demande d’autoriser l’hébergement forcé de Mme B… – ou d’une personne – «sans que ni elle ni cette personne ne connaisse la ressource qui en sera chargée et que le MARH identifiera à son gré par la suite.» (par. 53). Le Tribunal mettra fin à cette pratique.
II– LA DÉCISION
D’entrée de jeu, la Cour supérieure situe l’objet du débat en rappelant les enseignements des tribunaux:
- «Le droit à l’intégrité physique et psychologique constitue un droit si fondamental que les Chartes québécoise et canadienne (référence omise), ainsi que le Code civil du Québec contiennent des dispositions qui visent à le protéger.» (par. 1)
- «En conséquence, on ne peut légitimement violer ce droit qu’en respectant les limites strictes de la loi.» (par. 1)
- «[C]ontraindre une personne à demeurer là où elle ne veut pas et à prendre ou se voir administrer des médicaments contre son gré constituent probablement les violations les plus intolérables de ce droit (référence omise).» (par. 2)
- «[L]e droit s’avère clair: l’établissement qui requiert l’autorisation de prodiguer des soins à une personne contre son gré doit obtenir l’autorisation préalable du tribunal. Pour l’obtenir, l’établissement doit avoir proposé un plan de traitement précis et spécifique. Si la personne refuse catégoriquement de s’y soumettre, ce plan précis et spécifique doit alors être soumis au tribunal pour approbation.» (par. 3).
Le Tribunal élabore son analyse à partir des prémices connues suivantes:
- «[L]e rôle confié au tribunal par le législateur est de s’assurer que la preuve prépondérante permet d’établir que les effets bénéfiques de l’hébergement proposé surpassent les effets néfastes du déplacement forcé de la personne concernée dans un autre milieu de vie et que l’ordonnance sollicitée est justifiée.» (par. 35)
- «[I]l ne faut pas oublier que ce type d’ordonnance est privative de liberté.» (par. 36)
- «[L]es demandes d’autorisation judiciaire d’hébergement formulées de manière à donner «carte blanche» à l’établissement sont à proscrire.» (par. 37)
- «Les paramètres de l’ordonnance d’hébergement sollicitée doivent être “clairs et connus d’avance, afin que la personne visée ne soit pas, en définitive, soumise à la discrétion de l’établissement qui l’a demandée”.» (par. 39)
Il cite les principes énoncés à maintes reprises par la Cour d’appel:
- «L’ordonnance d’hébergement prononcée en vertu de l’art. 16 C.c.Q. est une mesure privative de liberté et, parce qu’elle l’est, ses paramètres doivent être clairs et connus d’avance, de manière à ce que la personne visée ne soit pas, en définitive, soumise à la discrétion de l’établissement qui l’a demandée ou des médecins de celui-ci.» (par. 39)
- «[L]’on ne saurait faire primer les pratiques administratives des établissements sur les principes d’autonomie et de liberté garantis par la Charte des droits et libertés de la personne et le Code civil du Québec […]» (par. 39)
- «La tâche du tribunal qui doit approuver un plan de soins pour une personne inapte est délicate et de la plus haute importance. Il doit s’assurer que ce plan n’est pas une “carte blanche” donnée à l’équipe de soins.» (par. 40)
- «Ainsi, les paramètres d’une ordonnance d’hébergement doivent être “clairs et connus d’avance, de manière à ce que la personne visée ne soit pas, en définitive, soumise à la discrétion de l’établissement qui l’a demandée ou des médecins de celui-ci”. » (par. 41)
Puis, il rappelle le contexte dans lequel le demandeur et le MARH ont refusé de se conformer à l’ordonnance rendue le 21 décembre 2021 (par. 45). Par la suite, le Tribunal avait été clair en refusant le 25 octobre 2022 la demande d’autorisation d’hébergement la jugeant trop imprécise. Il écrit qu’il «ne peut analyser les effets bénéfiques et néfastes d’un hébergement sans connaître l’endroit où se situe la ressource, le nombre de personnes qui y résident, les services offerts, les règles internes de la ressource, l’intimité dont pourra bénéficier Mme B…, l’exercice de ses droits de sortie, etc.» (par. 47-48). Le Tribunal rejette l’interprétation proposée par le demandeur des Orientations du ministère de la Santé et des Services sociaux, la jugeant «aussi inacceptable qu’illégale» (par. 6). Pour arriver à cette conclusion, elle analyse la politique et le cadre de référence (par. 67); elle entend un témoin indépendant qui explique le sens et la portée des Orientations et de la politique administrative (par. 71-99); elle est informée qu’une politique similaire est en vigueur en Estrie et dans Chaudière-Appalaches (par. 68); elle ordonne au demandeur de mettre en cause le procureur général du Québec (par. 63); et elle entend ce dernier sur la compatibilité des Orientations 2014 avec les enseignements jurisprudentiels et les droits constitutionnels des personnes concernées, de même que sur la force contraignante des Orientations sur le tribunal et les établissements dans le cadre de demandes d’autorisation d’hébergement forcé (par. 63-66, 100). C’est ainsi que le Tribunal conclut que «la procédure administrative pour identifier une ressource d’hébergement n’exige pas que la Cour supérieure rende une première ordonnance pour permettre le dépôt de la demande d’hébergement au MARH, lorsque l’usager refuse de donner son consentement à la communication de renseignements contenus à son dossier médical.» (par. 101). L’étape supplémentaire qui consistait à obtenir l’autorisation de la Cour afin de communiquer des informations confidentielles concernant Mme B… en vue de l’évaluation faite par le MARH était «inutile et non fondée.» (par. 102). Pour la juge Tremblay, la demande d’ordonnance d’hébergement doit se faire une fois les ressources identifiées par le MARH. La nouvelle procédure adoptée par les établissements cogestionnaires en mai 2023 répond à la situation: des informations pertinentes pour le MARH sont transmises de manière caviardée, malgré le refus catégorique de la personne concernée (par. 103). Le Tribunal émet en conséquence l’ordonnance d’hébergement non sans avoir mis au clair les exigences pour les demandeurs à savoir que toutes les ressources potentielles d’hébergement doivent être énumérées lorsque la demande d’autorisation est présentée et non pas seulement quatre d’entre elles comme il était de pratique courante jusqu’à ce jugement:
«[108] De l’avis du Tribunal, toutes les ressources pouvant répondre aux besoins et préférences de l’usager devraient être dénoncées et présentées à la Cour supérieure dans le cadre des demandes d’ordonnance d’hébergement. Comme mentionné ci-avant, il revient au tribunal et non au MARH de déterminer si les effets bénéfiques de l’hébergement proposé surpassent les effets néfastes du déplacement forcé de la personne concernée dans un autre milieu de vie. Pour satisfaire son rôle, le tribunal doit bénéficier de toute l’information pertinente.»
III– COMMENTAIRE DE L’AUTEURE ET CONCLUSION
Pratique administrative
Ce jugement a opéré un changement majeur en matière de demande en autorisation judiciaire de soins (hébergement) contre le gré d’une personne inapte à consentir, du moins dans le district de Montréal. Avant ce jugement, les demandeurs présentaient une demande en autorisation lorsque la personne visée refusait l’hébergement et refusait par le fait même que des informations confidentielles les concernant puissent être transmises dans le but d’identifier une ressource d’hébergement selon le mécanisme et la pratique administrative instaurés. Une fois cette autorisation obtenue, les demandeurs se présentaient à nouveau devant le Tribunal afin d’obtenir l’autorisation d’hébergement dans l’une ou plusieurs des ressources d’hébergement. Les tribunaux avaient recours à ce mécanisme laissant au MAH (Mécanisme d’accès à l’hébergement) l’identification de la ressource, souvent le dernier lieu de vie de la personne visée par la demande judiciaire [2]. C’est ainsi qu’on retrouvait des conclusions semblables à celles qui suivent:
«En cas d’évolution favorable de l’état clinique du défendeur, le transfert du défendeur dans un milieu de vie structuré et supervisé au sein d’une ressource de type «appartement supervisé» à être identifiée par le MAH sur le territoire de la ville de Sherbrooke et ses environs, le tout pour la durée du jugement à intervenir sur la présente demande;
En cas d’évolution défavorable de l’état clinique du défendeur, le transfert du défendeur dans un milieu de vie structuré et supervisé au sein d’une ressource de type intermédiaire («RI») à être identifiée par le MAH sur le territoire de la ville de Sherbrooke et ses environs, le tout pour la durée du jugement à intervenir sur la présente demande.» [3]
Mécanisme d’accès à l’hébergement (MAH)
Pour mieux comprendre le mécanisme d’accès régional, mentionnons qu’il a été adopté en réponse au Plan d’action en santé mentale 2005-2010 (PASM 2005-2010) du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS). Afin de mettre en œuvre le plan ministériel, l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal a adopté trois priorités, soit la diminution du nombre d’établissements gestionnaires, le développement d’un mécanisme d’accès «unique, plus souple et plus efficace» [4] ainsi que la révision de l’offre de service régionale. Le cadre de référence vise la seconde priorité, soit de définir les modalités d’articulation du mécanisme d’accès aux ressources résidentielles. Ce mécanisme doit assurer une équité dans la réponse aux besoins de l’usager en proposant un seul et unique guichet d’accès pour l’ensemble des ressources résidentielles en santé mentale adulte ayant un contrat ou une entente de collaboration avec un des deux établissements gestionnaires. Le mécanisme d’accès unifié se caractérise notamment par l’utilisation de critères d’admissibilité identiques, reconnus, acceptés et diffusés aux partenaires engagés. Il est assorti de responsabilités: chaque région est responsable de préciser les modalités d’accès aux services qu’elle offre [5] et de «
(1) d’admissibilité (âge, diagnostic, besoin de soutien et d’assistance, suivi professionnel, services résidentiels, capacité de vivre en ressource résidentielle, capacité de fournir un consentement libre et éclairé) [9];
(2) de non-admissibilité temporaire (instabilité médicale ou psychiatrique, perte importante d’autonomie physique et/ou cognitive, potentiel de dangerosité élevé, comportements perturbateurs envahissants [10];
(3) de non-admissibilité (diagnostic de déficience intellectuelle sévère, perte d’autonomie sévère nécessitant un hébergement en CHSLD) [11].
La Cour supérieure a invalidé la manière dont les établissements ont recours à ce mécanisme d’accès, mais le cadre de référence et le MAH restent valides. Toutefois, les critères varient d’une région à l’autre et leur application, et les décisions judiciaires, également. Il en découle que des personnes se questionnent sur l’équité accordée au processus. Les personnes préoccupées par l’application équitable du mécanisme d’accès gagneraient à en être mieux informées et à s’interroger sur les décisions qui sont prises par les administrateurs quand il s’agit d’hébergement ou de transfert d’un proche, par exemple.
CONCLUSION
Le nombre de demandes en autorisation judiciaire de soins ayant pour but un hébergement a crû de manière significative au cours des trente dernières années. Les personnes concernées par ces demandes ont le droit de s’y opposer. Elles refusent l’hébergement, car elles souhaitent retourner vivre dans leur domicile ou avec un de leurs enfants, comme c’était le cas de Mme B… Ces personnes nécessitent généralement de l’accompagnement et requièrent de la surveillance, des rappels et de la stimulation que la famille ne peut combler. Le séjour en milieu hospitalier ne leur convient plus et il est primordial d’identifier un ou des milieux de vie qui seront moins contraignants que leur hospitalisation. Le jugement de la Cour supérieure pourra améliorer la démarche servant à identifier une ressource ou un centre d’hébergement de manière plus acceptable pour ces personnes vulnérables qui dépendent souvent de leur entourage. Il permet de répondre à leurs besoins et à la préoccupation que nous devrions avoir à leur égard compte tenu de leur situation, en plus d’alléger le système judiciaire.
IV– ANNEXE
[1] 2023 QCCS 4437, EYB 2023-535872. [2] À titre d’exemples, Centre universitaire de santé McGill (CUSM – Hôpital Général de Montréal) c. J.S., 2016 QCCS 394; Leblanc c. R.D., 2020 QCCS 625, par. 20.1.1 et 22; Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke c. A.D., 2021 QCCS 2939, par. 10; CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. H.M., 2023 QCCS 492, par. 31; Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke c. R.N., 2022 QCCS 1435, par. 16-17. [3] Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke c. D.S., 2021 QCCS 2496, par. 10.
[4] Agence de la Santé et des Services sociaux de Montréal, Mécanisme d’accès régional – Ressources résidentielles en santé mentale adulte de Montréal, mai 2014, p. 9. Voir à titre d’exemple le canevas d’entrevue pour le MAH, de l’Institut Douglas, en Annexe. [5] Loi sur les services de santé et services sociaux, L.R.Q., c. S-4.2, art. 354: «En outre des modalités d’accès aux services des ressources intermédiaires et des ressources de type familial qu’elle établit conformément aux articles 303, 304 et 314, l’agence détermine également, en tenant compte des orientations identifiées à cette fin par le ministre, les modalités générales d’accès aux différents services offerts par les établissements de sa région. Elle favorise par ailleurs la mise en place, par les établissements concernés, de tout mécanisme d’accès aux services qu’ils estiment nécessaire pour assurer une réponse rapide et adéquate aux besoins des usagers.» [6] Agence de la Santé et des Services sociaux de Montréal, Cadre de référence régional – mécanisme d’accès à l’hébergement pour les adultes en perte d’autonomie, 2014, p. 26. [7] Ibid. [8] Id., p. 26-27. [9] Agence de la Santé et des Services sociaux de Montréal, Mécanisme d’accès régional – Ressources résidentielles en santé mentale adulte de Montréal, p. 19.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
Ce billet est tiré de l’article intégral initialement publié dans Repères, édition de décembre 2024, sur le site Web des Éditions Yvon Blais.