Après avoir offert de l’aide à sa voisine, Charline a fait l’objet d’une plainte pour exploitation à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Vu sa contestation, une demande de réclamation a été présentée au Tribunal des droits de la personne par la CDPDJ. Une épreuve qui a ébranlé Charline, bien qu’elle en soit ressortie gagnante.

Faits à l’origine

Charline vit dans un immeuble à logements. Elle est discrète et ne pose pas de questions à ses voisines. Un dimanche, Paulette – locataire depuis plusieurs années — l’interpelle. Elle demande à Charline son aide pour l’amener à la banque, faire des courses, cuisiner quelques plats et passer du temps avec elle. Charline accepte. Elle est ravie du privilège d’assister et d’accompagner une vieille dame.

Paulette a 97 ans. Elle vit seule et reçoit peu de visiteurs. Elle dit ne plus recevoir l’aide de la personne qu’elle avait désignée dans une procuration et un testament. Elle reçoit la visite occasionnelle d’une préposée du CLSC. Elle voit seule à l’entretien de son logement, paie ses comptes, etc. Après quelque temps, Paulette désigne Charline comme mandataire dans une procuration.

Puis, Paulette qui pose des questions apprend que Charline doit rembourser un prêt automobile et un solde sur sa carte de crédit. Un jour, Paulette décide sans préavis d’aller à la banque avec Charline. Elle donne des instructions pour que les dettes de Charline soient entièrement réglées à même son compte. Charline, gênée et surprise, refuse d’abord, puis se résout à accepter devant l’insistance de Paulette.

L’année suivante, une plainte est déposée à la CDPDJ par l’aidante que Paulette avait désignée précédemment dans son mandat d’inaptitude et son testament. L’enquêteur assigné recueille les versions du personnel de la banque et de celui du CLSC. Il conclut à l’exploitation de Paulette. Il fait part de ses conclusions à Charline. La CDPDJ réclame à Charline le montant de 25 000 $ qui lui avait été donné pour rembourser ses dettes sous prétexte qu’elle aurait abusé de Paulette. L’enquêteur n’a pas rencontré personnellement Paulette. Celle-ci décède avant le dépôt des procédures au Tribunal.

Audition devant le Tribunal des droits de la personne

Trois juges président la séance. La Commission fait entendre six témoins rencontrés par l’enquêteur. Ce dernier ne viendra pas témoigner. Les déclarations prises par l’enquêteur sont contestées en raison de leur manque de fiabilité.

Tout ceci est difficile à comprendre pour Charline qui doit être présente à l’audition. Elle ne saisit pas les technicités de la preuve. Elle est ahurie par les témoignages qui rapportent des demi-vérités sur Paulette et précisent comment ils ont questionné cette dernière sur ses décisions. Elle s’inquiète terriblement à l’idée que les juges pourraient ne pas l’écouter ni la croire, et la condamner.

Au moment de son interrogatoire, Charline manifeste beaucoup de nervosité. Elle cherche ses mots. Elle réussit à expliquer comment se sont déroulés les événements, sa relation avec Paulette, sa méconnaissance des avoirs de cette dernière. Elle décrit le quotidien et les choix de Paulette. Elle rapporte ses paroles, ses volontés. Elle se réfère aux photos qu’elles ont prises ensemble. Elle expose qu’avoir su la tournure, elle aurait refusé la faveur de Paulette. Elle explique qu’elle vit seule, qu’elle n’a jamais demandé d’argent à Paulette. Elle admet avoir des difficultés financières. Elle précise qu’elle était gênée du cadeau de Paulette, qu’elle n’a jamais utilisé la procuration pour ses fins personnelles et que tout s’est déroulé à la connaissance du personnel de la banque. Elle précise qu’elle n’était pas sa proche aidante pour avoir de l’argent, mais bien par engagement personnel, par générosité et par amitié.

Le Tribunal a rejeté la plainte de la CDPDJ pour exploitation financière de Paulette. Il a conclu qu’il n’y avait pas d’exploitation au sens de l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne. Il a considéré que Paulette avait l’indépendance d’esprit suffisante pour faire le choix éclairé de payer les dettes de Charline.

« Toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d’être protégée contre toute forme d’exploitation.

Telle personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu. »

Comme l’écrivait le Tribunal des droits de la personne, le concept d’exploitation « s’entend de toute situation de vulnérabilité et de dépendance d’une personne face à une autre qui, volontairement ou involontairement, en profite de manière abusive, et de la volonté de quelqu’un d’en profiter. L’exploitation s’entend, dans son sens vernaculaire, d’un profit abusif. » [1]

Commentaires de conclusion

L’histoire de Charline révèle les difficultés que rencontrent à la fois les personnes aînées et aidées, et les personnes proches aidantes. Elle confirme également à quel point le système de justice leur est inconnu. Elle illustre que les enquêtes qui mènent à des accusations sont parfois bâclées.

Mais il y a plus. Il n’est pas rare de constater que les personnes en autorité (p. ex. les institutions financières et de soins de santé) craignent l’exploitation financière d’une personne âgée qui vit seule. Certes, il faut lutter contre l’exploitation financière et protéger les personnes les plus vulnérables en raison de leur âge, d’une maladie ou d’un handicap, de leur isolement et de leur situation de dépendance, entre autres. Mais il faut aussi se méfier de soupçonner de l’exploitation à l’égard des personnes âgées lorsque celles-ci font des choix librement ou lorsqu’elles ont une personne proche aidante bienveillante.

Car suspicion il y a dès qu’une personne sans lien familial accepte de donner son temps pour assister, accompagner et soutenir une personne âgée, surtout si cette personne reçoit une rétribution occasionnelle à titre de reconnaissance de la part de la personne aidée. Où doit-on tracer la ligne de l’exploitation?

L’histoire de Charline révèle le fragile équilibre entre autonomie et protection des personnes âgées. Pensant bien faire, on questionne leurs choix, mais de quel droit? C’est là où l’écoute de leurs volontés, le respect de leur fragilité et une certaine objectivité prennent toute leur importance.

 

[1] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Monty) c. Gagné, 2002 CanLII 6887, QCTDP, par. 83 (réglé en appel) ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (C.A. et un autre) c. Comeau, 2020 QCTDP 11, par. 51