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Réponse du droit aux limites des libertés individuelles

La condition à fournir une preuve de vaccination entraîne la révélation d’une information relative à l’état de santé. De telles informations sont jugées confidentielles en raison de leur nature qui se rattache à la personne. Ces renseignements sont en outre protégés par le droit à la confidentialité et au respect du secret professionnel. La cueillette de données relatives à la santé n’est permise que s’il est démontré qu’elle est nécessaire aux finalités d’une entreprise, par exemple dans les domaines de l’assurance et de l’emploi. Elle ne s’applique pas à d’autres fins.

L’exigence de montrer sa preuve de vaccination contre la COVID-19 pour avoir accès à des lieux ne respecte pas ce critère. Il s’agit clairement d’une dérogation à la protection des renseignements personnels. Une dérive inacceptable existerait par exemple si un restaurateur demandait à ses clients affectés du diabète de montrer leur carnet d’administration de médication, sous prétexte de vouloir éviter un accident. Le simple fait de demander cette information constituerait une intrusion à la vie privée non justifiée.

Dans le contexte actuel, toute personne risque de propager le virus, vaccinée ou non. Toute personne a droit à la confidentialité des informations relatives à sa santé et à sa vie privée. Mais, chaque personne doit agir de manière raisonnable et de manière à ne pas nuire à autrui.

L’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne énonce :

9.1. Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.

L’article 9.1 est entré en vigueur le 1er octobre 1983, soit huit ans après l’adoption de la Charte québécoise. En troisième lecture de la Loi modifiant la Charte des droits et libertés, tout juste avant son adoption en décembre 1982, le ministre de la Justice, feu Marc-André Bédard, précisait ceci :

  • Il s’agit d’une clause restrictive telle qu’elle existe dans la Charte canadienne et dans la plupart des chartes.
  • Elle a été ajoutée dans la Charte des droits et libertés de la personne, car les droits et libertés fondamentaux sont rédigés en termes très absolus ce qui aurait pu constituer une source de querelles juridiques stériles et un prétexte à une utilisation de la clause dérogatoire (art. 52) dans des projets de loi particuliers.
  • Elle était nécessaire. Les droits et libertés fondamentaux peuvent alors être exercés dans le respect d’autres principes importants, tel le respect de l’ordre public, du bien-être général et des valeurs démocratiques.
  • Elle agit comme balise nécessaire qui fixe la portée des droits et libertés fondamentaux.

L’article 9.1 n’était pas nécessaire avant son adoption, car les articles 1 à 8 n’étaient pas prépondérants sur les lois du Québec. Or, l’article 52 de la Charte québécoise, qui a subi une modification en même temps que l’article 9.1, a été adopté. La portée des articles 1 à 8 devait être limitée puisque ceux-ci devenaient prépondérants sur toutes les autres lois du Québec.

En Commission permanente de la justice, le 16 décembre 1982, M. de Bellefeuille avait soulevé son inquiétude voulant que l’article 9.1 devienne une clause qui puisse permettre trop facilement de déroger à la loi sur les droits de la personne au Québec.

But poursuivi et proportionnalité

En vertu de l’article 9.1, il incombe au gouvernement de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le but poursuivi — protection de la santé publique en limitant la propagation du virus, et promotion de la vaccination — n’est ni irrationnel ni arbitraire, et que les moyens employés sont proportionnels à l’objet qu’on veut atteindre — montrer une preuve de vaccination.

Au sujet de l’application de cet article, la Cour suprême du Canada [dans Syndicat Northcrest c. Anselm (2004) 2 R.C.S. 551] précisait par la plume des juges Bastarache, LeBel et Deschamps qu’il faut distinguer entre les deux alinéas de l’article 9.1.

  • Le second alinéa, qui s’applique à l’État, est une clause de limitation similaire à l’article 1 de la Charte canadienne: il indique que l’État peut restreindre les droits, conformément à certains critères.
  • Le premier alinéa, qui s’applique aux relations privées (entre individus), est une clause d’interprétation des droits, qui indique que ces derniers doivent se comporter en tenant compte des droits d’autrui et des exigences de la vie en société. Il implique qu’il faut concilier les droits en présence et trouver un équilibre conforme à l’intérêt général, et non pas simplement évaluer une atteinte à un droit individuel.

Malgré cela, il appartient au gouvernement de démontrer que l’atteinte alléguée aux droits individuels est conforme à la limite imposée par l’article 9.1. La privation d’accès à des lieux publics sans preuve vaccinale n’est pas banale. Pour se procurer cette preuve, un citoyen doit se faire vacciner. Ceux qui refusent sont privés d’accès, mais nul n’est contraint d’être vacciné. La restriction des droits repose sur le principe du bien-être collectif et de la protection de la santé publique. Elle suspend l’exercice de la liberté individuelle sans porter atteinte directement au droit à l’intégrité. Elle suspend le droit à la confidentialité, sans que l’information fasse toutefois l’objet d’une collecte.

À la vue de la propagation du virus et des taux d’infection chez les personnes non vaccinées, la mesure mise en place n’apparaît ni arbitraire ni légère. Et si l’on prétendait que la mesure oblige le citoyen à se faire vacciner et portait atteinte directement à son intégrité et à ses choix, un tribunal pourrait conclure que l’atteinte est raisonnable au sens de l’article 9.1 de la Charte québécoise. Quant au fait qu’une preuve vaccinale empiète sur le droit à la confidentialité des informations relatives à la santé, il faut reconnaître qu’un nouvel équilibre se développe entre droits individuels et collectifs. Il faut souhaiter que la mesure demeure exceptionnelle, mais cela est peu probable. Le passé nous enseigne que les changements adoptés pour fins de sécurité demeurent. Des dérives pourront survenir. Il nous incombe à tous donc de prendre les mesures pour ne divulguer que les informations qui nous concernent et qui sont essentielles à l’objectif poursuivi. Comme pour les autres mesures instaurées à la suite de drames collectifs, nous avons adopté des mesures privatives de libertés. La preuve vaccinale est possiblement l’une d’elles. Voilà ce que le XXIe nous réserve.