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Le gouvernement a interdit l’accès des proches aidants aux personnes hébergées par arrêté ministériel le 23 mars dernier. Pour la grande majorité, cette décision s’est avérée bien fondée, tandis que pour d’autres cette décision a été catastrophique. La directive ministérielle a ainsi privée des personnes parfois totalement dépendantes, et souvent désorientées, de la personne la plus significative dans leur quotidien. Il existe une clause d’exception, qui fait appel au bon jugement exercé par la direction de chaque résidence, qui permet d’ouvrir les portes aux proches aidants « pour des raisons humanitaires ». Cette clause a été appliquée, mais de manière bien inégale.

Suite aux pressions, le gouvernement a émis une nouvelle directive le 3 avril afin que les proches d’une personne habitant dans une résidence pour aînés puissent l’accueillir à domicile sous certaines conditions. Plusieurs familles n’ont pas attendu la directive et ont entrepris des démarches auprès des résidences, incluant l’envoi de mises en demeure, pour ramener à domicile un être cher. Ils l’ont fait malgré les obstacles qui se posaient, telle l’absence de services à domicile pendant ce congé temporaire de l’hébergement.

La possibilité de retourner à domicile reste une option, qui est toutefois inaccessible aux plus démunis.

Quelles raisons justifient l’hébergement ?

Au Québec, l’hébergement fait appel à la situation où une personne de plus de 18 ans intègre un milieu de vie substitut afin que soient rencontrés ses besoins en soins et services. La Loi prévoit que les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) aient pour mission « d’offrir de façon temporaire ou permanente un milieu de vie substitut, des services d’hébergement, d’assistance, de soutien et de surveillance […] aux adultes qui, en raison de leur perte d’autonomie fonctionnelle ou psychosociale, ne peuvent plus demeurer dans leur milieu de vie naturel, malgré le support de leur entourage » [1]. Pour être hébergée, une personne doit donc requérir des soins et des services spéciaux, comme l’aide à l’alimentation, la médication, la communication, la mobilisation, l’hygiène et l’impossibilité pour elle de de retrouver cela dans son milieu de vie naturel.

Cette impossibilité variera d’une personne à l’autre. Pour certains il s’agit de l’absence de proches, de l’impossibilité pour les proches de fournir les soins requis par manque de disponibilité, de connaissances, d’incompréhension, ou encore en raison du refus catégorique de la personne concernée de recevoir les soins de santé à domicile dont elle a besoin. Ces soins comprennent le contrôle du diabète ou des soins d’hygiène personnels. Cette impossibilité peut aussi être attribuable aux coûts reliés au maintien à domicile, qui impliquent une présence et une surveillance en continu.

Des incitatifs à l’hébergement existent dans le milieu de la santé. Ils partent de la prémisse que les places sont rares et que la liste d’attente est longue. Les médecins et les travailleurs sociaux encouragent la famille à prendre une décision rapidement pour la demande d’hébergement. Celle-ci se fait par le biais d’une plate-forme qui évalue chaque cas et détermine quelles ressources pourraient répondre aux besoins particuliers de la personne.

Qui décide de l’hébergement ?

Au Québec, il revient à la personne elle-même de consentir ou non à son hébergement. À défaut de consentement de la personne, parce qu’elle est mineure ou parce qu’elle est incapable de consentir d’elle-même, une personne reconnue par la Loi peut consentir à sa place. On parle ici d’un mandataire, d’un tuteur, d’un curateur (ce qui inclut le curateur public), d’un conjoint, d’un parent ou d’un proche. Ultimement, lorsqu’il y a un désaccord sur la possibilité d’hébergement, sa durée ou la capacité de la personne à comprendre les motifs de l’hébergement, et que l’on constate son désir de demeurer en milieu de vie naturel, le tribunal pourrait trancher.

Les nombreux jugements rendus par les tribunaux sur les demandes d’hébergement révèlent que la demande doit s’appuyer sur une évaluation particulière et personnalisée. La Cour d’appel a écrit : « une ordonnance de soins, parce qu’elle est privative de liberté et attente nécessairement à l’intégrité de la personne, est assimilable à une ordonnance d’incarcération. » [2] Toute décision doit « l’être dans l’intérêt supérieur de la personne visée et dans le respect de son intégrité et de sa volonté ». En toutes circonstances, la durée de l’hébergement doit être « la plus courte possible sans neutraliser le traitement lui-même » [3].

La Cour supérieure est régulièrement saisie de ce type de demande. Elle est la gardienne de la privation de liberté des personnes aînées qui en font l’objet, car : « contraindre une personne à demeurer où elle ne souhaite pas, c’est porter atteinte à l’un de ses droits fondamentaux qu’est sa liberté. Le plus grand respect doit y être apporté. […] À vouloir objectiver ce qui est bien pour cette personne, fait perdre de vue que cette personne demeure libre de ses choix même s’ils comportent des risques pour son intégrité physique. » [4]

Pour les personnes âgées qui ont été contraintes à l’hébergement par ordonnance, en sortir s’avère donc une tâche difficile. Elle sera possible à la suite d’une révision basée sur des motifs qui feront prévaloir les bénéfices d’un retour dans un milieu de vie naturel pour la personne, par rapport aux inconvénients de continuer l’hébergement.

Bénéfices du retour à domicile

Face aux risques élevés de propagation des virus et des infections, les bénéfices d’un retour à domicile surpassent à première vue ceux du maintien en hébergement. Même dans le cas de personnes totalement dépendantes, le milieu de vie naturel pourrait répondre temporairement aux besoins de la personne hébergée. Le succès d’une telle opération est basé sur une planification adéquate, qui prend en considération les difficultés à venir et respecte le bien-être et l’intérêt de la personne hébergée [5] avant tout.

Ce qui paraissait impossible avant la pandémie pour certains, soit de reprendre un proche totalement dépendant, sans parole, avec des plaies de lit et des besoins de surveillance quasi constants, est devenu possible en raison de la crise sanitaire. Les bienfaits du retour dans un milieu de vie naturel, malgré ses inconvénients, surpassent actuellement les bénéfices du maintien en hébergement. Il s’agit d’un nouveau défi pour les familles qui doivent affronter une situation non planifiée et qui le font avec succès. Cette situation n’est pas simple puisqu’il leur faut toutefois pallier avec des soins à domicile.

Exigences du retour à domicile

Prendre soin d’une personne qui requiert des soins tous les jours exige une gestion étroite du quotidien, du respect et beaucoup de patience. Le milieu de vie doit faire face aux réactions de dépaysement, d’errance, de lenteur de l’alimentation de la personne, de même qu’aux manifestations inconnues de la maladie, à des difficultés de communication, à un réaménagement des lieux, à des horaires chamboulés, ainsi qu’à de nouvelles tâches et un rythme de vie bouleversé.

La disproportion dans l’implication des proches pourrait même devenir une source de tensions. Après l’accalmie, lorsque la personne qui héberge temporairement fera valoir le nombre d’heures investies et demandera le remboursement de ses dépenses pour répondre aux besoins immédiats, des litiges pourraient naître.

Au-delà de ces considérations financières, ce sont les moyens mis à la disposition des familles pour obtenir les équipements nécessaires (lit, matelas, etc.), la médication prescrite, les visites et le soutien des professionnels, le temps de répit, les informations nécessaires et même le soutien financier qui demanderont beaucoup de travail… Plusieurs de ces services devraient d’ailleurs être prodigués directement par les CLSC, qui pourraient à leur tour s’objecter au motif pour lesquels la personne est encore hébergée dans le réseau… Cette situation pourrait créer une confusion chez les professionnels de la santé, qui peuvent rendre disponible les équipements pour les soins à domicile, et qui refuseraient de les fournir pour des raisons administratives.

Retour en hébergement

Des professionnels ont fait planer le risque que la place d’hébergement ne puisse être récupérée, lorsque la situation rentrerait dans l’ordre, si la personne hébergée quittait le centre d’hébergement. Elle pourrait en quelque sorte perdre sa place. En plus d’être immorale, cette menace n’a aucun poids légal. D’importants risques de santé ont été identifiés lors du tout premier décret gouvernemental, le 13 mars dernier. Donnez un tel avertissement en temps de pandémie, sachant que le risque de propagation et de fatalité des suites d’une contamination chez les aînés hébergés est très grande, pourrait être considéré comme de l’abus d’autorité.

Dans l’état actuel de l’urgence sanitaire et vue la situation qui prévaut dans les résidences pour personnes âgées et les CHSLD, il y a beaucoup plus de bénéfices que d’inconvénients à sortir de ces milieux, même si c’est temporairement. Toutefois, pour ceux qui sont dépourvus de famille ou de proches disponibles, il est impossible d’envisager de quitter le centre d’hébergement.

Il apparaît encore une fois que tous ne sont pas égaux devant la vie. Au sortir de la présente crise sanitaire, il nous faudra trouver des solutions collectives qui seront à la hauteur de la tragédie qu’auront vécue ces personnes parmi les plus vulnérables de notre société.


[1] Loi sur les services de santé et services sociaux, LRQ, C. s-4.2, art. 83

[2] D.A. c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides, 2016 QCCA 1734, EYB 2016-271985, paragr. 29-31; Québec (Curateur public) c. Centre de santé et de services sociaux de Drummond, 2010 QCCA 144, EYB 2010-168817, par. 16.

[3] Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ) c. J.B., 2017 QCCA 1638, EYB 2017-286120, par. 43; Québec (Curateur public) c. Centre de santé et de services sociaux de Laval, 2008, QCCA 833, EYB 2008-132798.

[4] CHUM et Rachel Dupuis c. P.S. et R.L., 2016 QCCS 6767.

[5] Code civil du Québec, art. 12.