En 2007, une vaste consultation publique a fait ressortir un portrait sombre de la situation des aînés hébergés au Québec et proches aidants. On s’est aperçu que les aidants vivent de nombreuses difficultés : isolement, méconnaissance de leur contribution, manque de soutien, épuisement et stress, situation financière précaire, difficulté à concilier leurs responsabilités parentales, familiales et professionnelles. On a remarqué que le réseau de la santé ne leur offre pas assez de services, qu’ils manquent de considération dans l’ensemble du réseau et que leur rôle de partenaire n’est pas entièrement reconnu. Le rapport de consultation a également indiqué qu’on devait améliorer les mesures de soutien financier.
Depuis des décennies, tous souhaitent que le Gouvernement agisse véritablement dans la priorité des soins à domicile [1]. Une loi visant à créer un Fonds de soutien aux proches aidants a d’ailleurs été adoptée en 2009. Ce Fonds est géré par un organisme à but non lucratif, L’Appui, et reçoit du financement pour offrir du soutien aux proches aidants, comme de la formation, de l’information, du soutien psychosocial et même du répit. La loi est entrée en vigueur en 2013 [2] en parallèle avec le dépôt d’un Livre blanc sur la création d’une assurance autonomie. Celui-ci visait à prendre en considération la contribution non rémunérée des proches aidants auprès des personnes malades et handicapées et à mettre en lumière leur besoin de soutien [3].
Suite aux élections de 2012, le projet de loi a été écarté par le Parti Québécois. En réponse à la consultation publique de 2007, le Gouvernement a plutôt choisi de déposer une Politique sur le vieillissement, par laquelle il réitérait l’importance des proches aidants [4]. On y relatait les éléments suivants :
- Parmi les personnes de 75 ans ou plus qui agissent comme proches aidants, 13,6 % y consacrent vingt heures ou plus par semaine
- Il est essentiel de soutenir le proche aidant dans son rôle essentiel
- Le rôle des proches aidants est majeur pour les aînés [5]
Comme s’il tentait de s’en convaincre, le Gouvernement Couillard a également réitéré l’importance de la contribution des proches aidants et à la nécessité de leur apporter du soutien. Il a déposé coup sur coup une Politique de prévention en santé [6] (2016) et un Plan d’action quinquennal (2017-2021) [7]. On peut y lire des constats déjà clairement énoncés dans les orientations de 2003, où il est indiqué que les proches aidants sont essentiels et qu’ils doivent être soutenus. L’objectif du Plan d’action qui portait sur les proches aidants est venu à échéance en 2020, avant qu’une véritable politique sur les proches aidants n’ait été élaborée.
Ainsi, depuis près de 20 ans, les gouvernements se sont succédé et ont promis de mettre en place de véritables mesures pour reconnaître et soutenir les proches aidants. Mais le temps est passé et il nous apparaît maintenant que les auteurs ont signé des rapports successifs sans y croire vraiment.
Quels constats faire en temps de pandémie?
Les appels concernant l’adoption d’une Politique sur les proches aidants fusaient bien avant la crise sanitaire que nous vivons [8]. En 2017, l’actuelle ministre responsable des Aînés et des proches aidants s’est exprimée pour dire : « À un an des élections, qui aura l’audace de mettre en place une réelle stratégie nationale afin de soutenir adéquatement tous nos proches aidants ? » [9].
D’autres juridictions ont déjà adopté des lois visant spécifiquement cette question. L’intensification du vieillissement de la population mérite que les enjeux soient discutés et que le Gouvernement adopte enfin une stratégie concrète de soutien aux proches aidants afin de répondre à leurs préoccupations centrales : la formation, le soutien à domicile, le répit et les crédits d’impôt.
La reconnaissance des proches aidants faite en 2002 tirait sa source du fait que le réseau n’arrivait plus à combler les besoins des usagers. Vingt ans plus tard, les choses ont-elles changé? Malheureusement, il persiste encore une réticence à inclure les proches aidants comme de réels partenaires des milieux de soins. Face à ce constant, l’incapacité du Gouvernement à prendre action ne peut que nous laisser pantois quant aux beaux écrits.
La pandémie de 2020 a mis en lumière que les proches aidants ne sont toujours pas vus comme de véritables partenaires par le Gouvernement. Pourtant, les besoins émotifs, intellectuels et psychologiques des personnes malades, âgées, en perte d’autonomie et handicapées, peuvent être répondus, du moins en partie, par la présence des proches aidants. Et ce, peu importe s’ils sont présents ou non chaque jour, car les soins requis peuvent être fournis par des personnes qui ne sont pas des professionnels. Ainsi, les directions sanitaires doivent être encouragées à devenir inclusives. Le Gouvernement doit réagir maintenant. Il en va de la santé et du bien-être des personnes aînées et handicapées qui peuvent être aidées.
Depuis 20 ans, les proches aidants réclament une meilleure reconnaissance, mais le Gouvernement avance et recule sur la question. La crise actuelle sans précédent devrait leur ouvrir les yeux et les forcer à poser des gestes concrets. Il appartient au Gouvernement, aux associations de proches aidants, à celles de défense des droits, aux représentants légaux, aux professionnels, voire aux tribunaux, de conserver cette détermination afin que les orientations et les paroles ne restent pas des vœux pieux.
[1] Chloé Ste-Marie, « Un gouvernement grand parleur qui déçoit » — Lettre à la ministre Marguerite Blais, Le Devoir, 9 avril 2008, A7
[2] Loi instituant le fonds de soutien aux proches aidants, LRLQ, c. F-3.2.1.1
[3] Ministère de la Santé et des Services sociaux, L’autonomie pour tous — Livre blanc sur la création d’une assurance autonomie, mai 2013, p.7, 16 (46 p.)
[4] Ministère de la Famille et des Aînés et Ministère de la Santé et des Services sociaux, Vieillir et vivre ensemble — Chez soi dans sa communauté au Québec, 2012 (204 p.)
[5] Idem, p. 29-30, 43, 101, 121-122, 133-135.
[6] Ministère de la Santé et des Services sociaux, Politique gouvernementale de prévention en santé — un projet d’envergure pour améliorer la santé et la qualité de vie de la population, 2016, p.29-31 (112 p.)
[7] Ministère de la Santé et des Services sociaux, Plan d’action interministériel 2017-2021 — Politique gouvernementale de prévention en santé — un projet d’envergure pour améliorer la santé et la qualité de vie de la population, 2018, p.15 (86 p.)
[8] A. Daoust-Boisvert, « Cri du cœur des proches aidants : une politique globale des aidants naturels et un soutien accru sont réclamés », Le Devoir, 27 août 2013, A4; Nadine Boucher, « Le documentaire Partenaire invisible, essentiel cri à l’aide pour les aidants », Le Devoir, 27 septembre 2013, A9 ; Nicole F. Bernier « Il faut une stratégie nationale pour les travailleurs aussi proches aidants », Libre opinion, Le Devoir, 3 juillet 2015, A8; Gilbert Paquet, « Redonner tout son sens au verbe “soigner” », Le Devoir, 2016 ; Anne-Marie Séguin, « Le vieillissement de la société québécoise : un enjeu municipal méconnu », Idées, Le Devoir, 29 octobre 2017, B5.
[9] Marguerite Blais, « Une réelle stratégie nationale doit soutenir les proches aidants », Idées, Le Devoir, 29 octobre 2017, B5.