Depuis une vingtaine d’années, le gouvernement encourage la population à recourir au vaccin antigrippal dans le cadre de sa campagne annuelle de vaccination contre le virus de l’influenza. La publicité est même allée jusqu’à énoncer qu’« on serait malade de s’en passer »… Que penser de ces campagnes, sommes-nous tenus de nous y soumettre?

Au Québec, nous privilégions le droit de disposer de notre corps contre tout autre précepte légal. Ceci inclut le choix de se faire vacciner ou non. Si, comme enfant, la plupart d’entre-nous avons été vaccinés dans le cadre de nombreuses campagnes préventives, lorsqu’il est question de prévention individuelle, nous pouvons choisir librement. Il en va de même pour le traitement médicalement recommandé : nous pouvons choisir.

Ce n’est que lorsqu’un traitement requiert des soins spécifiques, en raison de notre état de santé, que l’on se pose la question de savoir si ces soins peuvent être exigés. La loi prévoit que des soins peuvent être imposés par un tribunal que s’ils sont requis, si la personne refuse catégoriquement les soins, si elle est jugée inapte à consentir aux soins ou à les refuser et que ces soins requis lui sont bénéfiques.

La vaccination n’est pas un « soin requis par l’état de santé », tel qu’on l’entend dans notre Code civil, mais certains tribunaux ont conclu qu’ils devaient le considérer ainsi lorsqu’ils étaient saisis d’une situation impliquant des enfants dans un litige entre les parents [1]. Aucune décision à ce jour n’a été rapportée ni portée à notre connaissance, imposant la vaccination à une personne de plus de 18 ans. Il serait d’ailleurs surprenant qu’un tribunal arrive à la conclusion que la vaccination est requise par l’état de santé.

Et si la vaccination avait des conséquences graves?

En 1985, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir si le gouvernement du Québec devait indemniser les parents d’une enfant ayant subi de graves séquelles et un handicap permanent, suite à une immunisation contre la rougeole dans le cadre d’un programme provincial de vaccination. La Cour a rejeté la demande sur la base des principes de droit du Code civil [2]. Peu de temps après ce jugement, le gouvernement a adopté une modification à sa loi visant la création d’un régime d’indemnisation étatique des préjudices corporels. La modification prévoyait l’indemnisation immédiate des victimes d’immunisation, dont Nathalie Lapierre.

Puis le Québec s’est doté en 2002 d’une nouvelle Loi sur la santé publique. Le régime étatique d’indemnisation des victimes d’immunisation sans égard à la faute a été maintenu et un registre central de vaccination volontaire a été instauré. Le gouvernement s’est par contre doté de pouvoirs additionnels, dont la possibilité de rendre la vaccination obligatoire en cas d’urgence sanitaire nationale [3].

Selon l’article 123. «Au cours de l’état d’urgence sanitaire, malgré toute disposition contraire, le gouvernement ou le ministre, s’il a été habilité, peut, sans délai et sans formalité, pour protéger la santé de la population : 1° ordonner la vaccination obligatoire de toute la population ou d’une certaine partie de celle-ci contre la variole ou contre une autre maladie contagieuse menaçant gravement la santé de la population et, s’il y a lieu, dresser une liste de personnes ou de groupes devant être prioritairement vaccinés. » Mais jusqu’à ce jour le gouvernement n’a jamais eu recours à cette disposition de la loi.

Refuser une atteinte à son intégrité ou collaborer au bien-être collectif?

Tel que mentionné précédemment, l’impératif de santé publique demeure et une majorité de personnes se soumettent à la vaccination, généralement par souci individuel plutôt que pour le bien-être collectif. Lors d’éclosions importantes, on a aussi constaté que la majorité de la population avait recourt à la vaccination. C’est peut-être parce que nous comprenons le principe selon lequel une population dont la majorité est vaccinée protégera les membres les plus vulnérables.

Dans l’éventualité où un vaccin fiable et gratuit devenait disponible pour la COVID-19, le gouvernement encouragerait la population à y recourir, sans toutefois se prévaloir de son pouvoir exceptionnel pour imposer la vaccination.

Décréter la vaccination obligatoire comporterait des enjeux trop importants pour que le gouvernement décide de s’y aventurer. Il est envisageable qu’il mise plutôt sur des campagnes de promotion et de participation. Il solliciterait les professionnels à agir selon des principes éthiques qui impliqueraient de se faire vacciner. Il inviterait à la participation individuelle pour atteindre une protection collective. Il va sans dire que ce serait un défi de taille pour un gouvernement qui doit avant tout travailler à prévenir la transmission du coronavirus, en attendant qu’un vaccin soit mis au point.


[1] L.(J.) c B.(D.) REJB 2001-27365

[2] Lapierre c P.G. (Québec), [1985] 1 RCS 241. Fait intéressant, en France, dans les années 1960, une décision administrative a conclu à l’inverse à savoir que le gouvernement a été tenu d’indemniser une victime d’immunisation au motif qu’elle avait contribué volontairement au programme étatique d’immunisation et qu’elle en avait été une victime, une situation rarissime.

[3] Le projet de loi initial prévoyait au gouvernement le pouvoir de rendre la vaccination obligatoire par l’adoption d’un règlement.