La première fois que je l’ai rencontrée, elle m’est apparue toute petite et fragile allongée ainsi dans son lit. Claire ne parlait pas, mais faisait des signes de la tête. Elle nous entendait. Norma lui parlait sur un ton élevé pour lui expliquer qui j’étais, la raison de ma visite, et ce qu’elle avait l’intention de demander au juge. Claire écoutait calmement et bien attentivement, les yeux brillants.

Norma m’explique ses inquiétudes quant à la condition de sa tante et à la fragilité de sa santé. Elle s’inquiète des rougeurs et des ecchymoses sur son corps. Sa peau fragile fend au moindre choc. Norma m’explique qu’elle a été contrainte d’accepter le placement de sa tante dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée puisqu’il lui était devenu impossible de continuer de l’accueillir vu sa condition et ses besoins médicaux grandissants.

Faits à l’origine

Le but de ma visite était de connaître le point de vue de Claire sur la démarche juridique entreprise par Norma. Celle-ci demande à ce que le tribunal homologue le mandat de protection de Claire, signé quatre ans auparavant. Or, elle fait face à l’opposition du Curateur public du Québec qui demande la révocation du mandat de Claire et sa nomination à titre de représentant légal.

Le Curateur public se campe sur sa position en s’appuyant sur des rapports qui relatent des faits inquiétants quant à la sécurité de Claire et à l’administration déficiente de ses avoirs. On y note des relations tendues entre Norma et le personnel soignant du CLSC alors que Claire vivait avec elle. Les reproches les plus importants portent sur une gestion inadéquate et à une possible appropriation de ses biens.

Norma sait qu’elle doit s’expliquer quant aux reproches émis à son endroit. Elle veut respecter les volontés de Claire. Elle craint au plus haut point l’appropriation des biens de sa tante par le Curateur public et les décisions qu’il pourrait prendre la concernant.

Chaque cas est un cas d’espèce, comme le dit l’adage

Norma manifeste une expressivité difficile à contrôler. Son sens du désordre bat des records. Ses difficultés à demeurer concentrée sur la demande plutôt que sur l’hébergement de sa tante causent des retards dans la préparation de l’audition. Il ne sert à rien de la blâmer, il faut tout simplement contourner les obstacles et les surmonter. La mémoire de Norma est excellente ce qui compense pour une documentation déficiente : le mandat original est abîmé et des factures demeurent introuvables.

En plus de voir aux besoins essentiels de sa tante, elle s’occupe également de son fils qui vit avec elle, et se prépare pour le procès.

Norma se perçoit comme une proche aidante dévouée, une mandataire qui se préoccupe du bien-être de sa tante, alors que la partie opposante ne voit chez elle que les traits d’une personne désordonnée, négligente et possiblement abusive. Elle devra expliquer au tribunal pourquoi elle demande l’homologation du mandat de protection de sa tante. Elle dira qu’on peut lui faire confiance en la désignant mandataire pour l’administration des biens de sa tante et ce qu’elle fera pour protéger les avoirs de Claire.

Audition devant le tribunal

Il est primordial que le tribunal entende les volontés de Claire. Son transport, avec toute l’attention et les précautions qu’il nécessite, s’organise pour assurer sa présence à la cour (c’était avant mars 2020). Le jour du procès, un fauteuil gériatrique adapté circule dans les corridors du palais de justice, d’un étage à l’autre. Il faut demander de l’aide pour ouvrir les lourdes portes des salles de cours. Un juge nous attend pour entendre la demande.

Une amie proche de Norma témoigne tout d’abord des soins et du dévouement de Norma à l’égard de sa tante. Elle explique qu’elle n’a aucun reproche à formuler à l’encontre de son amie, mais rapporte avoir été témoin de gestes brusques posés à l’égard de Claire par le personnel du CLSC. Elle les décrit simplement, sans exagération ni jugement.

Une autre connaissance de Marilyn témoigne de son dévouement pour sa tante et de la confiance dont elle est digne.

Puis c’est au tour de Claire de témoigner. Elle s’exprime faiblement, atteste qu’elle est bien là où elle est hébergée et ignore pourquoi elle est à la cour. Elle reconnaît que sa nièce prend soin d’elle. À plus d’une reprise, elle affirme qu’elle l’aime. Norma

Norma entame son témoignage. Elle n’a qu’un objectif : faire respecter les volontés de sa tante telles qu’exprimées dans le mandat de protection. Son interrogatoire est à son image : décousu, expressif et intense. Sa franchise est absolue. Son contre-interrogatoire révèle sa bonne foi et sa détermination. Elle se plaint des soins que sa tante reçoit ce qui l’a conduit à retenir le paiement des frais d’hébergement. Elle reconnaît qu’elle a des conflits avec le personnel soignant. Elle explique qu’elle doit agir comme le chien de garde de sa tante qui ne peut plus se défendre seule. Elle reconnaît qu’elle est imparfaite et se défend face aux reproches de ses lacunes en matière d’administration des dépenses : les frais de loyer, la facture de Vidéotron, les achats sur la carte de crédit, toutes des dépenses que sa tante assumait en grande partie alors qu’elles partageaient le logement. Elle explique qu’il lui paraissait plus facile d’administrer un seul compte plutôt que deux. Elle précise qu’elle s’assurait que les frais de médicaments étaient réglés, de même que ceux du transport adapté et de l’entretien. Il reste que la comptabilité et les pièces justificatives sont déficientes.

Les quatre témoins de la partie opposante — la travailleuse sociale, la préposée aux bénéficiaires, la responsable du centre d’hébergement Maimonides et la chargée du dossier au bureau du Curateur public — rapportent les difficultés relationnelles avec Norma et son manque de coopération, la piètre qualité des repas qu’elle aurait préparés pour Claire et les aménagements domiciliaires non sécuritaires qu’elle aurait installés avant son hébergement. Les témoins rapportent avoir entendu Norma crier après sa tante. Elles craignent surtout que les revenus de Claire soient confondus avec ceux de Norma.

Le juge pose peu de questions. À l’occasion, il demande aux parties de se recentrer sur la contestation. Des photographies des blessures sont portées à sa connaissance, mais là n’est pas le débat. Il faut décider qui sera nommé représentant de Claire. L’audition se termine après deux jours.

Jugement

Le juge conclut que Claire, bien qu’elle soit inapte, est en mesure de s’exprimer et de reconnaître les personnes de son entourage. Elle a confirmé qui elle désire comme représentante. Le mandat de protection est un contrat qui établit les volontés anticipées d’une personne advenant son inaptitude. Le juge écrit :

« It is important to respect that wish, clearly manifested in an act signed before a notary. »

La révocation d’un mandat de protection doit suivre une démarche claire et s’appuyer sur une preuve solide. Or Claire a répété ses volontés à maintes reprises. Elle avait l’occasion de changer ses volontés, ce qu’elle n’a pas fait. Il s’agissait du deuxième mandat désignant sa nièce. Norma est la seule proche qu’il lui reste. Elle est aussi la seule personne qui la visite à la résidence. Le juge ajoute :

« It must also be noted that, at the trial, Ms C… testified and stated before the Court several times that she loved her niece. »

Mais il estime que les reproches à l’égard de l’administration sont sérieux.

« It goes without saying that, when the powers arising from a mandate in case of incapacity are exercised, separate management of the assets of the incapacitated person must be provided for. There must be two sets of accounts in order to report on one’s management correctly. »

Dans son analyse, il constate les nombreux reproches de l’opposant. Il soulève une question pertinente en pareilles circonstances :

« One may well criticize the care and attention that Ms. N… gave her aunt, but would the latter have been better cared for if she had been placed in a residence several years before her placement was requested? »

 

Les reproches à l’égard de son administration sont toutefois sérieux. Le tribunal retient que Norma a choisi de ne pas coopérer avec le bureau du Curateur public. Mais il ajoute :

« The Court considers it more important to recognize the efforts Ms. N… has made to take care of her aunt than to criticize her for her faults. »

 

Le tribunal accueille la demande de Norma, dans le respecte du choix de Claire qui l’avait désignée comme représentante à l’aube de ses 80 ans. Norma qui en a 20 de moins sera nommée mandataire. Elle devra rendre des comptes, payer les frais d’hébergement et administrer les biens de Claire de manière transparente. La cour lui accordera un certain délai.

Quelques enseignements à tirer de l’histoire de Norma

L’histoire de Norma permet de mettre en lumière les défis que rencontrent les proches aidants et les mandataires. La loi prévoit que ce n’est qu’exceptionnellement que le Curateur public est nommé. Pour écarter un mandat de protection, il doit exister des motifs sérieux.

  • Un mandat de protection vise à énoncer les volontés anticipées d’une personne;
  • L’expression des volontés anticipées doit d’abord être respectée;
  • L’inaptitude constatée médicalement n’empêche pas une personne d’exprimer ses volontés;
  • Une relation de dépendance n’implique pas nécessairement une situation d’abus;
  • La mandataire imparfaite peut expliquer ses actions et les raisons de ses inactions;
  • La mandataire désorganisée, désapprouvée par les services de santé, mais pleine de bonne volonté peut être désignée mandataire;
  • Tous n’ont pas les moyens de bien paraître et de s’organiser efficacement malgré de la bonne volonté;
  • L’aidance requiert beaucoup de temps;
  • Le tribunal doit donner l’occasion à la personne concernée d’être entendue;
  • Le témoignage de celle-ci peut être déterminant dans la décision du tribunal.

Il peut survenir des situations où la personne désignée n’est plus appropriée pour agir comme mandataire pour diverses raisons. Chaque situation s’évalue selon ses particularités. Voilà le but à atteindre pour répondre aux volontés anticipées et aux besoins des personnes fragilisées par l’âge, la maladie et l’inaptitude.