On l’a dit et on le répète, la pandémie a exacerbé des situations de vulnérabilité existantes. Nous l’avons tous constaté. Puis, les rapports d’enquêtes ont révélé la pauvreté des services à des clientèles dans le besoin. Comment donc améliorer les services et l’organisation des services de santé dans l’intérêt des citoyens?

Du point de vue de l’usager des services de santé, plusieurs paradoxes existent. N’en voici que quelques-uns qui s’appuient sur les fondements de la loi. Les services de santé doivent être accessibles, mais plusieurs ne le sont pas et des autorisations judiciaires sont émises pour forcer les soins de santé à soigner une personne. Les usagers doivent être en sécurité dans les milieux d’hébergement, mais ceux-ci manquent manifestement à leur devoir. Les usagers méritent le respect face à leur état, mais les prestataires de soins se permettent des commentaires irrespectueux, sans se soucier de leur impact sur l’usager. La loi prévoit un mécanisme élaboré de plaintes, mais les usagers ne s’en prévalent pas par peur de représailles. Des personnes âgées demandent des services à domicile, mais ceux-ci n’étant pas suffisants, ils sont forcés à l’hébergement.

Les droits des usagers à des services de santé

En 1991, après des années de réflexion qui ont suivi le dépôt du rapport d’enquête de la Commission Rochon (1988), une réforme en profondeur de la Loi sur les services de santé et les services sociaux existante a été adoptée. Elle a introduit les lignes directrices suivantes, qui restent inchangées à ce jour :

  1. La raison d’être des services est la personne qui les requiert;
  2. le respect de l’usager et la reconnaissance de ses droits et libertés doivent inspirer les gestes posés à son endroit;
  3. l’usager doit, dans toute intervention, être traité avec courtoisie, équité et compréhension, dans le respect de sa dignité, de son autonomie, de ses besoins et de sa sécurité;
  4. l’usager doit, autant que possible, participer aux soins et aux services le concernant;
  5. l’usager doit, par une information adéquate, être incité à utiliser les services de façon judicieuse. (art.3)

Cette loi innovait en ce que:

  1. l’usager peut porter plainte suite à son insatisfaction des services rendus ou non;
  2. les usagers peuvent être accompagnés et assistés dans l’exercice de leurs droits;
  3. les personnes qui représentent les usagers inaptes (parents, tuteurs, mandataires, conjoints, personne qui démontre un intérêt particulier) peuvent exercer leurs droits de la loi, et
  4. les établissements de santé doivent adopter un code d’éthique applicable à tous, imposant le respect de la dignité des personnes.

Depuis 30 ans, le secteur de la santé a traversé des réformes organisationnelles, mais les lignes directrices sont demeurées les mêmes. En 2021, nous constatons un échec cuisant sur le fonds. Non seulement les usagers n’ont pas accès aux services de santé (médecins de famille manquants, services à domicile insuffisants, longs délais d’attente, etc.), mais pire, les usagers sont ignorés, discriminés, rejetés, évités, etc.

Au cours des derniers mois, des situations choquantes ont meublé l’actualité, sans lien avec la pandémie. Ce n’est vraisemblablement que la pointe de l’iceberg. Car qui d’entre nous n’a pas vécu une situation dérangeante lors d’interactions avec le réseau de la santé : brusquerie, comportement non verbal s’apparentant à de la violence, reproches à peine voilés, menaces de perdre sa place, etc.

Or, la loi qui gouverne les actions du gouvernement, comme celles des fournisseurs de services de soins de santé, voire des acteurs de ce champ d’activité, s’appuie sur un principe fondamental. Tous ont droit à des services de soins de santé sans distinction de leur âge, leur culture, leur sexe, leurs limitations, dans le but de maintenir et d’améliorer leur état:

Le régime de services de santé et de services sociaux institué par la présente loi a pour but le maintien et l’amélioration de la capacité physique, psychique et sociale des personnes d’agir dans leur milieu et d’accomplir les rôles qu’elles entendent assumer d’une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie. (art. 1)

L’écart entre ce principe et ce qui se passe en réalité paraît titanesque. Il est clair que le fossé se creuse, que le principe est occulté. En 2017, une loi pour lutter contre la maltraitance à l’égard des personnes en situation de vulnérabilité et des personnes âgées a été adoptée. Elle promeut notamment la dénonciation. Pourquoi faut-il répéter que personne ne devrait vivre dans la crainte de la violence? Que personne ne devrait vivre dans la crainte de l’intimidation et des représailles du fait d’avoir dit tout haut ce qu’on pensait tout bas? Parce que la crainte de représailles subsiste et elle est réelle. Dans les faits, très peu de plaintes sont déposées. Et pourtant, ce mécanisme a pour visée d’améliorer les soins et les services en apportant des correctifs suite à une situation dommageable envers un usager.

En 2002, la loi a été modifiée pour introduire la divulgation obligatoire des accidents et des incidents qui surviennent en milieu de soins. Dans une optique d’amélioration des services, l’obligation de sécurité des établissements de santé est renforcée, car l’usager a droit à des services adéquats :

« Toute personne a le droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée et sécuritaire. » (art. 5)

Des états généraux en santé

Il paraît temps d’instituer des États généraux au Québec afin de nous entendre sur le choix des priorités en matière de soins et de l’importance que nous accordons au respect des droits fondamentaux qui se sont anéantis au fil des années. Mais avant tout, il faudra énoncer clairement ce qu’on entend par « services adéquats ».

Il faudra ensuite aborder la question de l’accès aux services. Cet accès doit avoir un sens. La privation de l’accès aux services entraîne des répercussions sérieuses dont on voit aujourd’hui les effets secondaires indésirables : les drames vécus par le manque de protection des enfants par la DPJ, les féminicides, les victimes de violence conjugale, l’abandon des aînés hébergés, le dénigrement et le rejet des citoyens immigrants ou autochtones, etc.

Nous avons acquis une connaissance de la santé publique au cours de la dernière année. On comprend mieux que nous sommes tous concernés par son devoir de protection. Il faudra rendre accessibles la politique gouvernementale et son plan d’action. Ils pourraient être diffusés au sein des milieux de travail, éducatifs, des ordres professionnels, afin de sensibiliser la population aux objectifs et aux moyens retenus.

Voilà qui devrait meubler une partie de la réflexion dans le cadre des états généraux. La pandémie nous force à repartir sur de nouvelles bases. Les lignes directrices de la loi nous y incitent également. Nous avons ce qu’il faut pour réagir et agir par le biais d’une réflexion collective sérieuse.