Quand il a compris l’importance de la réunion de famille chez le notaire, Pierre a entamé sa démarche. Il ignorait alors qu’il allait consacrer tant d’heures pour faire respecter les droits de son frère. Il ne s’attendait pas à confronter son père devant un tribunal. Il devait intervenir : la mémoire de sa mère le lui commandait.

Histoire d’un frère bien-aimé

François a été diagnostiqué très jeune d’un trouble du spectre de l’autisme. À l’âge de 4 ans, ses parents se séparent et sa mère assume le soin des trois enfants : François, Pierre et un frère également autiste. À l’âge de 10 ans, François commence à vivre dans la famille de sa gardienne. Pierre reste proche de François. Leur mère et la famille d’accueil s’entendent bien et les contacts sont respectueux.

Leur mère décède d’un cancer alors que François a 30 ans. Après ce triste décès, Pierre est exclu des discussions et décisions relatives à François, contrairement à la situation du vivant de leur mère. Leur père entreprend une démarche visant la nomination d’un représentant légal à François. La famille d’accueil refuse que Pierre soit nommé. Elle lui reproche son attitude directive. Elle craint de ne plus avoir le contrôle des décisions et privilégie la nomination du curateur public qui pourrait fixer les visites de Pierre auprès de son frère. Or, Pierre tient à respecter la promesse faite à sa mère qu’il prendra soin de François après son décès. Comme il est coadministrateur de la fiducie testamentaire mise en place par sa mère, il s’implique pour répondre aux besoins de François.

À la Cour

La cause est finalement entendue et requiert six jours d’audition. Le débat est très acrimonieux. Pierre dépose plusieurs déclarations écrites. Les membres de la famille confirment leur confiance en Pierre et le désir de sa mère qu’il prenne François en charge. Un cousin venu de la Californie témoigne de sa connaissance de Pierre et de sa tante décédée. Une amie très proche de sa mère rapporte sa connaissance étroite de Pierre et sa confiance en lui. Pierre explique son respect envers sa mère et la douleur créée par sa perte. Leurs émotions sont sincères. Ils ont bien connu cette femme qui devait être formidable. Le tribunal visionne des vidéos de François dans son quotidien et examine des photos en divers lieux qui révèlent complicité, respect et attachement entre les deux frères.

François adore se baigner. Il aime marcher avec son frère Pierre. La famille d’accueil voit d’un mauvais œil les cours de natation, les sorties et les activités qui fatiguent François. En réponse à ces inquiétudes, le témoignage du médecin de famille sera convaincant : l’exercice est bénéfique pour François et la natation ne pose aucun danger pour lui.

Les membres de la famille d’accueil témoignent de leur connaissance de François, de leur implication et du temps qu’ils consacrent à François dont l’humeur et les excès varient sans préavis. L’opposition du père repose sur le fait que Pierre n’a pas de résidence fixe, pas encore beaucoup d’expérience de travail, qu’il a déjà perdu des emplois et pourrait se retrouver avec des difficultés financières.

Jugement

D’entrée de jeu, le tribunal rejette l’argument de la neutralité que présenterait le Curateur public s’il était nommé curateur. La nomination du Curateur public n’est prévue que de manière exceptionnelle. La loi prévoit qu’il revient aux familles et aux proches d’être impliqués et non au gouvernement. Le Curateur public n’agit pas au jour le jour. Il doit déléguer la garde à une personne. Cette nomination n’éliminerait pas les tensions. Pour la Cour, celles-ci sont surmontables:

« Thanks to the hearing, Pierre now understands the heavy burden the foster family assumes in caring for his brother ».

Quant à la famille:

« the inflexibility of the foster family members regarding Pierre’s willingness to be involved in the life of his brother has created a great deal of frustration ».

Les motifs d’opposition du père sont rejetés. Personne ne peut disqualifier Pierre. L’administration de la prestation de la sécurité du revenu de François n’est pas chose complexe et Pierre agit déjà comme administrateur d’une fiducie pour François. La Cour désigne Pierre curateur à François.

Au cœur de la nomination, c’est l’intérêt de François qui prime. Il n’y a pas de raison de croire que Pierre n’agira pas dans l’intérêt de François. Et comme ce dernier bénéficie de deux familles, la Cour établira certains paramètres pour faciliter la vie des parties : aucune des familles n’aura l’exclusivité des activités.

Une fois le jugement rendu, les parties doivent composer avec la désignation de Pierre, la délégation de la garde de François à la famille d’accueil, et les paramètres relatifs aux sorties. Le débat judiciaire aura été utile. Le jugement donne le ton pour la suite :

« there is no loser, no winner in this case ».

La Cour remet l’intérêt de François au centre du débat. Les procédures judiciaires et l’audition auront permis aux parties une meilleure compréhension et un rapprochement entre elles.