Ce billet est la suite de trois textes publiés précédemment: lire la première partie, deuxième partieet la troisième partie.

La portée d’une réforme se mesure à ses innovations. Dans la présente réforme de la Loi, un seul concept s’inscrit comme étant tout à fait nouveau : l’assistance à une personne majeure en perte d’autonomie. Deux autres modifications méritent néanmoins une attention : la notion de représentation temporaire de la personne concernée et l’ajout de règles relatives au mandataire dans le cas du mandat de protection.

Représentation temporaire de la personne concernée

La représentation temporaire permet à un tribunal d’autoriser une personne à accomplir un acte déterminé au nom de la personne concernée, s’il est établi que l’inaptitude de celle-ci est telle qu’elle a besoin d’être représentée temporairement pour l’accomplissement de cet acte (art. 297.1 CcQ). Par exemple, la personne concernée peut avoir besoin de représentation pour annuler un bail, renouveler une hypothèque, commencer ou continuer la contestation d’une décision la visant.

S’il était déjà possible d’obtenir une autorisation judiciaire désignant une personne pour poser un acte au nom de la personne concernée, cette autorisation devait généralement s’inscrire dans le cours d’une demande d’ouverture d’un régime de protection ou d’homologation d’un mandat de protection. Dorénavant, l’autorisation pourra être demandée sans que la demande d’ouverture d’une tutelle soit entreprise. La représentation temporaire doit néanmoins être demandée à un tribunal (art. 273 et 274 CcQ).

La Loi précise les critères auxquels doit répondre l’autorisation judiciaire relativement à la représentation temporaire et les obligations du représentant temporaire à l’égard de la personne inapte représentée temporairement (art. 297.5 et 297.6 CcQ) :

  • nécessité de l’acte
  • intérêt de la personne concernée
  • respect de ses droits
  • sauvegarde de son autonomie
  • prise en compte de ses volontés et préférences
  • participation de la personne aux décisions qui la concernent

La réforme introduit donc de nouvelles dispositions qui pourront permettre à une personne intéressée et autorisée par le tribunal d’accomplir un acte déterminé pour la personne concernée dont l’inaptitude est temporaire. Elle pourra permettre d’agir avec plus de célérité dans une optique de protection.

Assistance à une personne majeure en perte d’autonomie

Cette section du Code civil est totalement nouvelle et constitue le fondement de la réforme : permettre à la personne en perte d’autonomie de désigner une personne de son choix pour l’assister.

L’assistant est une personne désignée par une personne majeure qui, en raison d’une difficulté, souhaite recevoir de l’assistance pour prendre soin d’elle, administrer son patrimoine, et exercer ses droits civils. Son rôle consiste à agir comme intermédiaire entre la personne majeure en perte d’autonomie et tout tiers, y compris ceux tenus par le secret professionnel (comme les employés des services de soins de santé, des services financiers, etc.).

Il revient à la personne en perte d’autonomie et à l’assistant de demander cette reconnaissance.

La demande de reconnaissance vise à rendre public dans un registre prévu à cette fin, le choix exercé par une personne en perte d’autonomie. La demande comportera notamment les étapes suivantes :

  • dépôt de la demande écrite par la personne en perte d’autonomie avec son assistant (ou ses assistants)
  • détermination de la perte d’autonomie du majeur
  • entrevue de la personne pour valider sa demande et son indépendance
  • entrevue avec l’assistant désigné pour valider son indépendance
  • vérification par le curateur public des antécédents judiciaires de l’assistant désigné
  • exercice discrétionnaire de la reconnaissance de l’assistant par le Curateur public
  • inscription de l’assistant au registre public des assistants, tenu par le bureau du Curateur public

La démarche administrative compte plusieurs étapes et plusieurs questions restent en suspens, à savoir qui fera le constat de la perte d’autonomie, quel est le seuil de la perte d’autonomie pouvant priver une personne d’être admissible à une demande, qui sont les personnes habilitées à faire les enquêtes et entrevues ou à exercer un droit discrétionnaire sur la reconnaissance de l’assistant, et ainsi de suite. La mise en œuvre de la réforme devra apporter des réponses à toutes ces questions.

On comprend que l’objectif premier de cette disposition de la réforme est d’écarter les assistants susceptibles de nuire ou d’abuser de la personne majeure qui demande la reconnaissance de sa perte d’autonomie et de son besoin d’assistance. Or, dans les faits, les gestes répréhensibles et les abus ne sont pas nécessairement prévisibles et les personnes qui les perpètrent sont rarement les personnes soupçonnées au départ par les autorités. Le processus de vérification devra s’appuyer sur des critères fiables existants.

On peut se questionner sur la portée de cette innovation. L’inscription dans un registre public créera-t-elle un engouement ou un effet dissuasif? Sachant que la perte d’autonomie est sujette aux aléas de la vie et que l’assistance cédera à la mise en place d’une tutelle ou à l’homologation d’un mandat de protection, vu l’inaptitude, la demande de reconnaissance vaudra-t-elle l’effort? Enfin, quels seront les moyens de vérification de la discrétion du Curateur public à qui sont confiées les décisions?

Bref, à l’heure de l’accroissement du nombre de personnes plus âgées, il faudra voir dans quelle mesure cette option répondra aux besoins des personnes en perte d’autonomie et à ceux des personnes proches aidantes, qui accompagnent une personne majeure en perte d’autonomie. Leur implication n’étant pas toujours reconnue — malgré la loi entrée en vigueur à l’automne 2020 —, l’option de leur reconnaissance publique pourrait dans certains cas répondre à leurs préoccupations.

Nouvelles règles applicables au mandataire

Le mandat de protection a pour but de permettre à une personne majeure et apte de désigner un mandataire en prévision de son inaptitude. Jusqu’à l’adoption de la réforme de 2020, elle réservait au mandant la possibilité de décider dans un mandat signé devant deux témoins, de tous les actes confiés au mandataire. Voilà qu’une modification des règles a été considérée comme nécessaire pour encadrer les mandataires, vu des situations malheureuses d’abus.

La réforme codifie d’abord des principes adoptés par les tribunaux depuis plusieurs années. Elle impose les obligations qui en découlent au mandataire :

  • Les règles qui s’appliquent en matière de représentation des personnes majeures inaptes par mandat de protection favorisent le respect;
  • Toutes les décisions qui concernent l’homologation ou l’exécution d’un mandat de protection doivent être prises dans l’intérêt du mandant, le respect de ses droits et la sauvegarde de son autonomie, en tenant compte de ses volontés et préférences;
  • Dans l’exécution de son mandat de protection, le mandataire doit tenir compte de la condition du mandant, de ses besoins et de ses facultés, et des autres circonstances dans lesquelles il se trouve, afin d’assurer le bien-être moral et matériel du mandant;
  • Il doit aussi dans la mesure du possible, maintenir une relation personnelle avec le mandant, le faire participer aux décisions prises à son sujet et l’en tenir informé (art. 2167.3 C.c.Q.).

L’ajout le plus important consiste dans l’obligation pour le mandataire, à moins d’exception, de faire un inventaire des biens à administrer et d’en transmettre copie à la personne désignée pour recevoir le compte, dans les 60 jours de l’homologation du mandat (2167.4 et 2167.5 C.c.Q.). Or, très souvent le mandat n’impose pas cette obligation parfois lourde au mandataire. Cette nouvelle règle vient donc ajouter un fardeau au mandataire tout en protégeant le mandant. Quant aux exceptions, on peut penser à une preuve selon laquelle le mandant ne possède ni biens ni revenus significatifs.

En conclusion, la réforme de 2020 concernant la protection et la représentation des personnes majeures inaptes comporte plusieurs modifications. On pourra évaluer sa portée dans les prochaines années. Espérons qu’elle n’alourdira pas le processus de nomination du représentant légal. Elle pourrait toutefois nourrir les litiges malgré ses objectifs de protection accrue des personnes inaptes. Souhaitons surtout qu’elle n’ajoute pas d’inquiétudes aux personnes concernées, qui sont au cœur de la réforme.