Il y a un peu plus d’un an, en pleine pandémie, je vous racontais l’histoire de Marcel qui avait fait l’objet d’une demande de détention présentée par l’hôpital où il avait été admis après avoir appelé lui-même les services d’urgence. Son récit est à l’origine de cette rubrique qui relate des faits vécus. La pandémie de COVID-19 a toujours cours et des situations comme celle vécue par Marcel continuent malheureusement de se produire. Cette fois-ci, c’est au tour de Myrlande de faire l’objet d’une demande de détention. L’hôpital où elle a été admise souhaite la garder pour une durée de 30 jours, sans droit de sortie. Dans les circonstances, elle était en droit de se défendre pour retrouver sa liberté.

Faits à l’origine

Myrlande est enseignante depuis près de 30 ans. Les bouleversements en lien avec la pandémie l’ont amenée à réfléchir à ses plans d’avenir. Au début de la cinquantaine, elle décide de prendre sa retraite. Elle passe l’été dans une région du Québec qui lui plaît et où il y aurait même une possibilité d’emploi en milieu. Vivant désormais seule, elle décide d’y déménager après avoir exploré la possibilité d’acquérir un immeuble.

Toutefois, son fils ne voit pas la situation de la même façon. Il s’inquiète au point d’entreprendre des démarches pour que Myrlande soit transportée dans un hôpital pour y subir une évaluation psychiatrique. Il craint qu’elle ne soit dans une phase de manie. Pour mener son plan à terme, les voisins seront mis à partie et Myrlande sera transportée de force, sous contrainte policière.

Myrlande est outrée, en colère et insultée de subir un tel affront. Elle n’accepte pas de rester à l’hôpital. Elle fait d’abord l’objet d’une demande d’ordonnance pour une garde provisoire afin de subir une évaluation psychiatrique. Une telle ordonnance peut être émise par un tribunal lorsqu’il a des « motifs sérieux de croire qu’une personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental ». Myrlande accepte de se soumettre à une évaluation psychiatrique « pour satisfaire sa famille ». Les résultats concluent à la possibilité d’une maladie bipolaire pouvant mener à des conséquences « graves » pour la patiente. On lui reproche d’être volubile et de prendre des décisions financières risquées.

Myrlande fait donc l’objet d’une deuxième demande visant à la garder contre son gré en détention pendant 30 jours. Myrlande la conteste. Sa cause sera entendue six jours après son admission à l’hôpital.

Audition en vidéoconférence

Avant la pandémie, les personnes concernées par des demandes de garde en établissement étaient transportées au Palais de justice pour les auditions. Depuis l’instauration de l’état d’urgence sanitaire, elles ne se déplacent plus et sont entendues à distance. Les rapports d’évaluation psychiatrique forment la preuve au soutien de la demande sans que les médecins soient entendus.

En direct d’une salle de l’hôpital, face à un écran, Myrlande expose pendant quelques minutes sa situation personnelle, ses projets, son suivi médical, ses intentions concernant sa vie et sa santé. Elle répond aux questions patiemment et clairement. Le juge l’écoute attentivement, pose des questions et conclut. Pour le tribunal, les risques rapportés dans les rapports d’évaluation sont d’ordre financier. Myrlande est indépendante financièrement et elle a fait des choix de façon éclairée. Son témoignage s’accompagne d’une lettre convaincante rédigée par son médecin. Le tribunal conclut qu’il n’existe pas de motifs sérieux de croire qu’elle représente un danger pour elle-même ni qu’elle ait besoin d’être gardée à l’hôpital. La demande est donc rejetée.

Principes applicables

En cette matière, les tribunaux s’appuient sur l’arrêt phare de la Cour d’appel rendu en 2018 qui a rappelé les principes déjà énoncés par cette même Cour : [1]

[…] Il est certes possible d’envisager que l’intensité d’un trouble mental permette, dans certaines circonstances, d’établir la dangerosité d’une personne et la nécessité de la garder en établissement.

[…] À cet égard, je rappelle qu’il n’est pas de connaissance judiciaire qu’une personne chez qui un diagnostic de psychose est posé soit dangereuse pour elle ou pour les autres et que cela justifie sa garde en établissement. La seule mention par deux psychiatres du fait que l’intimé soit dangereux ne suffit pas pour fonder une telle requête parce que ce procédé aurait pour effet de détourner le sens de l’article 30 C.c.Q., qui confie aux juges la responsabilité de se former leur propre opinion sur le sujet. »

[…] Or, en vertu de la loi, la dangerosité est le critère cardinal qui, en matière de privation de liberté, doit faire l’objet d’explications précises se rapportant à la personne en cause.

[…] Tant les rapports psychiatriques recommandant une garde en établissement sur la foi de la dangerosité d’une personne que les jugements ordonnant une telle garde doivent donc contenir ces explications précises, c.-à-d. la description et la démonstration du danger redouté. L’on ne saurait en aucun cas se satisfaire de pétitions de principe. […] les troubles psychiatriques et leurs effets ne participent en effet pas de la connaissance d’office d’une cour de justice : ils doivent donc lui être expliqués et cette explication devrait normalement se trouver dans les rapports psychiatriques et, au besoin, dans le témoignage des médecins […]. C’est dans tout cela que le juge, qui doit se convaincre personnellement du danger sérieux que présente l’individu en cause, trouvera la matière lui permettant de « former [sa] propre opinion sur le sujet » […], ce qui suppose que les rapports, tout comme, le cas échéant, le témoignage des médecins, soient suffisamment informatifs. Autrement dit, il ne suffit pas d’affirmer, il faut plutôt faire comprendre. L’administration d’une preuve complète à cet égard est à l’avantage de tous les intéressés. »

Conclusion

L’histoire de Myrlande révèle la fragilité dans laquelle se retrouvent certaines personnes dans un contexte de pandémie. La situation personnelle guide les choix de chacun et les proches peuvent s’inquiéter pour eux, mais pas au point de mener à une détention civile surtout lorsque les projets envisagés sont le fruit de décisions éclairées.

Dans toute situation semblable à celle vécue par Myrlande, la personne concernée doit être entendue par le tribunal. Les rapports médicaux ne suffisent pas toujours à convaincre. L’histoire de Myrlande confirme la possibilité de contredire les avis médicaux grâce à une défense mettant en doute leur teneur dans l’opinion du tribunal à qui revient le devoir de trancher.

[1] J.M. c. Hôpital Jean-Talon du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’Île-de Montréal, 2018 QCCA 378, EYB 2018-291660, par. 67-70.