Ce texte est la conclusion d’une série dont vous pouvez lire la 1re et la 2e partie.


Des exploitants de résidences pour aînés (RPA) ont cessé d’offrir plusieurs services pourtant prévus au bail des locataires, en invoquant l’obligation de respecter les restrictions découlant de l’état d’urgence sanitaire décrétée par le gouvernement, et ce, sans contrepartie financière pour les résidents. Une récente loi permet à ceux-ci de déposer une demande de diminution de loyer au Tribunal administratif du logement (TAL), ce qui préoccupe les exploitants de RPA.

Arguments des exploitants rejetés par les tribunaux

La crainte entretenue par les exploitants des RPA et l’Association québécoise des résidences pour aînés (AQRA) qui les regroupe, indiquant que les demandes conjointes de locataires vont croître, a été rejetée comme motif d’appel par la Cour du Québec [1] :

[35] Tout d’abord, la Locatrice est mal fondée de plaider le critère de l’intérêt général à cause de la crainte des RPA de voir le volume des recours en diminution de loyer augmenter par l’effet des nouvelles dispositions à la Loi qui permettent aux locataires d’agir collectivement.

[36] En effet, en choisissant de faciliter l’exercice des droits des Locataires voulant réclamer une diminution de loyer d’une RPA, le législateur confirme sa préoccupation de favoriser l’accès à la justice.

[37] Bien que le Tribunal puisse imaginer que ces nouvelles dispositions soient préoccupantes pour les RPA, la crainte d’une augmentation des recours en diminution de loyer n’est pas un motif d’appel.

Les exploitants des RPA ont selon toute vraisemblance, respecté de bonne foi les décrets et directives gouvernementales. En raison d’une force majeure, ils ont été empêchés de remplir leurs obligations au contrat de logement avec les résidents (art. 1693 C.c.Q.). L’empêchement de remplir leurs obligations entraîne comme conséquence que les résidents doivent être remboursés pour les services payés et non rendus. Ils peuvent raisonnablement demander une diminution de loyer. Comme l’écrivait la juge administrative Santirosi en mars 2021 dans une décision qui n’a pas été portée en appel [2] :

Diminution du loyer et force majeure

[17] L’obligation du locateur de fournir la jouissance paisible du logement est corrélative à celle du locataire de payer le loyer.

[18] Les auteurs Isabelle Jodoin et Pierre Gagnon [note omise], synthétisant la doctrine et la jurisprudence au sujet de l’article 1854 alinéa 1 du Code civil du Québec écrivent ce qui suit :

« Cet article énonce les principales responsabilités de la locatrice : fournir, au début du bail en bon état, le logement visé (délivrance) et procurer au locataire, en tout temps, une occupation confortable et conforme à l’usage auquel il est destiné (jouissance paisible). Il s’agit d’une obligation de résultat, et non seulement de moyens. Par conséquent, il ne suffit pas pour la locatrice de tenter de résoudre les problèmes relatifs à la location. Elle doit les régler, sauf dans des situations exceptionnelles relevant de la force majeure. »

[19] L’honorable juge Beaudoin et l’auteur bien connu Pierre-Gabriel Jobin [note omise] expliquent la portée de cette obligation de résultat de la manière suivante :

« Au contraire, dans le cas d’une obligation de résultat, la simple constatation de l’absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l’inexécution ou la survenance du dommage démontrée par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d’une preuve de simple absence de faute, c’est-à-dire démontrer que l’inexécution ou le préjudice subi provient d’une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d’absence de faute. »

[20] En résumé, dès qu’il est démontré une perte de la valeur locative, la contrepartie ou l’obligation corrélative du locataire de payer le loyer sera réduite en proportion. Il s’agit d’une question d’équilibre du contrat.

[21] Le locateur peut toutefois échapper à cette situation s’il démontre que l’inexécution résulte d’une force majeure.

[22] En droit civil québécois, le concept de la force majeure est défini par l’article 1470 du Code civil du Québec comme « un événement imprévisible et irrésistible » et « y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères ».

[23] Cette disposition se lit comme suit :

« 1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères. »

[24] L’événement doit être à la fois insurmontable et irrésistible quant à ses effets de manière absolue pour quiconque [note omise] et inévitable quant à sa survenance [note omise].

[25] Cependant, si le locateur est libéré de son obligation de fournir la jouissance paisible du logement de manière partielle ou totale, le locataire peut soulever l’exception d’inexécution et se dégager de la partie corrélative de son obligation. En effet, l’article 1694 al. 1 C.c.Q. prévoit ce qui suit :

« 1694. Le débiteur ainsi libéré ne peut exiger l’exécution de l’obligation corrélative du créancier; si elle a été exécutée, il y a lieu à restitution.

Lorsque le débiteur a exécuté son obligation en partie, le créancier demeure tenu d’exécuter la sienne jusqu’à concurrence de son enrichissement. »

Le principe est clair, juste et raisonnable. Ni la Loi sur la santé publique, ni les décrets, ordonnances et directives, ni les craintes des exploitants des RPA ne font faire échec à ce principe de droit de notre société démocratique. Persister à invoquer que la loi ne s’applique pas à eux ou qu’ils disposent d’une immunité légale fait preuve d’une mauvaise volonté à respecter lois et obligations contractuelles, ce qui est immoral et intolérable. Les exploitants des RPA sont légalement tenus de rembourser les résidents pour les services non rendus sous peine d’enrichissement injustifié.

Conclusion

Compte tenu de la situation, les résidents des RPA méritent en toute logique un redressement. Leur attente sera bientôt de deux ans. Les citoyens corporatifs que sont les exploitants doivent prendre leurs responsabilités et respecter la loi et les contrats qui s’appliquent à eux. Attendre une intervention gouvernementale sur cette question ne serait pas plus acceptable que d’invoquer l’immunité. Les exploitants de RPA doivent redresser cette situation illégale et inacceptable sans plus attendre.


[1] Pelletier (Habitations Pelletier c. Martin, 2021 QCCQ 5963), par 35-39 (juge N. Chalifour) rejetant l’appel de Martin c. Horizon-Gestion de résidences (Habitations Pelletier), 2021 QCTAL 7867 (juge S. Guèvremont).

[2] Bigeault c. 9891200 Canada inc., 2021 QCTAL 6903, par. 17 et s. (juge M-L Santirosi).