Partie 2 d’une série de 4 articles sur le logement
Droit fédéral et canadien
Le «droit à un logement» n’est pas spécifiquement énoncé comme un droit distinct dans la Charte canadienne des droits. Toutefois, le droit à un logement suffisant pourrait tirer son fondement de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui enchâsse pour toute personne le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Comme nous le verrons plus loin, les tribunaux canadiens ont reconnu à ce jour que la Charte canadienne constitue une assise au droit à un logement suffisant.
Une loi fédérale reconnaît néanmoins le droit à un logement suffisant. En effet, le gouvernement du Canada a adopté en 2019 la Loi concernant la stratégie sur le logement [1]. Par cette loi, le gouvernement reconnaît que:
- le droit à un logement suffisant est un droit fondamental de la personne confirmé par le droit international;
- le logement revêt un caractère essentiel pour la dignité inhérente à la personne humaine et pour son bien-être, ainsi que pour l’établissement de collectivités viables et ouvertes;
Cette Loi exige que le gouvernement fédéral élabore et maintienne une stratégie nationale sur le logement, à la lumière de principes clés en lien avec une approche fondée sur les droits de la personne. La Loi canadienne prévoit ainsi que la stratégie nationale sur le logement doit:
- énoncer une vision à long terme pour le logement au Canada;
- prévoir des objectifs en matière de logement et de lutte contre l’itinérance;
- mettre l’accent sur l’amélioration de la situation en matière de logement pour les personnes dont les besoins sont les plus criants, et
- prévoir des processus participatifs visant l’inclusion et la participation de la société civile [2].
Ces principes clés qui servent de fondement à la stratégie tirent leur source des principes adoptés par l’ONU et auxquels le Canada a souscrit comme pays signataire des ententes internationales que nous avons vues dans le billet précédent.
Stratégie fédérale sur le logement
En 2017, le gouvernement fédéral dévoilait sa première Stratégie nationale sur le logement au Canada [3]. Selon son énoncé, cette stratégie canadienne priorise les populations les plus vulnérables. Elle a favorisé l’amélioration de la situation menant à neuf constats:
- L’itinérance diminue d’année en année.
- Les logements sont abordables et en bon état.
- Le logement abordable favorise l’inclusion sociale et économique des personnes seules et des familles.
- Les résultats liés au logement dans les territoires du Canada s’améliorent d’année en année.
- Les besoins en matière de logement des groupes autochtones sont connus et de mieux en mieux comblés.
- Le logement abordable contribue à la durabilité environnementale.
- La Stratégie contribue à la croissance de l’économie canadienne.
- Des partenariats sont formés, renforcés et mobilisés pour atteindre de meilleurs résultats.
- La collaboration et l’harmonisation horizontale au gouvernement fédéral entraînent la mise en place de mesures globales pour régler les problèmes de logement [4].
Le Québec a tôt fait de réagir à l’adoption de cette stratégie canadienne du logement, compte tenu de ses pouvoirs constitutionnels en matière de droits civils, de propriété et de son pouvoir sur les institutions municipales et de taxation, lesquels lui confèrent une compétence exclusive lorsqu’il est question de logement. Le gouvernement du Québec a néanmoins reconnu être en accord avec plusieurs des objectifs généraux poursuivis dans la stratégie [5]. Quant au gouvernement fédéral, il a expliqué que sa stratégie nationale sur le logement reposait sur plusieurs de ses pouvoirs constitutionnels, soit celui de dépenser, de légiférer quant aux banques, aux Autochtones, et sur celui d’effectuer des recensements et d’en extraire des données à des fins de statistiques en matière de logement [6].
En octobre 2020, une entente est intervenue entre les deux paliers de gouvernement afin de prévoir le transfert au Québec des sommes allouées dans le cadre de la stratégie fédérale sur le logement.
La loi fédérale sur le logement a aussi créé un poste de Défenseure fédérale du logement. À l’instar du Rapporteur de l’ONU en matière de logement, celle-ci a un rôle de promotion et de protection des droits en matière de logement au Canada, de même que de surveillance des problèmes systémiques, de consultation des groupes de personnes vulnérables, d’observation, de surveillance et d’examen de tout problème systémique de logement.
En février 2022, la première Défenseure fédérale du logement était nommée par le gouvernement du Canada. Son message livré en juin 2022 révèle sa détermination à accorder la priorité à la crise du logement et de l’itinérance [7]:
«Le logement est un droit de la personne — plus qu’une aspiration, c’est une obligation. […] Il est évident que ce droit de la personne reste à concrétiser pour beaucoup de gens au Canada. Dans les faits, 1,7 million de personnes au Canada vivent dans des logements inadéquats ou inabordables et 235 000 personnes sont en situation d’itinérance chaque année [8]».
Puis, le 23 février 2023, la Défenseure fédérale lançait un «examen officiel» des campements au Canada et des violations des droits des personnes qui y résident. Elle écrivait dans son message:
«Bien que les tribunaux et les organismes de défense des droits de la personne reconnaissent de plus en plus l’itinérance non hébergée comme une question relevant des droits de la personne, les personnes résidant dans des campements font face à certaines des situations les plus précaires dans notre société. Leur dignité et leurs droits sont souvent ignorés. Elles sont victimes de harcèlement et de violence de la part de la police, des agents chargés de faire appliquer les règlements municipaux et des membres du public. La plupart n’ont pas accès à des services de base comme l’eau potable ou le chauffage. Certaines ont subi des préjudices ou sont décédées à la suite d’une exposition aux intempéries, d’un incendie, d’une surdose ou d’autres causes attribuables aux conditions dans lesquelles elles vivaient et mettaient en péril leur vie et leur sécurité. […]
Le Canada doit faire mieux pour répondre aux besoins essentiels des personnes en matière de logement et de sécurité. Les réponses aux campements doivent être axées sur la dignité des personnes et leurs droits de la personne, y compris leur droit à un logement adéquat [9]». [notre emphase]
La démarche de la Défenseure fédérale se base sur cinq domaines clés où le Canada doit faire mieux pour faire en sorte que les droits des personnes résidant dans les campements soient respectés:
- Cesser d’avoir recours aux mesures de maintien de l’ordre et à la police comme réponse aux campements.
- Fournir du financement et des services relevant des gouvernements fédéral et provinciaux pour soutenir les municipalités qui sont confrontées de manière disproportionnée à l’existence des campements, et pour permettre les investissements dans des options de logement à court et à plus long terme ainsi que des soutiens pour les personnes résidant dans les campements.
- Assurer la participation significative des personnes résidant dans les campements aux décisions qui les concernent.
- Reconnaître les droits distincts des peuples autochtones et les inclure dans l’élaboration des politiques relatives aux campements.
- Remédier aux conditions de vie dans les campements et fournir des services de base tels que l’eau potable, les installations sanitaires, l’électricité et le chauffage [10]. [notre emphase]
Cette démarche est assurément en lien avec l’importance du phénomène et des défis croissants liés à l’itinérance dans les villes. Les tribunaux ont d’ailleurs déjà été appelés à se prononcer sur les droits de ces personnes et c’est ce qui fera l’objet du prochain billet.
[1] CANADA. Loi concernant la stratégie nationale sur le logement, L.C. 2019, ch. 29, à jour au 6 mars 2023.
[2] CANADA. Loi concernant la stratégie nationale sur le logement, L.C. 2019, ch. 29, art. 5, à jour au 6 mars 2023.
[3] Stratégie nationale sur le logement du Canada
[4] Qu’est-ce que la Stratégie?, 2 mai 2018, Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), (consulté le 21 mars 2023).
[5] SECRÉTARIAT DES CONFÉRENCES INTERGOUVERNEMENTALES CANADIENNES. (2018, 9 avril). Les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux souscrivent à un nouveau cadre de partenariat sur le logement.
[6] Collectif canadien pour la recherche sur le logement. Document d’introduction sur le système de logement du Canada, avril 2021, 62 pages. [Préparé pour la Commission canadienne des droits de la personne].
[7] Commission canadienne des droits de la personne. Le logement est un droit de la personne, 2022, 44 pages. [Rapport annuel 2021-2022 au ministre présenté par le Bureau du défenseur fédéral du logement].
[8] Houle, Marie-Josée. En tête du changement : message de la défenseure fédérale du logement, (consulté le 21 mars 2023).
[9] Ibid.
[10] La défenseure fédérale du logement examinera les campements et les violations des droits de la personne des personnes qui y résident, modifié le 23 février 2023, Ottawa, Bureau du défenseur fédéral du logement, (consulté le 13 mars 2023).