Partie 1 d’une série de 4 articles sur le logement

Quiconque a pris le métro à Montréal à l’hiver 2023 a pu lire cette publicité: «La rue n’est pas un logement — surtout pas l’hiver [1]». Quiconque s’intéresse à l’actualité aura entendu parler de la bataille judiciaire des locataires de la résidence Mont-Carmel qui souhaitent conserver leurs logements malgré les avis d’éviction du 31 janvier 2022 [2]. Plus récemment, on soulignait quant à la place Émilie-Gamelin que des « personnes en situation d’itinérance et de détresse extrême y déambulent, sans accès à l’essentiel: un logis, des ressources de base et du soutien psychosocial [3].» Les préoccupations sont multiples portant sur l’accès à un logement [4].

Le sujet occupe les tribunaux [5], les élus [6], les médias [7], et les chercheurs [8]. En fait, la question du droit à un logement devient de plus en plus pertinente dans notre société. Le droit à un logement est devenu un enjeu primordial pour les élus. Il devra le devenir pour le législateur.

Droit à un logement — droit humain

Le 9 décembre 2022, à l’invitation de l’Association québécoise des droits des retraités et préretraités (AQDR), j’ai abordé la notion du droit à un logement en tant que droit humain. L’occasion était belle puisqu’elle coïncidait avec le 18e anniversaire de la division Ahuntsic-Cartierville de l’AQDR, et le 74e anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’Assemblée générale des Nations Unies. Voici ce qui ressort de ce droit de la personne en émergence.

À l’échelle internationale

On reconnaît le droit à un logement comme un droit autonome, c’est-à-dire qu’il existe indépendamment des autres droits de la personne. Il existe au même titre que le droit à la vie, au travail, à la santé, à la sécurité sociale, à la vie privée. Comme l’énonçait le Rapporteur spécial des Nations Unies,

Le logement permet d’assurer la stabilité et la sécurité d’un individu ou d’une famille. Notre domicile, qui est au cœur de notre vie sociale, émotionnelle et parfois économique, doit être un refuge : un endroit où l’on peut vivre en paix, en sécurité et dans la dignité.

Le logement est un droit, pas une marchandise [9].

La Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) énonce à son article 25(1) que

«Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires […]».

Ce droit à un logement est intégré dans sept traités fondamentaux relatifs aux droits de la personne et il est enchâssé dans la constitution de 22 pays signataires.

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) précise à son article 11(1) que:

«Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. […]»

Cette reconnaissance internationale du droit à un «logement suffisant» existe donc depuis longtemps. Elle ne se restreint pas à la simple existence du logement. Elle comprend un certain nombre de composantes.

Logement convenable

Un logement est convenable s’il répond aux besoins sociaux, économiques, environnementaux ou culturels de la personne au sens large, de l’avis du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) [10]. Cette interprétation est conforme à la déclaration faite par la Commission des établissements humains des Nations Unies et à la Stratégie mondiale du logement jusqu’en l’an 2000:

«Un logement adéquat c’est […] suffisamment d’intimité, suffisamment d’espace, une bonne sécurité, un éclairage et une aération convenables, des infrastructures de base adéquates et un endroit bien situé par rapport au lieu de travail et aux services essentiels — tout cela pour un coût raisonnable [11]

Il est acquis que certains aspects doivent être pris en considération pour qu’un logement soit considéré comme convenable. Il s’agit ici en fait d’exigences légales qui permettent de qualifier le droit à un logement. Elles sont au nombre de sept. Un logement sera considéré convenable s’il:

  1. offre la sécurité de l’occupation
  2. dispose de services, de matériels, d’installations et d’infrastructures
  3. rencontre la capacité de paiement de l’occupant
  4. répond à des conditions d’habitabilité
  5. est accessible
  6. est situé à un emplacement adéquat
  7. respecte l’identité culturelle. [12]

Droit à un logement convenable

À l’échelle internationale, on définit le droit de toute personne à un « logement convenable », comme le droit de vivre en un lieu, en sécurité, dans la paix et la dignité. La reconnaissance de ce droit procure une protection contre les expulsions forcées et l’ingérence arbitraire dans la vie privée ou le domicile. Bien que le droit à un logement convenable ne constitue pas pour les gouvernements une obligation de fournir à tous un logement, il demeure que les États sont tenus de mettre en œuvre l’exercice de ce droit. Ils doivent ainsi prendre en considération la situation particulière de certains individus ou groupes d’individus plus vulnérables.

«Le droit à un logement convenable s’entend des mesures qui doivent être prises pour éviter que des personnes se retrouvent sans toit, interdire les expulsions forcées, mettre fin à la discrimination, concentrer l’attention sur les groupes les plus vulnérables et marginalisés et garantir à tous la sécurité d’occupation et un logement convenable [13]

Une résolution a d’ailleurs été adoptée par les Nations-Unies visant les personnes âgées en 1991:

«Les personnes âgées devraient:

    • Avoir accès, en suffisance, aux vivres, à l’eau, au logement […];
    • Pouvoir vivre dans des environnements sûrs qui puissent s’adapter à leurs préférences personnelles et à la modification de leurs capacités;
    • Pouvoir vivre au foyer aussi longtemps que possible […];
    • Pouvoir jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales lorsqu’elles sont en résidence dans un foyer ou dans un établissement de soins ou de traitement; il convient, en particulier, de respecter pleinement leur dignité, leurs croyances, leurs besoins et leur droit à la vie privée et celui de prendre des décisions en matière de soins et à propos de la qualité de leur vie [14]

De plus, en 1997, le CDESC des Nations Unies a examiné un projet d’observation générale sur les expulsions forcées. Le Comité a souligné que la pratique des expulsions forcées entraîne «la violation des droits civils et politiques, témoignant ainsi de l’interdépendance entre les droits économiques, sociaux et culturels et les droits civils et politiques [15].» Cette affirmation permet de mieux comprendre la portée du droit à un logement convenable.

Comme l’énonçait en 2009 le Haut-Commissariat aux droits de l’homme:

«Le droit à un logement convenable est de portée plus vaste que le droit de posséder des biens, car il recouvre des droits qui ne sont pas liés à la propriété et vise à garantir que tout le monde dispose d’un lieu sûr où vivre en paix et dans la dignité, y compris les personnes qui ne sont pas propriétaires [16]

En définitive, les règles internationales définissent un ensemble de libertés et de droits sur la question du logement. Les États doivent fournir une réponse législative à cette affirmation forte. De plus, le droit international contribue à la réflexion sur la question par une proposition intéressante: la stratégie du logement.

Stratégie du logement

En 1988, l’Organisation des Nations Unies a jeté les bases d’une première stratégie mondiale dans le cadre de réflexions nationales et de constats mis en commun à Nairobi.

En 2018, la préoccupation relative au droit à un logement convenable a franchi une autre étape. La Rapporteuse spéciale en matière de logement du Conseil des droits de l’homme a joué un rôle primordial. Elle a montré la voie en agissant comme un guide pour les législatures:

«… les États se sont engagés à promouvoir des politiques du logement qui favorisent l’exercice progressif du droit à un logement convenable pour tous ; s’attaquent à toutes les formes de discrimination et de violence et s’opposent aux expulsions arbitraires et accordent une attention particulière aux besoins des sans-abri, des personnes vulnérables, des groupes à faible revenu et des personnes handicapées, en même temps qu’elles facilitent la participation des populations et des autres parties prenantes [17]

Dans le cadre de son rapport, la Rapporteuse spéciale énonçait tout d’abord une distinction importante entre «stratégie du logement» et «politique du logement» :

«En règle générale, une politique du logement est composée de plusieurs programmes qui traitent des problèmes qui se posent dans le domaine, notamment le sans-abrisme, l’offre de logements sociaux ou l’accès au logement sur le marché privé. Les programmes de logement sont souvent conduits par une seule autorité, un organisme officiel ou l’administration à différents niveaux.

… Une stratégie sert de cadre à un ensemble de loi, programmes, politiques et décisions visant à répondre aux besoins en matière de logement, qui, pris ensemble, créent un système de logement. L’objectif d’une stratégie de logement n’est pas seulement de fournir des logements, mais aussi de remédier aux lacunes et aux inégalités dans les systèmes existants. Une stratégie permet, d’une part, de réviser et de modifier les politiques et les programmes afin de garantir leur efficacité et, d’autre part, de lutter contre la stigmatisation, la marginalisation et la discrimination qui sont à l’origine des défaillances des systèmes de logement. Une stratégie de logement requiert la participation de différents niveaux d’administration et départements dont les attributions et compétences sont multiples [18].» [notre emphase]

La Rapporteuse spéciale précisait de plus qu’il est essentiel d’utiliser le cadre des droits de la personne (de l’homme) pour mener une stratégie du logement réellement efficace. Elle l’expliquait ainsi:

  • Le sans-abrisme et le mal-logement portent atteinte à la dignité de la personne et «constituent des violations des droits de l’homme et non seulement des échecs d’un programme»;
  • La reconnaissance et l’intégration des personnes concernées contribuent à les rendre actifs, capables de s’investir et de participer aux décisions qui influent sur leur vie et sur l’exercice de leurs droits;
  • Les droits de la personne (de l’homme) aident à recenser les lacunes et les faiblesses structurelles des systèmes et programmes de logement;
  • Le droit des droits de l’homme éclaire la prise de décisions et précise les responsabilités. C’est à l’État qu’il incombe à la fois d’être l’acteur principal et d’encadrer les acteurs privés;
  • Les droits de la personne (de l’homme) priment sur les autres droits et offrent un cadre pour la gouvernance et toutes les prises de décisions;
  • Les droits de l’homme permettent de changer les choses. Ils « sont indispensables pour réaliser les changements nécessaires et atteindre ainsi les objectifs recherchés comme ceux énoncés dans le projet 2030 [19].

Son document de réflexion est incontournable et clair: il faut mettre en place des stratégies qui prennent en considération la reconnaissance des droits de la personne et de la nécessité de les respecter. Elle formule dix principes clefs d’une stratégie de logement fondée sur les droits de la personne. Elle fait le constat d’une diversité d’approches par les États. Par exemple, elle relate:

  • 24. Les stratégies peuvent s’en remettre aux tribunaux pour s’acquitter de la tâche importante consistant à préciser les obligations découlant du droit au logement.
  • 37. En Écosse, la loi de 1987 sur le logement inclut l’obligation immédiate de remédier au sans-abrisme et demande aux administrations locales de fournir un logement à quiconque se retrouve involontairement sans abri, y compris les victimes de violence familiale ou les personnes qui vivent dans des logements surpeuplés.
  • 87. À Vancouver, une stratégie de logement a été mise en place, qui prévoit une taxe sur les logements vacants, des taxes foncières différenciées sur les logements résidentiels de luxe, une taxe sur les «reventes précipitées», une taxe sur les opérations spéculatives, des restrictions du droit de propriété des résidents non permanents et des mesures pour récupérer l’augmentation de la valeur des biens immobiliers résultant de la réaffectation des terrains.
  • 108. Au Canada, la Stratégie nationale sur le logement désigne un défenseur fédéral du logement chargé d’être à l’écoute des groupes vulnérables qui lui font part des obstacles systémiques auxquels ils se heurtent lorsqu’il s’agit d’accéder à un logement convenable [Stratégie nationale sur le logement du Canada (Ottawa, 2017)] [20].

Dans son travail colossal, la Rapporteuse spéciale insiste sur des éléments incontournables d’une stratégie de logement valide et efficace, notamment:

  • 17. Les stratégies doivent établir un processus qui permette de réaliser le droit au logement dans un délai raisonnable. Des dispositions sont nécessaires pour garantir non seulement les droits à prestation au moment présent (obligations immédiates), mais aussi la réalisation des obligations pragmatiques au fil du temps (obligations de réalisation progressive).
  • 18. Les stratégies doivent mettre fin au sans-abrisme. On considère qu’un État viole le droit international des droits de l’homme si une partie importante de sa population n’a pas de logement ou de toit. Remédier au sans-abrisme est par conséquent une obligation immédiate. Un État doit s’employer à utiliser toutes les ressources disponibles pour s’acquitter en priorité de l’obligation de mettre fin au sans-abrisme.
  • 19. Les expulsions constituent une violation flagrante des droits de l’homme. Prévenir et faire cesser cette pratique doit être considéré comme une obligation immédiate et prioritaire. Il ne doit être procédé à des expulsions que dans les circonstances les plus exceptionnelles et après examen de toutes les autres options. En pareil cas, les principes pertinents du droit international doivent être strictement respectés; il s’agit notamment de veiller à ce qu’un logement de remplacement convenable soit choisi sans contrainte par les personnes concernées. Les Principes de base et directives concernant les expulsions et les déplacements liés au développement précisent ces obligations.
  • 122. Les problèmes causés par la financiarisation du logement nécessitent de changer radicalement la manière dont les États réglementent les acteurs privés et encadrent les activités des marchés financiers. Les stratégies déployées doivent affirmer la fonction sociale de la terre et du logement, et prévoir des mesures pour lutter contre la spéculation, enrayer la production de logements de luxe inutiles et prévenir la privatisation des terres qui appartiennent au domaine public [21].

En sus des dizaines de mesures concrètes, la Rapporteuse spéciale conclut son rapport par dix recommandations sous forme de questions. Elle précise que tant les mesures que les questions visent à faire respecter les engagements pris dans le cadre du Nouveau Programme pour les villes et du Programme 2030 et à appliquer une démarche fondée sur les droits de la personne.

De fait, ce Nouveau Programme des Nations-Unis, adopté à Quito en 2016, et qui découle d’une conférence sur le logement et le développement durable place le logement au centre de ses dispositions.

«Il fait fortement référence au droit à un logement adéquat en tant que composante du droit à un niveau de vie suffisant. Il indique la nécessité de construire des quartiers à revenus mixtes en s’efforçant d’offrir des logements à un prix abordable et de traiter la question des sans-logis, de relier les transports publics, de répondre aux besoins des personnes vulnérables (personnes âgées, femmes et personnes handicapées) et de traiter les réfugiés de manière équitable.» [notre emphase]

La liste est longue et les défis sont multiples pour atteindre l’objectif d’atteindre le droit à un logement convenable. Mais une chose est claire, le droit international en général, et l’ONU en particulier, par leurs actions, forcent les États à prioriser le respect des droits de la personne et la réalisation concrète du droit à un logement malgré les enjeux grandioses auxquels font face plusieurs pays. La problématique mondiale n’échappe pas à l’ONU qui persiste à amener les États et leurs législatures à agir.

Nous verrons dans le prochain texte comment le Canada et le Québec répondent aux défis grandissants du droit à un logement, par la mise en place de stratégies et la réponse des tribunaux sur la question.

 


[1] Mission Old Brewery, Campagne publicitaire de financement du 28 novembre 2022 au 1er mars 2023.

[2] Nicole Filion et Mercédez Roberge, « Le temps presse pour sauver Mont-Carmel », Idées, Le Devoir, 7 février 2023. On a introduit l’appellation réno-éviction, et certains suggèrent de parler de gérontoviction, faisant appel à l’éviction de personnes âgées.

[3] Marie-Andrée Chouinard, « Sans toit ni loi », Éditorial, Le Devoir, 4-5 février 2023, B 10.

[4] Jeanne Corriveau, « Contester une hausse ou pas ? », Actualités, Le Devoir, 4-5 février 2023, A 12.

[5] Waterloo, Court rules in favor

[6] Maxime Bergeron, « Crise de l’itinérance : Marchand veut « casser le système», La Presse, 26 février 2023.

[7] Plateforme OHDIO de Radio-Canada, Fabrice Vil, « Un toit pour nous — se loger, mais à quel prix ».

[8] Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance, Possibilités de réforme du droit au Québec pour les femmes victimes de violence conjugale, Document d’orientation, novembre 2022.

[9] Nations Unies, Droits de l’homme, Rapporteur spécial sur le droit à un logement convenable, 2021.

[10] Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR), Observations générales n° 4 (1991) sur le droit à un logement suffisant et n° 7 (1997) sur les expulsions forcées (E/1992/23).

[11] Ibid., par. 7.

[12] Nations Unies, Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Le droit à un logement convenable, fiche d’information n° 21, 2009, p. 3 et s.

[13] Ibid., p. 6-7.

[14] A.G. des Nations Unies, 46e Session, Annexe : Principes des Nations Unies pour les personnes âgées, résolution 46/92 de l’Assemblée générale (1991).

[15] Le comite des droits économiques, sociaux et culturels examine un projet d’observation générale sur les expulsions forcées.

[16] Nations Unies, Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Le droit à un logement convenable, fiche d’information no 21, 2009, p. 8.

[17] Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, 37e session, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination, 2018, par. 2.

[18] Ibid., par. 6 et 7.

[19] Ibid., par. 9 à 15.

[20] Ibid., par. 24, 37, 87 et 108.

[21] Ibid., par. 17, 18, 19 et 122.