Commentaire sur les récents échanges portant sur l’admissibilité à l’aide médicale à mourir des personnes qui souffrent de trouble mental


Introduction

Au Québec, la Loi concernant les soins de fin de vie a été adoptée en juin 2014. Elle est entrée en vigueur en décembre 2015. Le consensus social et médical avait permis l’adoption à l’unanimité du projet de loi 52 par l’Assemblée nationale. Ce projet de loi était né à la suite d’une vaste consultation, la Commission «Mourir dans la dignité», menée à l’échelle du Québec. Le tout avait été mis en branle après que le conseil d’administration du Collège des médecins eût suggéré une réflexion sur ce sujet, et que le législateur ait mandaté la Commission en décembre 2009.

À la suite de l’adoption de la Loi, il y a eu des débats judiciaires portant notamment sur la désignation de «soins» pour cette procédure visant à mettre fin à la vie d’une personne à sa demande, par un médecin, et selon certains critères. Il y eut aussi des débats portant sur le fait pour l’Assemblée nationale de légiférer dans ce domaine compte tenu des dispositions du Code criminel et des compétences provinciale et fédérale relatives à la santé.

On a tranché sur ces questions, et il est acquis que les soins de fin de vie comprennent tant les soins palliatifs que l’aide médicale à mourir (AMM), comme le prévoit la Loi (art. 3(3)). Il est clair aussi que le Québec a le pouvoir de légiférer sur la question puisqu’il a compétence en matière de soins de santé, comme l’écrivait d’ailleurs la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter en février 2015 (par. 53) [1].

Application de la Loi

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi, son application a soulevé des questions menant à la contestation d’un des critères d’admissibilité. Ainsi, le critère de la Loi à l’effet d’«être en fin de vie», pour demander l’AMM, a été retranché de la Loi en septembre 2019 à la suite du jugement de l’honorable Christine Baudouin JCS (jugement Truchon, Gladu) [2]. De plus, l’exigence du consentement immédiat avant l’administration de l’AMM, alors que la personne avait déjà consenti dans le cadre de sa demande d’admissibilité, et qu’elle était devenue inapte à consentir lors de l’administration en raison de son état de santé, a été retirée.

Suivi de l’évolution de la Loi

Afin de suivre l’évolution de l’application de la Loi, une Commission spéciale a été mandatée par le gouvernement pour «étudier les enjeux reliés à l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour les personnes en situation d’inaptitude et les personnes souffrant de problèmes de santé mentale»[3]. Cette Commission a formulé onze recommandations en décembre 2021, dont celles portant sur des sujets toujours sensibles, soit l’admissibilité à l’AMM pour les personnes dont le SPMI est le trouble mental, l’admissibilité pour les personnes mineures, et l’élargissement de la Loi pour les demandes anticipées d’AMM. Elle a tenu des consultations publiques au printemps 2022. S’en sont suivi le dépôt du PL 38, puis celui du PL 11. Le législateur a tenu des consultations publiques après le dépôt de chacun des projets de loi. Le 7 juin 2023, ce dernier projet de loi était adopté à l’unanimité.

Ainsi, la notion de «déficience physique grave entraînant des incapacités significatives et persistantes» a été ajoutée à la Loi relativement aux critères permettant une demande d’AMM. Les dispositions relatives aux demandes anticipées ont été ajoutées et elles entreront en vigueur à une date qui sera fixée par le gouvernement (au plus tard en juin 2025). Le lieu d’administration de l’AMM, autre que ceux définis dans la Loi, est désormais permis sur autorisation de l’autorité désignée dans la Loi.

Exclusion du trouble mental

Dans son PL 38, en 2022, le législateur québécois a choisi d’exclure le trouble mental comme SPMI (art. 26 al. 3) de la liste des maladies permettant une demande d’AMM. Sa décision repose sur l’analyse et la recommandation numéro 11 du comité d’experts mandaté par le gouvernement (décembre 2021). Ce comité avait mis en lumière l’absence de consensus sur la question, l’importance de continuer d’exercer une grande prudence sur ce sujet, les difficultés reliées à l’énoncé du diagnostic en santé mentale et l’importance de la relation thérapeutique des différents intervenants avec le patient.

Il a fermé la porte à cette possibilité, contrairement à son homologue fédéral.

En effet, le 17 mars 2021, entraient en vigueur les dispositions de loi fédérale à la suite de l’adoption du PL C-7. Les articles du Code criminel ont alors été modifiés pour retirer le critère de «mort raisonnablement prévisible» exigé pour toute demande d’AMM jusqu’à cette date. Cette modification au Code criminel faisait suite à la décision rendue par la juge Baudouin en septembre 2019. Le législateur fédéral précisait aussi que l’admissibilité était non permise jusqu’au 17 mars 2023 lorsque le trouble mental est le SPMI.

En réponse au PL C-7, qui permettra éventuellement aux personnes dont le SPMI est le trouble mental (TM-SPMI) de demander l’AMM, la création d’un groupe d’experts a été annoncée en août 2021. Son mandat était de faire «un examen indépendant portant sur les protocoles, les lignes directrices et les mesures de sauvegarde recommandées pour les demandes d’aide médicale à mourir de personnes atteintes de maladie mentale» [4]. Ce groupe d’experts a déposé son rapport final le 13 mai 2022.

En février 2023, la suspension dans la loi a été reconduite jusqu’au 17 mars 2024. Le gouvernement estimait alors que les provinces n’étaient pas prêtes à recevoir les demandes. Le 14 février 2024, à la suite d’un vote majoritaire à la Chambre des communes, la suspension a été prolongée jusqu’au 17 mars 2027 (3 ans).

Suspension additionnelle

Selon le message publié par Santé Canada le 1er février 2024, le ministre de la Justice Arif Virani a invoqué à nouveau que les parties intéressées, en l’occurrence les gouvernements, les établissements de soins de santé et le personnel soignant, ne sont pas prêts:

«L’aide médicale à mourir demeure une question complexe et profondément personnelle. Nous devons veiller à ce que notre système de soins de santé soit prêt à protéger et soutenir pleinement les personnes qui peuvent être vulnérables. Après mûre réflexion, nous croyons qu’une extension supplémentaire jusqu’au 17 mars 2027 est nécessaire. Le système de soins de santé doit être prêt à offrir l’AMM aux personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale avant que cet accès ne puisse être accordé.» [5]

Ainsi, depuis l’entrée en vigueur des dispositions de la loi fédérale en 2021, les gouvernements et les professionnels n’auraient pas été mesure d’élaborer les moyens, la formation et les mécanismes devant être mis en place pour répondre aux critères du législateur. Serait-ce que le gouvernement fédéral et certaines provinces sont en désaccord avec ces dispositions et ne souhaitent pas l’entrée en vigueur de l’article au Code criminel, introduit par le Sénat au projet de loi avant son vote? C’est ce qui ressort clairement des nombreux points de vue exposés par les députés à la Chambre des communes le 3 février 2024.

Délais et études par des groupes d’experts

Relativement au rapport final du groupe d’experts fédéral sur l’AMM et le trouble mental, déposé en mai 2022, celui-ci comportait dix-neuf recommandations, dont celles-ci:

  • Établir des normes de pratique en matière d’AMM [résultat de la] collaboration des différentes autorités
  • Établir l’incurabilité et l’irréversibilité en fonction des tentatives de traitement
  • [Procéder à des] évaluations complètes de la capacité
  • [S’assurer de la] cohérence, [de la] durabilité et [du] caractère réfléchi d’une demande d’AMM (vérifier que le souhait de mourir ne résulte pas d’une situation de crise)
  • [Faire appel à un] évaluateur indépendant ayant une expertise (p. ex.: psychiatre pour AMM, TM-SPMI)
  • [Offrir des] formation [aux] évaluateurs et [aux] prestataires sur des sujets spécialisés (p. ex.: évaluation de la capacité, évaluation des soins tenant compte des traumatismes et de la sécurité culturelle) [6].

Comme on peut le lire, la table de travail était mise pour les professionnels participant à l’élaboration des normes visant à mettre en œuvre l’objectif de la loi. Toutefois, la réticence à inclure les personnes dont le SPMI est le trouble mental demeure bien présente et a conduit à un nouveau report et au maintien de l’exclusion ce qui mènera à six ans depuis l’adoption de la loi (2021) et cinq ans depuis le dépôt des recommandations du Groupe d’experts indépendant (2022).

Inclure ou exclure les personnes dont le trouble mental est le seul problème médical invoqué?

Le gouvernement s’appuie sur le principe de précaution pour justifier sa décision de reporter à 2027 l’entrée en vigueur des articles de la loi. Par souci de prudence et parce qu’il n’y a pas consensus, il privilégie de reporter et demande des éclairages additionnels sur l’exclusion ou l’inclusion des personnes qui souffrent d’un trouble mental. Il faut ici souligner que des groupes de défense des droits des personnes dont le trouble mental est le SPMI se sont montrés défavorables à l’inclusion de ces dernières aux groupes pouvant présenter une demande pour obtenir l’AMM. Elles souhaitent plutôt que des sommes soient investies pour offrir de meilleurs services et plus de soutien à ces personnes. Certains suggèrent aussi que le risque de dérapage est présent. D’autres ont exprimé le désir qu’aucune discrimination de soit faite envers les personnes qui souffrent d’un trouble mental et qu’elles soient incluses et qu’elles aient accès à ce soin comme toute personne qui souffre d’une maladie physique, dans la mesure où elles rencontrent les critères d’admission de la Loi.

Il est clair que la suspension additionnelle de trois ans est très longue pour une personne qui souhaite soumettre une demande d’AMM alors que son trouble mental est le SPMI. Il est clair aussi que l’exclusion est discriminatoire en ce qu’elle restreint l’accès à l’AMM fondée sur un trouble, une maladie ou un handicap autre que physique. Cette discrimination repose notamment sur une difficulté réelle portant sur des conclusions diagnostiques claires, en psychiatrie, et sur l’impossibilité de conclure que la maladie mentale est incurable ou irrémédiable. La médecine ne répond pas aux attentes et à la détresse humaine engendrée par tous les troubles mentaux, du moins actuellement.

Il faut reconnaître aussi la réticence sociale, et aussi médicale, à considérer que les troubles mentaux puissent être incurables. Pourtant, les critères de la loi dans leur état actuel sont très élevés et ils s’appliqueraient également à l’égard des personnes dont le SPMI est le trouble mental, soit: la gravité, l’incurabilité, l’irréversibilité, et l’état de souffrances persistantes qui sont intolérables et qui ne peuvent être soulagées dans des conditions que la personne juge acceptables.

Si l’on s’arrête un moment à ces exigences relatives à la maladie, pour l’admissibilité à l’AMM, on constate qu’en toute probabilité, seuls des cas exceptionnels seraient admissibles. Les professionnels devront être formés et appliquer les critères de la Loi. Ils devront de plus s’assurer que la personne qui souffre d’un trouble mental est apte à consentir à l’AMM. L’aptitude à consentir à des soins est une composante majeure et essentielle de toute demande d’AMM. Les professionnels devront recourir à une analyse de chaque situation pour déterminer si la personne est apte ou non à consentir à l’AMM dans un contexte où le trouble mental est le SPMI. Ainsi, il existe des conditions incontournables qui baliseront ces demandes et qui devront être appliquées de manière rigoureuse. Bien sûr, l’inquiétude pourrait persister à l’égard d’un risque de dérapage, comme en toute situation depuis que nous avons introduit l’AMM dans notre droit. Néanmoins, les inquiétudes devraient être mesurées en fonction de l’atteinte au droit constitutionnel à l’égalité de toute personne.

 


[1] Carter c Canada (AG), 2015 CSC 5.

[2] Truchon c Canada (AG) et autres, 2019 QCCS 3792.

[3] ASSEMBLÉE NATIONALE du Québec. Rapport de la Commission spéciale sur l’évolution de la loi concernant les es soins de fin de vie, décembre 2021.

[4] SANTÉ CANADA. Rapport final du groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale, Ottawa, 13 mai 2022.

[5] SANTÉ CANADA. (2014, 1er février). Le gouvernement du Canada dépose un projet de loi pour retarder de trois ans l’expansion de l’aide médicale à mourir.

[6] SANTÉ CANADA. Rapport final du groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale, Ottawa, 13 mai 2022.