« Tant qu’il y aura des étoiles sur le bord de la route, nous devrons nous arrêter. Tant qu’il y aura des rivières, nous pourrons nous baigner […] Le temps passe et un jour on est vieux et puis seul et rien ne reste plus que la fierté d’avoir aimé correctement, ou la honte et les tourments de ne pas voir compris à temps. Attends, j’ai quelque chose à te dire… » Jean Leloup, Balade à Toronto, 2002.
J’ai toujours eu de la difficulté avec l’expression « mourir dans la dignité ». Il me semble qu’à l’échelle planétaire, mourir dans la dignité doit être une exception; un peu comme les naissances sans avoir fait de fausses-couches au préalable le sont également. Quand vient le temps de mettre la notion de dignité en image, on pense souvent à la mort, pas à la vie.
Au Québec, de 2009 à 2014, nous avons eu un long débat sur la question : une commission spéciale, des opinions, des rapports et une loi sur les soins de fin de vie, dans le but de promouvoir et d’assurer aux gens de mourir dans la dignité. Tous et toutes aspirent à une mort douce, dans un environnement paisible, à l’abri de la violence et des querelles. Une mort sans souffrances, dans son sommeil, entouré de ses proches.
Or, il y a de moins en moins de proches et d’aidants, et de plus en plus de querelles au cœur desquelles se retrouvent des personnes en fin de vie. Les litiges en cette matière sont nombreux. Là où la difficulté surgit, c’est lorsque les soignants s’opposent aux proches ou aux aidants, les critiquent, refusent leur participation, demandent à les exclure de l’entourage de la personne concernée, nient leurs points de vue et repoussent leurs suggestions à l’égard de la personne concernée qu’ils connaissent souvent depuis 50 ans et plus.
Pour une personne hébergée — atteinte d’une démence vasculaire — qui s’étouffe facilement, totalement dépendante des soins et services, quels choix s’offrent à elle?
«Les soins palliatifs soutiennent la qualité de vie des patients et de leurs proches dans les situations sans possibilité de guérison complète, pouvant menacer la vie. Ils comprennent toutes les mesures de soins, de soutien psychologique, social et spirituel utiles pour prévenir et soulager les symptômes ainsi que les souffrances. Ils encouragent le patient à faire des choix afin d’anticiper les questions complexes liées à la fin de vie.» [1]
Selon le cadre sur les soins palliatifs au Canada adopté en 2018, ces derniers visent à :
- procurer le soulagement de la douleur et des autres symptômes pénibles;
- soutenir la vie et considérer que la mort est un processus normal;
- intégrer les aspects psychologiques et spirituels des soins;
- offrir un système de soutien pour aider les personnes à vivre aussi activement que possible jusqu’à la mort;
- offrir un système de soutien pour aider les familles à faire face à la maladie de la personne ainsi qu’à leur propre deuil;
- utiliser une approche d’équipe pour répondre aux besoins des personnes et de leurs familles en y incluant si nécessaire une assistance au deuil;
- pouvoir améliorer la qualité de vie et influencer positivement l’évolution de la maladie.
En pratique, les soins palliatifs intègrent également des analgésiques qui entraînent la somnolence et la diminution des capacités. Face à cette réalité, des proches ou aidants privilégient d’assister la personne en fin de vie en l’hydratant et en l’alimentant, avec prudence. Ils entrent alors en opposition avec les équipes de soins qui recommandent l’instauration des soins palliatifs avec médication. Comment concilier les points de vue?
Chaque personne réagit différemment face aux recommandations médicales. Le vécu de la personne en fin de vie, son environnement, son niveau de souffrance et la relation qu’entretiennent avec elle ses proches ou aidants, contribuent à la vision et à l’importance accordée au processus de fin de vie. Il n’y a probablement pas de bonne ou de mauvaise décision. Tous recherchent généralement que la personne en fin de vie connaisse le moins de souffrance possible jusqu’à sa mort.
Les soignants arrivent souvent plus facilement que les proches et aidants à reconnaître les souffrances de la personne en fin de vie, surtout lorsque ces derniers parviennent encore à communiquer d’une quelconque façon avec elle.
Au cours de la dernière année, des proches ou aidants ont été invités à décider des soins palliatifs pour des personnes âgées privées de soutien pendant des mois, et dont l’état de santé s’est dégradé. Certains ont choisi la voie des soins palliatifs avec l’option d’une hydratation soutenue jumelée à leur présence et à leur amour, tandis que d’autres ont opté pour les soins palliatifs avec médication analgésique dont des opiacés, vu la détérioration de l’état de santé de la personne en fin de vie ou l’apparition d’une nouvelle pathologie chez elle.
La conception des soins palliatifs diffère pour chaque personne. Pour certaines personnes, mourir dans la dignité signifie offrir une mort sans souffrance en faisant appel aux soins palliatifs avec administration de médication. Pour d’autres personnes, mourir dans la dignité signifie de préserver la vie sans la prolonger en faisant appel aux soins palliatifs, mais en évitant la somnolence et les effets secondaires associés aux analgésiques puissants, tout en veillant au bien-être et aux besoins de la personne en fin de vie.
Les choix dépendent de la valeur que l’on accorde à la vieillesse, à la maladie, à la dépendance, aux soins pour pallier la douleur, à la vie, à la mort, et peut-être aussi à la fierté d’avoir aimé correctement ou pris le temps de dire des paroles que l’on n’avait pas eu le temps d’exprimer auparavant. En fin de compte, le choix des proches d’adhérer ou non aux recommandations médicales, à moins qu’il ne soit manifestement déraisonnable ou erroné, devrait être respecté, inspiré par les dernières volontés de la personne en fin de vie tout en veillant à son bien-être.
[1] PALLIATIVE GENÈVE. Définition et historique des soins palliatifs, 2021.