Il y a déjà neuf mois que l’idée d’un passeport vaccinal fait son chemin. Prouver son état de vaccination divise les citoyens ici comme ailleurs, là où les vaccins sont disponibles, bien entendu…
En Angleterre, le ministre de la Santé a refusé l’adoption du passeport vu le taux d’opposition de la population à plus de 80 %. En France, les manifestations se multiplient. Au Québec, la grogne s’affirme avec l’imposition, le 15 septembre, de la preuve d’un état de santé pour entrer dans des lieux publics. On parle d’ailleurs d’élargir l’exigence à d’autres lieux…
Il est clair que l’objectif premier est d’inciter la population à se faire vacciner pour atteindre un taux de vaccination plus élevé. On vise à contenir la progression du virus qui est là pour rester, semble-t-il. Ni les loteries ni les campagnes de communication, non plus que les décès à l’échelle provinciale et planétaire, ni les taux d’infection qui grimpent ou les découvertes de variants du virus ne convainquent ceux qui voient la vaccination comme une atteinte à leurs libertés et droits fondamentaux de se faire vacciner.
Les mesures gouvernementales sont-elles une atteinte raisonnable aux libertés individuelles?
Liberté et droits individuels du XXe siècle vs défis collectifs du XXIesiècle
La liberté de circuler, celle de penser, d’errer, d’opiner, sans être importuné par l’État font partie de nos valeurs démocratiques et fondamentales. Nous entretenons une confiance dans la libre circulation des personnes et le respect de leurs choix. Nous chérissons l’importance que nous accordons à notre vie et à l’autorité que nous avons sur notre corps et sur les informations qui nous concernent. Ces valeurs sont essentielles à notre société.
Les chartes de droits et les lois sociales supportent nos aspirations. À visage découvert, nous marchons pour nous faire entendre et respecter. Les informations qui nous concernent peuvent et doivent rester privées : qu’il s’agisse d’une intervention volontaire de grossesse, d’une vasectomie, d’une ordonnance de garde en psychiatrie, d’une évaluation médicale, et ainsi de suite. Le partage d’une information relative à notre santé préoccupe autant que celle de se faire introduire une aiguille dans le bras.
Les temps ont changé
Depuis des années, nous participons au changement de nos libertés. Nous permettons l’atteinte à notre intégrité corporelle — le tatouage étant un bon exemple —, le partage d’informations relatives à notre santé — la présentation de la carte soleil sans que ce soit nécessaire. Nous nous soumettons à des examens et évaluations pour établir des diagnostics. Nous acceptons le partage d’informations médicales comme pour le Carnet santé Québec.
Nous nous sommes éloignés volontairement de la notion d’« inviolabilité du corps humain » (Albert Mayrand, 1975). Dans les années 80, le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) nous a contraints à changer nos habitudes. Nous avons été forcés à prendre plus de précautions et à faire appel à plus de prudence dans nos relations sexuelles. En 2001, suite à l’attaque des tours du World Trade Center à New York, la sécurité dans les transports publics s’est accrue. Antérieurement souples, nos déplacements se sont alourdis avec l’ajout des fouilles et des points de contrôle. Des libertés fondamentales ont cédé sous le poids des menaces à la sécurité individuelle et collective. Ces changements subsistent et nous devons nous y adapter.
Imposition du port du masque
Parmi les restrictions sanitaires, le port du masque fut le premier à changer nos habitudes. Pourtant, dans plusieurs pays asiatiques, le port du masque est une pratique répandue, ce qui devrait contribuer à la percevoir comme une contrainte plutôt minime, surtout en considérant que cette pratique n’atteint que peu voire aucunement l’intégrité physique. On peut au plus y voir une restriction de liberté, temporaire et raisonnable.
Vaccination encouragée
La vaccination constitue une atteinte claire à l’intégrité corporelle. Elle n’est permise qu’avec l’autorisation de la personne concernée ou d’une personne légalement autorisée à consentir à sa place. L’introduction d’une aiguille ou d’une substance dans le corps, par une personne habilitée à le faire, comporte des risques. Au Québec, il existe un programme d’indemnisation des victimes sans égard à la faute. Heureusement, les accidents sont rares.
Comparer l’imposition du couvre-visage à la vaccination obligatoire serait malvenu. Les différences sont évidentes tant au niveau de l’étendue des risques et de l’atteinte à l’intégrité.
En 2002, une nouvelle Loi sur la santé publique a été adoptée. Elle confère au ministre de la Santé le pouvoir exceptionnel d’imposer la vaccination à l’échelle de la province. Le fondement de ce pouvoir repose sur l’objectif premier en matière de santé publique : la protection de la santé collective.
Imposer la preuve vaccinale
Afin d’inciter les citoyens à se faire vacciner, le gouvernement a choisi de conférer des privilèges aux personnes vaccinées. L’imposition d’une preuve vaccinale dérange, car elle va à contre-courant de notre culture, de nos valeurs et de l’intérêt que l’on porte à nos choix et à nos libertés. La mesure est d’autant plus marquante du fait qu’il s’agit d’une première en la matière, qu’elle n’a pas été débattue à l’Assemblée nationale, qu’elle est adoptée dans un contexte d’urgence sanitaire, qu’elle ouvre la porte à de possibles dérives sur fond de protection de la santé publique, etc.
Il eût été heureux qu’un débat ait lieu en commission spéciale, comme cela s’est produit au cours de l’été à l’égard de l’élargissement de la Loi concernant les soins de fin de vie. Néanmoins, si un débat portant sur l’imposition d’une preuve vaccinale se transportait devant un tribunal, la règle de droit applicable serait celle de la limite imposée aux droits individuels par les droits collectifs, et qui fera l’objet de mon prochain billet.