Avec les révélations sur la situation déplorable des aînés en centres d’hébergement depuis deux mois, l’idée d’éviter à tout prix l’hébergement trouve écho. Les médias rapportent que les enjeux de discussion prennent forme pour repenser les soins et services aux aînés, mettre en place des milieux de vie agréables, favoriser le maintien à domicile et le respect des aînés et investir dans les soins à domicile [1].

Les moyens d’assistance mis à la disposition des personnes handicapées, malades et âgées ou celles dont les capacités résiduelles ne leur permettent pas d’être autonomes sont mis à rude épreuve depuis le début de cette pandémie et du confinement. Les aidants naturels sont épuisés. Certains attendent impatiemment une place pour leur proche dans un centre, mais ne savent plus trop ce qu’ils doivent faire. La cruelle réalité de l’abandon des aînés en CHSLD pourrait également exister au sein du domicile.

Vivre à domicile, une solution réaliste?

Établir un domicile et y vivre est ancré dans nos mœurs. Le domicile fait partie de notre sphère de vie privée. La Charte québécoise énonce d’ailleurs que « le domicile est inviolable ». Entrer dans le domicile sans autorisation est illégal et peut équivaloir à de la fouille. Vieillir à domicile devient un droit puisqu’il relève de la sauvegarde de la dignité d’une personne, un droit également protégé par la Charte.

Même les personnes itinérantes et sans domicile fixe qui choisissent la rue pour domicile demandent qu’on respecte ce principe [2]. Les CHSLD que l’on dénonce constituent le domicile de nombreuses personnes âgées, malades et handicapées, qu’elles y résident de manière volontaire ou non [3].

Dans le contexte de demandes d’ordonnance d’hébergement, il n’est pas rare que les juges mentionnent qu’ils ne sont pas étonnés que la personne âgée refuse l’hébergement et qu’elle préfère continuer de vivre chez elle. Les mandats de protection comportent souvent une clause chargeant la personne mandatée de tout faire pour assurer son maintien à domicile le plus longtemps possible.

Éviter l’hébergement à tout prix?

Mais pour certaines personnes, l’hébergement peut devenir la seule option, car elles ne disposent pas de l’assistance, de l’aide ou de la présence de personnes disponibles et disposées à assurer leur bien-être au quotidien. Des situations qui se révèlent parfois inquiétantes pour la personne dépendante. D’autres situations montrent que les services de soutien à domicile sont déficients, malgré la visite hebdomadaire prévue au plan d’intervention, l’assistance aux soins d’hygiène et les visites de professionnels.

Dans le cas d’une personne qui refuse les services à domicile bien qu’elle est inapte et que la situation ne permet pas un retour à domicile sécuritaire, les tribunaux peuvent ordonner l’hébergement. Des ordonnances sont émises malgré le refus et les témoignages de proches, de mandataires ou de parents d’enfants handicapés intellectuellement, expliquant qu’elles ne comprennent pas la situation, par exemple. Pourtant, la preuve révèle souvent qu’ils manquent de services de soutien du CLSC pour les assister et être en mesure de répondre aux besoins de cette personne [4].

En bref, il existe une certaine culture de l’hébergement lorsque s’y opposent farouchement les premières personnes concernées.

Plus rarement, les tribunaux concluent que le maintien à domicile doit être privilégié, en rejetant l’argument de l’inaptitude de la personne, même dans les cas où une personne très âgée vit seule. Il convient de citer les extraits suivants d’un jugement en surlignant certains passages.

« Pour elle, être hébergée ailleurs signifierait la déportation et la renonciation de son chez-soi et de tous les souvenirs qui l’habitent ; elle désire s’éteindre à cet endroit. »

« De l’avis du Tribunal, elle s’organise bien et même très bien malgré certaines limitations qu’elle comprend. Le Tribunal ne peut y voir une inaptitude justifiant un hébergement. Le Tribunal privilégie la réalité du vécu de la défenderesse qui démontre une organisation certaine à des simulations hors contexte du milieu de vie naturel, d’où l’on tire des conclusions sévères et préjudiciables à la défenderesse afin d’assurer, avant tout, sa sécurité. »

« Son déni à l’effet qu’elle n’aurait subi aucune chute, de l’avis du Tribunal, ne vise qu’à se défendre à toute tentative de quitter son domicile. Elle réalise fort bien que d’admettre ce fait représente une menace au maintien de son logement. »

« Elle préfère vivre seule entourée de quelques personnes avec les risques que cela comporte, et ce, malgré un certain entêtement dont elle peut faire preuve. Elle ne voit aucun bénéfice à vivre en hébergement sur le plan de la sécurité. »

« Le risque de chute est certes présent, mais elle assume ce choix avec lucidité. En ce sens, elle ne fait qu’exercer sa liberté sur sa personne. Contraindre la défenderesse à demeurer où elle ne souhaite pas, c’est porter atteinte à l’un de ses droits fondamentaux qu’est sa liberté. Le plus grand respect doit y être apporté. »

« Le processus de vieillissement de la personne avec tout ce qu’il comporte en termes d’amoindrissement de capacité ne rend pas en soi une personne inapte. »

« Il se peut fort bien que son maintien à domicile puisse lui abréger la vie. C’est le choix qu’elle exprime de vivre dans un environnement qu’elle connaît que de tenter d’en apprivoiser un autre pouvant optimiser sa longévité de vie, mais l’arrachant à son environnement qui lui est cher. » [5]

Face à la détermination acharnée, de l’hébergement par les directions d’établissements, une personne malade, âgée ou handicapée, ne pourra réussir à demeurer à domicile que, si elle se défend devant un tribunal avec détermination, et reçoit du soutien à domicile. Au final, la clé du succès réside dans la compréhension qu’ont la personne ou ses proches de sa situation, l’acceptation de l’assistance, la préservation de son hygiène et les moyens mis en place pour éviter l’isolement et assurer la sécurité.

La mise en place des politiques québécoises à l’égard des personnes âgées au maintien à domicile et à l’autonomie remonte à plus de 50 ans. À cette époque, le gouvernement a voulu créer des alternatives à l’institutionnalisation et offrir une politique globale du vieillissement. Nous aborderons la création de ces politiques, leur application ainsi que leurs résultats dans notre prochain texte.


[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1694788/chsld-crise-covid-soins-modele-solutions-aines-ages-residence-deces

[2] C.D. c. Québec (curateur public) [2001] RJQ 1708 (CA), honorable P-A Gendreau; la personne avait élu domicile dans des boîtes de carton sur le parvis de l’Archevêché à Montréal

[3] Ce que la loi appelle un milieu de vie substitut

[4] L’argument en faveur de l’hébergement est souvent celui de la surveillance 24h/7jours, ou 168h/semaine.

[5] CHUM et Rachel Dupuis c. P.É.S. et R. L., 2016 QCCS 6767 (italiques ajoutés); http://canlii.ca/t/gxbsd