En faire plus pour les aînés locataires était le souhait du Regroupement des comités de logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), qui avait aussi suggéré que le projet de loi 492 aille plus loin lors des consultations. Dans le texte précédent, nous avons fait état des conséquences importantes pour les aînés susceptibles de perdre leur logement et devoir se relocaliser dans un autre quartier. En voici quelques-unes que décrivait le RCLAQ :

  • craindre de perdre son logement face aux spéculateurs immobiliers peut créer un stress supplémentaire
  • changer de logement est éprouvant et présente de lourdes conséquences en raison la grande vulnérabilité de ces personnes sur les plans sociaux et économiques
  • se relocaliser dans le même quartier est souvent difficile
  • quitter le milieu de vie et les repères peut provoquer de graves problèmes de santé physique et psychologique aux aînés
  • s’éloigner des ressources de soins de santé et de la famille peut aggraver la situation de santé
  • faire reprendre son logement entraîne parfois la maladie, voire le décès.

Afin de limiter le déracinement des locataires aînés, le Regroupement avait suggéré de restreindre la notion de logement équivalent au quartier, répondant davantage à la spécificité des aînés [1].

Une protection accrue aux personnes âgées contre les reprises de logement et l’éviction serait-elle une solution ? Comme d’autres l’ont écrit récemment [2], il est temps de s’attaquer aux problématiques des locataires aînés, car elles sont nombreuses. Les prochains États généraux sur la situation des aînés devraient inclure la question du logement.

Pour l’immédiat, nous limiterons nos commentaires sur trois éléments liés au maintien du logement des locataires aînés, soit : l’assistance des régisseurs et des juges de la Régie du logement, le harcèlement du propriétaire ou du locateur et les actions collectives à la Régie.

1. Assistance des juges de la Régie du logement

Il est connu que les locataires aînés s’abstiennent de contester les augmentations de loyer ou les demandes de reprise de possession ou d’éviction [3]. Les motifs sont multiples : âge, vulnérabilité, méconnaissance de leurs droits, crainte de représailles, coûts pour introduire une demande à la Régie ou en appel à la Cour du Québec, déplacements au tribunal, désir de vivre en paix plutôt que dans un climat de confrontation, et ainsi de suite. Ainsi, la méconnaissance et l’absence de représentation devant le tribunal privent possiblement les locataires aînés de pouvoir exercer leurs droits. Nous devons souligner une particularité de la loi qui prévoit que les régisseurs et les juges de la Régie du logement sont tenus à un devoir d’assistance auprès des parties. Ce devoir discrétionnaire s’applique à tout moment.

Ces décideurs peuvent suspendre une audition pour permettre à une partie de se préparer, d’assigner des témoins, de déposer des documents, ou encore d’être accompagnée par un proche à la prochaine audition, par exemple. En cours d’audition, ils peuvent aussi indiquer aux parties leurs droits au contre-interrogatoire, d’être représentées par avocat, et d’autres éléments.

Les décideurs à la Régie du logement sont appelés à exercer leur devoir d’assistance à l’égard de tout locataire, incluant une personne âgée en perte d’autonomie et d’incapacité cognitive. Dans tous les cas, ils doivent être attentifs à ce que les principes de justice fondamentale et d’égalité des parties soient respectés. Les régisseurs doivent donc apporter à chacun un secours équitable et impartial de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction [4]. Une telle protection doit être connue du public afin d’accroître la confiance des locataires aînés.

2. Harcèlement du propriétaire : un comportement à dénoncer

Le harcèlement d’un propriétaire à l’égard d’un locataire peut prendre différentes formes. Il se caractérise par une « conduite vexatoire, généralement répétée et continue, qu’une personne adopte envers une autre ». Il se retrouve dans des agissements tels que :

  • un comportement dérangeant qui se répète dans le temps (propos ou actes insultants, intimidants, illicites, malveillants, discriminants ou injurieux)
  • une pression psychologique sur la personne qui le subit
  • une obligation pour le locataire à quitter le logement.

Le harcèlement est condamné par la Charte des droits et la Régie du logement a eu l’occasion de le rappeler dans des décisions impliquant des locataires aînés. Elle a dit que le locateur « ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement ». La loi prévoit que le locataire faisant l’objet de harcèlement peut demander que la personne causant ce comportement nuisible lui verse des dommages exemplaires [5].

Les demandes de résiliation sont habituellement précédées de lettres, d’avis et, trop souvent, de menaces. Les propriétaires et les gestionnaires recourent à divers stratagèmes : isolement de la locataire, perte de ses fonctions dans l’immeuble, désintéressement par les autres locataires, intimidation des amies de la locataire qui comptent témoigner à la Régie du logement. De telles mesures ont été qualifiées de harcèlement, particulièrement lorsqu’elles sont répétées, car elles ont un impact sur les locataires aînés [6].

Pour prévenir, des solutions doivent être explorées. Une avenue souvent gagnante est celle de la représentation, soit par un proche soit par avocat. Mais face à la ténacité de certains, il faut « armer » les locataires aînés de la nécessaire représentation en plus de l’information.

3. Actions collectives : une réforme nécessaire

L’action collective vise à regrouper les demandes individuelles en une seule demande afin d’obtenir un règlement égal à tous les individus, sur la base d’une preuve administrée pour une seule personne qui agit comme représentante. La loi prévoit que seule la Cour supérieure, un tribunal judiciaire, a juridiction pour entendre les actions collectives. Puisque la Régie du logement n’a donc pas juridiction, il faut entamer des démarches séparées.

Ainsi, même si tous les locataires d’une résidence pour personnes âgées (RPA), ou ceux d’un immeuble pour retraités, vivent le même problème en rapport à leur propriétaire, chacun d’entre eux doit exercer son propre recours à la Régie du logement. La décision rendue par la Régie ne s’appliquera qu’aux parties visées par le jugement, et non à l’ensemble des locataires. Dans des situations exceptionnelles, un juge de la Régie du logement peut décider de réunir des demandes qui sont similaires. La réunion d’actions est possible, mais chaque demande doit d’abord être initiée individuellement. Cela signifie que si 10 locataires sur 200 décident de contester la légalité d’une clause de leur bail à la Régie et qu’ils obtiennent des jugements en leur faveur, la décision de la Régie ne s’étendra pas aux 190 locataires restants, et ceux-ci devront continuer à vivre avec une clause illicite à moins qu’ils ne déposent une demande à la Régie et qu’ils aient gain de cause.

En 2016, le Protecteur du citoyen a vivement critiqué cette situation, considérant qu’il s’agissait d’une « source d’iniquité, un frein à l’administration de la justice et des coûts inutiles ». Il soulignait que cela est d’autant plus injuste, si l’on sait que ce ne sont pas tous les locataires d’une RPA qui vont avoir la capacité et la volonté d’entreprendre un recours, en raison de leur situation de vulnérabilité et de dépendance, et ce, même lorsqu’elles ont connaissance que des clauses illégales existent dans leur bail. Il suggérait donc que si un locataire entreprenait un recours à la Régie du logement pour invalider des clauses illicites et obtient gain de cause, la décision de la Régie devrait pouvoir s’appliquer à l’ensemble des résidents [7].

L’une des illustrations les plus frappantes de ce problème est l’affaire 3630005 Canada inc. c Angus, où cent vingt-cinq (125) locataires aînés ont dû faire une demande à la Régie du logement pour des faits qui étaient pourtant identiques d’une demande à l’autre et qui traînaient depuis plus de deux ans et demi [8]. L’une des locataires avait fait une demande à la Régie du logement pour que les 111 demandes des locataires soient entendues en même temps. Les demandes visaient la fixation de loyers. La locataire soutenait que :

1) il est déraisonnable que les demandes du propriétaire en augmentation de loyer soient traitées plus rapidement que les demandes de réduction de loyer des locataires, ce qui rendra encore plus complexe le remboursement des loyers des locataires

2) l’ensemble des demandes requiert la présence et le témoignage des mêmes témoins

3) il serait inutile et déraisonnable du point de vue de l’administration de la justice d’exiger que les 125 locataires présentent une même preuve

4) les délais sont astronomiques pour la totalité des locataires, dont les demandes n’ont toujours pas été entendues alors que les locataires sont des personnes âgées pour qui ces démarches peuvent être très stressantes

5) la santé de plusieurs locataires se détériore, ce qui rend de plus en plus difficile la présentation de leur preuve

6) que certains locataires sont décédés, ce qui amène des problèmes, notamment pour la succession de ces personnes, et finalement,

7) que le non-traitement des demandes des locataires met ceux-ci dans une position où ils doivent refuser les augmentations annuelles du propriétaire, ce qui ajoute de nouvelles procédures à la Régie et un stress supplémentaire pour les locataires.

Malgré toutes ces considérations, la Régie du logement a refusé la demande de la locataire sur la base du fait que la diminution de loyer et les dommages-intérêts étaient deux sujets différents que la Régie n’allait pas traiter en même temps [9]. Une action collective regroupant toutes les demandes des locataires aurait permis d’éviter ce problème. Il serait temps d’envisager cette option par une réforme de la loi.

Les enjeux pour les locataires aînés en matière de louage sont nombreux et non négligeables. Ils sont source de stress, d’inquiétudes et d’ennuis majeurs pour les aînés qui désirent demeurer à domicile. Afin d’améliorer les conditions de vie et de maintien du logement, il serait approprié de les adresser lors d’États généraux visant les aînés, tel que suggéré dans l’article précédent.


[1] RCLALQ, « Projet de loi 492 : un pas de plus en faveur de la protection du droit au maintien dans les lieux des locataires ». Mémoire déposé à la Commission de l’aménagement du territoire, septembre 2015, à la p 7.

[2] Marie Annik Grégoire, « Assurer la protection juridique des aînés en résidence privée », La Presse, 4 juillet 2020.

[3] Protecteur du citoyen, Rapport spécial, Les résidences privées pour aînés: plus que de simples entreprises de location résidentielle, Rapport sur le respect des droits et des obligations des locataires et des locateurs dans les résidences privées pour aînés, Québec, 16 juin 2016.

[4] Dorris c Société d’habitation et de développement de Montréal, AZ-50552614 (SOQUIJ) 2009 QCCQ 3426

[5] Laporte c Villa Majeau inc., AZ-51481998 (SOQUIJ) 2018 QCRDL 10144, juge Marie-Louisa Santirosi; Eden-sur-le-Lac inc c Lavoie Larochelle, 2012 QCRDL 5303

[6] Rapport du protecteur du citoyen, aux p 24-26;

[7] Rapport du protecteur du citoyen, à la p 22, para 67-68.

[8] 3630005 Canada inc. c Angus, AZ-50319315 (SOQUIJ) [2005] J.L. 145 (QCRDL), greffier spécial Jean-Yves Landry

[9] 3630005 Canada inc. c Angus, AZ-50319315 (SOQUIJ) [2005] J.L. 145 (QCRDL), aux p 2-3