Au cours des derniers jours, certains ont soulevé une nette opposition à l’obligation du port du masque dans les transports en commun. Leur argument est fondé, en partie, sur une objection à restreindre l’exercice de la liberté de choisir. Alors que les opposants affirment être prêts à porter le couvre-visage, c’est l’imposition de l’obligation qu’ils refusent. À cette requête, la Direction de la santé publique dit que le mot d’ordre est de « convaincre » plutôt que « contraindre », mais certains suggèrent qu’une telle imposition est une entrave à un droit fondamental.

Peut-on affirmer que le port obligatoire du masque dans les transports en commun est une atteinte à un droit fondamental et qu’il enfreint les lois du Québec ? S’agit-il d’une véritable atteinte? Et, si c’est le cas, comment le justifier dans une société libre et démocratique ?

Choisir de porter ou non un couvre-visage : un droit fondamental ?

Nous avons la chance et le privilège de vivre au Québec où l’on peut choisir librement de porter un foulard, un voile, une casquette, des lunettes soleil, un couvre-visage ou tout autre article de mode… Ce choix relève de la libre disposition de notre corps. Certains lieux imposent par contre des restrictions sur la tenue vestimentaire, tels les lieux de culte et les palais de justice, où les chapeaux sont interdits. On doit actuellement porter une jaquette et une visière, dans les centres d’hébergement.

Nous sommes donc, à l’occasion, limités dans l’exercice de notre liberté et forcés de porter ou non une pièce vestimentaire en raison de la spécificité de certains milieux. Ces limites sont imposées et réduisent notre liberté de choix, sans toutefois constituer une atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à l’intégrité.

Porter ou ne pas porter un couvre-visage ne se rattache donc à aucun droit fondamental. Suggérer que le couvre-visage porterait atteinte à la dignité serait de nature à dénaturer le droit à la dignité. Aucune atteinte n’est portée à l’intégrité non plus, puisque le port du couvre-visage ne rejoint pas les critères de ce type d’atteinte, tels que définis par la Cour suprême dans l’arrêt CSN c. St-Ferdinand d’Halifax en 1996. Plaider que l’imposition du masque porterait atteinte à la liberté exigerait donc qu’on examine la notion de droit dans son essence même.

Qu’est-ce que la notion de droit?

La notion de « droit », conçu comme la caractéristique d’un sujet et qui n’existe qu’à l’avantage de ce sujet, remonte pour le moins au XIVe siècle [1]. La notion de « droit » est une prérogative que l’on reconnaît à son titulaire et dans son intérêt, tels le droit de propriété et le droit au respect de la vie privée. Dans son sens large, un droit est un attribut, une faculté, une liberté, un pouvoir ou, encore, un privilège [2].

La notion de « droit absolu » fait référence à un droit opposable à tous, tel le droit d’auteur, les droits de la personnalité, par opposition à un « droit relatif » qui est opposable à certaines personnes seulement, tels le droit de créance ou encore le droit d’un époux au secours de l’autre [3].

L’exercice des droits individuels

Au Québec, toute personne jouit des droits de la personnalité et en est titulaire. On fait référence ici aux droits à la vie, à la liberté, à l’intégrité, à la sécurité, à la dignité, à l’honneur, au respect de sa réputation. On parle aussi de droit à la vie privée et à la confidentialité des informations qui la concerne [4].

Toute personne est donc libre d’exercer ses droits, sous réserve des éléments suivants:

  • Les exercer selon les exigences de la bonne foi (art. 6 CcQ)
  • Ne pas les exercer en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant à l’encontre des exigences de la bonne foi (art. 7 CcQ)
  • N’y renoncer que dans la mesure où le permet l’ordre public (art. 8 CcQ)

Les droits individuels – ou de la personnalité – sont garantis par deux textes de loi fondamentaux au Québec, qui s’interprètent en harmonie : la Charte des droits et libertés de la personne et le Code civil du Québec.

  • « Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.
  • Le Code est constitué d’un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger. »

Le préambule de la Charte énonce que :

  • « Tout être humain possède des droits et libertés intrinsèques, destinés à assurer sa protection et son épanouissement;
  • Tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi;
  • Le respect de la dignité de l’être humain, l’égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et libertés dont ils sont titulaires constituent le fondement de la justice, de la liberté et de la paix;
  • Les droits et libertés de la personne sont inséparables des droits et libertés d’autrui et du bien-être général; »

Ainsi, alors que le préambule de la Charte donne primauté aux droits individuels, il ressort aussi que l’État doit préserver la vie humaine et que les droits individuels coexistent dans la société. En ce sens, l’article 9.1 de la Charte indique que :

Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.

Au final, malgré ce que certains citoyens croient, il apparaît clairement que les droits civils et les libertés individuelles ne sont pas menacés par l’imposition du port du masque dans les transports et autres lieux publics. La question qui demeure à éclaircir est jusqu’où et surtout jusqu’à quand le gouvernement pourra-t-il imposer efficacement le masque aux citoyens au nom du bien-être collectif ? Notre prochain article permettra de mieux cerner les enjeux juridiques de cette situation.


[1] Centre de Recherche en droit privé et comparé, Dictionnaire de droit privé, 1985

[2] Le Robert, Dictionnaire des synonymes, 1983

[3] Idem

[4] Art. 1, 4, 5 et 9 Charte des droits et libertés de la personne ; art. 3, 35 Code civil du Québec