Les locataires de RPA devant le Tribunal

Dans le billet précédent, je faisais référence aux arguments des directions de RPA en réponse aux demandes conjointes en diminution de loyer pour services non rendus en temps de pandémie. Les locataires résistent et maintiennent leurs demandes malgré cette opposition. Ils ont raison d’insister.

Décisions rendues suite à des demandes individuelles en justice

Tribunaux judiciaires

C’est en juillet 2020 que la Cour supérieure rend une décision importante sur la diminution des loyers en contexte d’urgence sanitaire. Le locataire d’une entreprise opérant un gymnase d’entraînement dans un espace commercial demandait à la cour une réduction de son loyer. Il avait interrompu ses activités suite aux décrets et à l’imposition des restrictions par la santé publique. Il ne pouvait plus fonctionner.

Pour la Cour, l’état d’urgence sanitaire a créé un cas de force majeure [1] empêchant le locateur de respecter son obligation « de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué » [2]. Elle a appliqué un principe légal, simple, clair et cohérent : le locateur qui ne peut plus exécuter son obligation, en raison d’une force majeure, est libéré de cette obligation [3]. Ainsi libéré, il ne peut plus exiger l’exécution de l’obligation corrélative du locataire, le paiement pour les services non reçus. Et si le locataire a rempli son obligation de paiement, il a droit à la restitution par le locateur [4].

La Cour supérieure conclut donc que le locateur ne peut pas réclamer les loyers des mois de mars, avril et mai 2020 et le locataire a droit au remboursement (26 950,65$).

Les principes appliqués par la Cour supérieure concernant un bail commercial sont appliqués de la même façon par le Tribunal administratif du logement en matière de bail de logement comme en témoignent les décisions qui suivent.

En matière de bail de logement, la Cour du Québec a rejeté en juillet 2021 la demande de permission d’appel d’un locateur forcé de réduire le loyer d’un locataire, à la suite d’une décision du Tribunal administratif du logement. M. Martin avait eu gain de cause devant le Tribunal le 25 mars 2021. Il avait obtenu une diminution de son loyer en proportion de la perte de services de loisirs durant la période d’urgence sanitaire. Insatisfait, le locateur a demandé la permission pour que la décision soit cassée en appel, invoquant notamment la multiplication des recours judiciaires. La Cour du Québec rejette cet argument : les demandes des locataires sont tout à fait légales [5].

Devant le Tribunal, M. Martin s’est présenté seul. Il a expliqué qu’il ne bénéficiait plus des activités organisées d’animation favorisant la socialisation, sous la supervision d’une intervenante en récréologie à la résidence. M. Martin ignore la part des frais d’accès aux services de récréologie sur l’ensemble des services qu’il paye chaque mois. Sur la base de la valeur totale de ces frais, soit 352$, il demande 250$ pour les mois de mars à juillet 2020.

La locatrice expliquait qu’il n’y avait pas eu de perte de services, mais plutôt un réaménagement des activités et des services offerts par la RPA pour respecter les règles de distanciation et de confinement dans l’immeuble : spectacles musicaux à l’extérieur, collations surprises, prêt d’appareils pour la communication avec l’extérieur et assistance technologique. Bien que M. Martin ne participe pas à ces nouvelles activités, ceci ne l’empêchera pas de réclamer et d’obtenir le remboursement des frais payés pour les services non rendus.

Le Tribunal renvoie aux règles claires, simples et applicables [6] : la locatrice doit procurer la jouissance des lieux loués tout le long du bail incluant les services, dépendances et accessoires qui s’y rattachent [7]. La diminution de loyer se fait en proportion de la perte de jouissance. Le locateur qui remédie à l’interruption de services a droit au rétablissement du loyer pour l’avenir [8].

Le Tribunal accorde à M. Martin 90$ pour les 3 mois d’avril, mai et juin 2020 et 15$/mois à compter de juillet 2020 jusqu’au rétablissement du défaut du locateur de remplir son obligation. M. Martin se fait aussi rembourser les frais de justice et de signification.

Non-accès aux commodités et avantages

Le locataire P. Bigeault vit avec son épouse au sein d’un immeuble prestigieux à Laval. Il paye un loyer mensuel de 1 865$. L’immeuble compte 202 logements locatifs. M. Bigeault réclame une diminution de loyer de 200 $ par mois pour les périodes du 16 mars 2020 au 16 juin 2020 et du 15 novembre 2020 au 31 janvier 2021. Il n’y habite plus depuis le 1er février 2021. M. Bigeault comprend les motifs sanitaires et les raisons des décrets. Il explique toutefois qu’il n’a pas eu accès aux commodités et avantages pour lesquels il a versé un loyer : piscine intérieure avec vestiaire et douche, gymnase avec appareil et salle d’exercices, terrasse sur le toit avec BBQ, salle de billard avec écran géant, salon pour invités. Le locateur répond qu’il s’est conformé aux décrets et qu’il s’agit d’aires communes non incluses dans le prix du loyer.

Le Tribunal étaye un principe légal fondamental qui définit le contrat de louage, ou bail. La location s’étend à tout ce qui est nécessaire à l’utilisation des lieux loués. Le loyer comprend « le prix mensuel de la jouissance d’un logement avec services, accessoires et dépendances, même s’ils font l’objet d’un contrat distinct du bail. » [9] Les services auxquels M. Bigeault réfère « font partie de la valeur du prix du logement même s’il s’agit d’aires communes disponibles à tous les locataires. » [10]

Le 17 mars 2021, le Tribunal conclut que M. Bigeault a profité de l’essentiel de sa location, mais qu’il a été privé des services accessoires. Il évalue la perte de jouissance mensuelle à 150$ par mois pour les 6 mois réclamés (900$), plus les intérêts, l’indemnité additionnelle et les frais judiciaires [11].

Non-accès aux salles d’activités et d’entraînement

Pour S. Gingras, le non-accès aux lieux d’activités est essentiel : piscine, salle d’entraînement, salle de billard et salle communautaire. En 2020, il réclame de la RPA la somme mensuelle de 235$ représentant la perte de jouissance pour une période consécutive de 36 jours, soit du 21 juin au 26 juillet 2020. Son loyer mensuel s’élève à 865$. Pour le Tribunal, il ne fait pas de doute que la restitution s’impose. Et pour fixer le montant qu’il accorde, le Tribunal a pris en considération le fait que M. Gingras travaillait presque 80 heures par semaine en raison de la pandémie, de sorte qu’il ne pouvait pas utiliser les salles d’activités pendant la période réclamée [12].

Le 6 mai 2021, le Tribunal accorde à M. Gingras la somme totale de 100$.

Perte de loisirs

Le 24 novembre 2020, A. Lacroix dépose une demande de diminution de loyer pour la perte de services. Son bail inclut un ensemble de services compris dans le prix du loyer qui s’élève à 2 045$ en 2020. M. Lacroix avait choisi la résidence Le Jules Verne pour les loisirs qu’elle offrait, et en particulier les quilles, le billard, l’atelier de cuisine, les cours d’informatique et la pétanque. Il témoigne que lors de la coupure complète des services en mars et avril 2020, l’attitude du personnel lui donnait l’impression qu’il était en prison. M. Lacroix demande un remboursement pour les mois d’interruption de services à l’endroit du Groupe Patrimoine.

Le 21 octobre 2021, le Tribunal accorde à M. Lacroix 150$ en diminution de loyer, jusqu’au 30 juin 2021, plus les intérêts et les frais judiciaires [13].

Piscine fermée

Ringuet et Mme Lavigne ont demandé une diminution de leur loyer de 175$ pour non-accès à la piscine à compter de mars 2020. Ils se représentent seuls à l’audience le 1erjuin 2021.

Le 8 septembre 2021, le Tribunal leur donne raison. Il leur accorde la restitution d’un montant mensuel de 75$/mois pour 16 mois, soit la durée de la fermeture de la piscine de mars 2020 jusqu’à la date de l’audience, le 1er juin 2021. Encore une fois, le Tribunal se base sur les principes légaux inéluctables en matière de bail de logement pour conclure que la demande de diminution mensuelle du loyer de 1 200$, rétroactive au 15 mars 2020, est bien fondée [14].

Annulation d’un bail pour services non rendus

C’est en avril 2020 que le couple Monté avise la direction du Boisé Notre-Dame qu’ils résilient le bail signé au mois de janvier. Ils sont revenus sur leur décision d’intégrer ce « club Med » dont le loyer mensuel s’élève à 2 874 $ plus les services à la suite de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, du 23 mars, des recommandations du ministère de la Santé à l’effet de ne pas déménager, du 23 avril, et de l’imposition de mesures qui les auraient confinés dans un logement dont ils ne peuvent bénéficier des services [15]. Le locateur leur réclame en contrepartie 25 866$, soit les loyers du 1er avril 2020 au 31 janvier 2021.

Le Tribunal écrit : « Exiger des locataires le paiement du loyer de mai 2020 et de tous les autres loyers subséquents, réclamés par le locateur, n’aurait que comme conséquence d’enrichir sans justification [art. 1493-1495 CcQ], car les mesures de confinement déclarées par le gouvernement se sont prolongées et sont toujours en vigueur pour plusieurs au jour de l’audience » [16] (21 septembre 2020 et 19 janvier 2021).

Le 17 février 2021, le Tribunal rejette la demande de recouvrement de loyer du locateur, déclare le bail résilié le 1er avril 2020 et ordonne au locateur de rembourser le mois de loyer payé par les locataires.

En résumé

Toutes les demandes individuelles entendues à ce jour, et pour lesquelles un jugement a été rendu, ont été acceptées par les tribunaux. Toutes renvoient aux principes incontournables en matière de logement. Ces principes recevront application sans aucun doute dans le cadre des demandes conjointes. Les jugements favorables permettent d’espérer une issue satisfaisante pour les demandes conjointes.

Dans le prochain billet, nous verrons que les locataires ne craignent pas de se réunir pour faire valoir leurs droits. La nouvelle procédure (demandes conjointes) et l’immunité soulevée par les exploitants à l’automne 2021 ne sont plus des obstacles. Il reste que leur opposition musclée et les délais accordés par le Tribunal à la préparation des causes mènent à des attentes pour lesquelles il faudra trouver une solution.

 


[1] art. 1470 CcQ

[2] art. 1854 CcQ

[3] art. 1693 CcQ

[4] art. 1694 CcQ; il s’agit d’une question d’équilibre du contrat.

[5] Pelletier (Habitations Pelletier) c. Martin, 2021 QCCQ 5963, par. 35-39.

[6] Martin c. Pelletier (Habitations Pelletier), 2021 QCTAL 7867.

[7] Art. 1854, 1892 CcQ

[8] Art. 1863 CcQ

[9] Règlement sur les critères de fixation de loyer, T-15.01, r. 2, art. 1

[10] Bigeault c. 9891200 Can Inc., 2021 QCTAL 6903, par. 16.

[11] Bigeault, par. 40.

[12] Gingras c. Les Immeubles Georges Landry, 2021 QCTAL 11714.

[13] Lacroix c. Résidence Le Jules Verne, 2021 QCTAL 26766.

[14] Ringuet c. CAP REIT, 2021 QCTAL 22233, par. 43 et s

[15] Boisé Notre-Dame c Monté, 2021 QCTAL 3986, par. 43.

[16] Monté, par. 47.