Les locataires de RPA devant le Tribunal

En référence à l’article paru le 11 mars 2022 dans Protégez-vous : « Des aînés en résidences font de la résistance », de Rémi Leroux.

Les demandes de diminution de loyer pour services non rendus en résidence privée pour aînés (RPA) s’accumulent depuis mai 2021. Que peuvent les résidents face aux exploitants ?

Le 6 mai 2021, la première demande conjointe était déposée au Tribunal administratif du logement (TAL) par trois locataires d’une RPA de Rouyn-Noranda. Puis, en décembre 2021, on comptait 17 demandes conjointes, déposées par des locataires, souvent représentés par un ou des mandataires, au Québec.

En date du 8 juin 2022, on dénombrait 27 demandes conjointes. Toutes ces demandes visent à obtenir une diminution de loyer fondée sur l’interruption d’un ou de plusieurs services de la RPA depuis l’imposition de restrictions sanitaires dans le contexte de la pandémie.

Résidents affectés par l’interruption des services

L’interruption des services au sein des RPA affecte non seulement les locataires, mais aussi les propriétaires de copropriété qui bénéficient des services offerts par une RPA. Ces propriétaires-résidents versent un montant à la RPA en contrepartie de laquelle ils ont accès aux services fournis par la RPA. L’interruption des services au sein de la RPA qui a eu lieu à compter de mars 2020 a donc affecté des locataires et des copropriétaires qui se comptent par milliers. Cette situation n’est pas sans conséquences pour eux et le non-respect de leurs droits doit s’exprimer par une diminution du montant versé pour les services mensuels interrompus en raison des restrictions sanitaires.

Le Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA) regroupe les propriétaires de résidences privées pour aînés. En avril 2021, il rassemblait 800 membres, gestionnaires et propriétaires de résidences à près de 100 000 unités locatives [1]. Toutes les RPA n’en sont pas membres, mais les exploitants les plus importants en font partie. En 2021, on comptait 1750 résidences privées pour aînés (RPA) au Québec.

À la suite d’un avis juridique émis à l’été 2021, le RQRA a réagi au nombre croissant de demandes de diminution de loyer. Elle a soulevé plusieurs arguments qu’elle répète dans chacune des demandes devant le TAL. La position des exploitants de RPA entraîne un bras de fer qui irrite locataires et copropriétaires.

Demande conjointe au Tribunal administratif du logement (TAL)

En mars 2021, la loi a été modifiée, ouvrant la porte aux demandes conjointes de locataires de RPA au TAL pour des réclamations visant une diminution des services (art. 57.0.1.). Cette modification a été saluée par la Protectrice du citoyen dans son rapport annuel 2020-2021, déposé à l’automne 2021 (p. 129) arguant que « la proposition contri­buera à prévenir et à corriger les préjudices constatés lors de son enquête. ».

La démarche de demande conjointe est la suivante. À la suite du dépôt de la demande, le juge administratif, à qui le dossier est confié, tient une conférence de gestion. Il fixe des délais et rend les ordonnances nécessaires, dont celle d’aviser tous les locataires de la RPA qu’une demande conjointe a été déposée et qu’elle sera entendue. Ce type de demande vise tous les locataires de la RPA d’où l’intérêt qu’ils en soient avisés.

Chaque dossier est assigné à un juge distinct. À ce jour, la majorité des demandes conjointes ont donné lieu à plus d’une conférence de gestion pouvant s’étendre parfois sur quelques heures. Elles donnent lieu à des échéanciers pour la communication d’une défense écrite, des pièces justificatives, pour faire valoir des arguments sur des points de droit, etc. Aucune conférence de gestion n’a encore mené à une entente hors cour ou à la fixation d’une audition sur le fond de la question, soit la diminution du loyer pour services non rendus.

Arguments du Regroupement québécois des résidences pour aînés

Les arguments du RQRA se résument ainsi :

  • L’immunité de la loi s’applique à elles;
  • Elles ont déployé des efforts exceptionnels depuis le début de la pandémie;
  • Elles se sont acquittées de leurs obligations contractuelles en ce que les services de loisirs et de repas ont été maintenus et ont rendu les espaces communs accessibles, selon les contraintes gouvernementales;
  • Elles ne se sont pas enrichies, mais elles ont plutôt augmenté les services à certains égards; et enfin,
  • Le montant réclamé par les locataires et copropriétaires est exagéré et sans fondement.

Les exploitants font aussi valoir que l’accueil de toutes les demandes leur coûterait plus de 200 M$. Ils refusent donc de négocier toute entente et choisissent plutôt de se défendre devant les tribunaux. Ils laissent donc la possibilité aux tribunaux de trancher sur la question avec le résultat possible qu’ils donnent raison aux résidents et copropriétaires.

Les exploitants plaident être protégés par la même immunité que celle conférée au gouvernement et aux ministres en vertu d’un article de la Loi sur la santé publique (art. 123). Ils prétendent avoir pris les mesures nécessaires en contexte d’urgence sanitaire au même titre que l’ont fait le gouvernement et le ministre de la Santé, notamment. Ils précisent qu’ils ne peuvent « être poursuivis en justice pour un acte accompli de bonne foi ». Cet argument n’est que de la poudre aux yeux puisqu’ils sont régis par les lois du Québec en matière de logement et qu’ils ne peuvent se soustraire de la contrepartie inévitable de diminuer le loyer lorsque le service n’est pas rendu. Dans ce cas précis, c’est le principe de restitution qui s’applique (art. 1694 C.c.Q.).

Autrement dit, en respectant les restrictions sanitaires, comme ils devaient le faire en raison de force majeure et de bonne foi, les exploitants ont cessé de fournir des services aux résidents. L’inexécution de leur engagement contractuel emporte comme corolaire que les résidents ne sont pas tenus de verser le montant pour les services non fournis. Et si les résidents ont exécuté leur obligation de verser ce montant, ils ont droit à la restitution du montant versé.

Voilà une règle simple que le Regroupement refuse de respecter, rendant les exploitants passibles d’enrichissement injustifié, comme l’indique la loi.

Les exploitants soutiennent non seulement que les demandes sont exagérées, mais ils plaident également la difficulté à calculer la valeur des services interrompus, certains temporairement, et la proportion applicable pour chaque logement dont la taille diffère. Or, un tel calcul ne devrait évidemment pas être un obstacle aux demandes, à leur validité et à leur justesse.

Et sur l’argument qu’ils ont fourni des services supplémentaires, les résidents seraient bien en droit de demander le détail des dépenses et revenus des exploitants afin de voir précisément les coûts réels qui se rattachent aux services interrompus.

Tous les dossiers ouverts au TAL stagnent actuellement en raison essentiellement de l’opposition des exploitants. Les locataires pris en otage ne sont pas au bout de leur peine, mais ils auraient tort d’abandonner.

Dans notre prochain billet, nous verrons que le Tribunal administratif du logement a accordé plusieurs demandes individuelles en diminution de loyer de locataires pour services non rendus et prévus au bail en temps de pandémie. Nous verrons aussi de plus près les demandes conjointes déposées devant ce Tribunal pour des services payés mais non rendus pendant plus de deux ans.


[1] RQRA, «Pandémie et diminution de loyer en RPA : le RQRA appréhende une 4e vague, soit celle des recours judiciaires multiples aux impacts néfastes pour les résidences et pour les locataires», Montréal, 16 avril 2021, CNW Telbec