Au début du mois d’août, le tribunal a entendu une demande visant à forcer l’hébergement d’Éléonore. L’hôpital où elle se trouve depuis cinq mois tentait d’obtenir une ordonnance pour la contraindre pendant deux ans à vivre dans une résidence, autre que son domicile. Le tribunal a rejeté la demande, concluant qu’Éléonore pouvait participer au choix d’un nouveau lieu de vie.

Faits à l’origine

Éléonore est née en France en 1936. Elle vit au Canada depuis son enfance. Veuve depuis la fin des années 90, elle vit seule et n’a pas d’enfants. En 2017, on note les premiers signes de troubles neurocognitifs qui seraient apparus progressivement depuis 2012.

Malheureusement, en février 2022, elle tombe chez elle et doit être hospitalisée. Éléonore reconnaît qu’elle est à risque de chutes depuis des années. Son médecin de famille l’avait d’ailleurs référée en clinique pour une évaluation de son équilibre. À domicile, elle avait de l’aide en continu d’une aidante tous les jours. Elle ne pourra pas continuer à l’aider, car elle s’est trouvé un nouveau travail.

Audition à la cour pour contraindre Éléonore à vivre en résidence par ordonnance judiciaire

Pour livrer son témoignage, Éléonore, 86 ans, a été assermentée en salle de cour puisque les auditions ont lieu en présence depuis le printemps 2022. Elle a donné son adresse et expliqué sa situation. Professeure universitaire pendant des années, sa mémoire demeure relativement bonne surtout si l’on tient compte du fait qu’elle vit dans une chambre d’hôpital depuis plus de cinq mois.

Éléonore reconnaît qu’il lui arrive de tomber. Elle sait qu’elle ne peut plus compter sur son amie qui la visitait chaque jour. «Elle reconnaît avoir besoin d’aide et que vivre dans une ressource pourrait lui être bénéfique.». Elle «avoue que l’assistance de son aidante était très précieuse lorsqu’elle demeurait à sa résidence.»

Le tribunal a rejeté la demande de l’hôpital pour deux motifs : l’incapacité de l’équipe traitante à démontrer l’inaptitude d’Éléonore à consentir et son refus catégorique à l’hébergement. Éléonore «a une compréhension de base quant aux bénéfices qu’une ressource pourrait lui apporter.» Elle a une compréhension certaine que sa situation ne lui permet pas de vivre seule. Elle accepte d’aller vivre en résidence quoiqu’elle ait pu manifester à l’occasion de vouloir retourner chez elle.

Réflexions

L’histoire d’Éléonore n’est pas un cas isolé. Elle constitue un exemple des demandes présentées tous les jours, à la Cour supérieure dans tous les districts du Québec. En 2002, notre cabinet juridique avait conduit une recherche qui révélait que pour la majorité des demandes d’autorisation judiciaire de soins, les personnes visées n’étaient pas représentées par avocats. Le nombre de demandes a augmenté de manière phénoménale depuis 20 ans.

Les districts ont adopté des horaires permettant des auditions dédiées à ce domaine de droit des personnes, généralement en après-midi. Les juges de la Cour supérieure consacrent souvent deux à trois heures aux auditions pour des cas de demandes contestées. La Cour d’appel a rappelé au cours des dix dernières années que les demandes judiciaires en matière de capacité et d’intégrité des personnes sont de la plus haute importance. Elles doivent être traitées avec sérieux et célérité.

Certains semblent préconiser la mise sur pied d’un tribunal spécialisé en cette matière, comme pour les cas d’agressions sexuelles. Un tel tribunal existe en Ontario où la preuve repose sur la personne de démontrer sa capacité décisionnelle. Au Québec, le fardeau de prouver l’inaptitude à consentir aux soins relève de la partie qui demande l’autorisation de forcer le traitement d’une personne contre son gré: médication ou hébergement forcé.

À mon avis, il faudrait plutôt tenter de comprendre pourquoi le nombre de demandes judiciaires croît chaque année et se demander pourquoi l’«équipe traitante» recourt à cet outil pour contraindre les personnes à des soins. En quoi une ordonnance de se soumettre à un traitement ou à un hébergement justifie la contrainte physique par force policière et apporte un effet bénéfique? Comment peut-on résoudre une problématique médicale sans avoir besoin de recourir aux tribunaux?

Devant l’instance judiciaire, l’équipe traitante n’a pas une plus grande importance que la personne soignée. Elle a le fardeau de démontrer non seulement que la personne soignée ne comprend pas les soins proposés, mais aussi qu’elle les refuse catégoriquement. Le tribunal qui entend la cause soupèse le témoignage de la personne concernée au même titre que celui de l’équipe traitante. Devant une preuve contradictoire, il peut retenir le témoignage de la personne concernée. Celle-ci peut convaincre le tribunal comme ce fût le cas pour Éléonore.

Fort de son point de vue, l’équipe traitante pourrait demander la révision du jugement. C’est une histoire à suivre à l’automne…